Abomey Edwige Edjèkpoto, une femme vulcanisateur

Par Valentin SOVIDE, AR/Zou-Collines,

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Abomey Edwige Edjèkpoto, une femme vulcanisateurLes crevaisons de pneu n’ont pas de secret pour Edwige Edjèkpoto

Malgré sa toilette soignée sur son teint clair, les crevaisons de pneus n’ont pas de secret pour elle. De moto ou d’auto, elle sait y apporter solution. Vulcanisateur de profession depuis quelques années,
Edwige Edjèkpoto, une jeune dame de la trentaine, semble être une espèce rare installée à quelques encablures du marché Houndjro à Abomey.

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A voir Edwige Edjèkpoto, on la prendrait facilement pour une coiffeuse. Pourtant, il n’en est rien. Pour des raisons liées aux pesanteurs sociologiques, il était impossible pour la femme de faire carrière dans un métier autrefois réservé aux hommes. Mais Edwige Edjèkpoto a brisé ce tabou longtemps entretenu en choisissant la vulcanisation qu’elle exerce sans complexe aux côtés des hommes à Abomey, une cité où l’on ne transige pas avec les principes traditionnels.
Jeudi 3 mars, il est environ 7 heures. Le soleil déploie déjà ses rayons sur la ville d’Abomey. L’arrondissement de Hounli qui abrite le marché connaît déjà les mouvements dans tous le sens. En face du chantier du marché se trouve le minuscule atelier de réparation de pneus de la jeune dame. Cela fait dix ans que ce local tient lieu d’atelier pour elle. Dame Edwige est là pour mettre en place ses outils de travail. Elle s’assure que tous les outils sont exposés avant d’aller s’installer sur un banc posé non loin. Puis, elle manipule son téléphone portable en attendant d’éventuels clients.
Vers 10 heures, le premier client de la journée, un conducteur de taxi-moto, se pointe, le visage dégoulinant de sueur. C’est la preuve qu’après la crevaison de son pneu il a dû trainer sa moto sur une bonne distance. Sur ordre d’Edwige Edjèkpoto, son apprenti va à la rencontre du conducteur, prend la moto et la positionne pour la patronne. Aussitôt, elle se met à l’œuvre afin de vite satisfaire le client. Mais ce dernier a eu le souffle coupé de constater que c’est une dame qui se penche sur son pneu crevé. Il ne comprend rien et se voit obligé de demander si le patron n’est pas là. Avant même d’avoir la réponse à sa question, il se saisit du banc pour s’asseoir et respirer un grand bol d’air. Puis, le jeune garçon lui laisse entendre que c’est la patronne qui est là. Edwige, comme si elle n’a rien entendu, démonte sereinement le pneu arrière de la moto avant de passer au diagnostic. Après contrôle, elle fait observer qu’une pointe a laissé deux trous dans la chambre à air qui est donc à réparer ou à remplacer. Le conducteur du taxi-moto fait plutôt l’option de la réparation. Ce qui permet à dame Edwige de se mettre rapidement au travail.
Après une trentaine de minutes, sidéré par le travail fait d’une main féminine, le client paye la prestation et en profite pour encourager la « brave dame ». Il est en retour gratifié d’un léger sourire de la part d’Edwige qui est plutôt préoccupée par comment sécuriser les quatre pièces de 100 francs qu’elle vient de gagner. Elle ouvre son sac et y range lesdites pièces. Cela fait une dizaine d’années qu’Edwige exerce ce métier dit d’homme. Elle semble ne plus être trop sensible aux gentils mots des clients qui n’ont jamais croisé son chemin. Toutefois, étant la seule femme connue dans ce métier à Abomey, ceux qui ont entendu parler d’elle sont curieux de la voir.
Ainsi, les hommes qui la connaissent préfèrent se faire dépanner dans son atelier. Parfois débordée par les clients curieux, elle sollicite auprès de son ancien patron un de ses apprentis qui vient l’assister ponctuellement. Au départ, elle faisait une recette de 5000F Cfa en une journée, mais aujourd’hui, difficilement elle parvient à rentrer avec 3000 F Cfa. Le temps où elle était la curiosité populaire semble derrière. D’ailleurs, autour d’elle, c’est désormais l’indifférence. Les gens sont habitués à la voir démonter un pneu et mettre en marche la machine d’air.

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Choix contesté par
les parents

Elle évoque sa vie en apprentissage et les raisons qui ont motivé son choix. Si Edwige Edjèkpoto a choisi le métier de la vulcanisation, ce n’est nullement le fait du hasard. Pour elle, les métiers traditionnels dédiés aux femmes, c’est-à-dire la coiffure, la couture et autres sont saturés au point où le marché devient exigu et toutes celles qui apprennent ces métiers n’arrivent plus à les exercer. Pour éviter ces peines perdues, Edwige a fait un choix d’avenir : la vulcanisation. Mais incomprise dans dans sa vision, ses parents ont contesté ce choix. Si Claire Kantoungnon, sa mère, s’était résignée face à son choix, son père Séverin Edjèkpoto a été, quant à lui, catégorique dans son refus. Pour lui, ce n’est pas un métier pour fille. Mais, sa fille reste ferme dans sa décision. Et pour amener ses parents à admettre son choix, elle a dû avoir recours à des personnes qui ont su convaincre son père de l’importance de la vulcanisation. Convaincu, Séverin a, en 2007, accepté d’inscrire sa fille Edwige chez Paulin Kinhou auprès de qui elle a appris aux côtés de quinze apprentis hommes le métier durant quatre ans. « Au départ, révèle-t-elle, mon patron n’avait pas voulu me recevoir parce qu’il avait estimé que je ne pouvais pas tenir. Mais à l’œuvre, il a fini par découvrir l’artisane que je suis», raconte-t-elle.
Par sa détermination, elle s’est battue pour se tirer d’affaire bien qu’elle ne manque de subir le harcèlement sexuel de la part de ses condisciples et même des clients. En témoigne la célérité avec laquelle, elle a assimilé les connaissances que lui transmettait le patron sur les réalités du travail. «En son temps, j’étais la référence parce que les hommes étaient moins dynamiques que moi. Mieux, j’ai été libérée en 2012 avant certains parmi ceux qui étaient pourtant là avant moi», se souvient-elle.
Devenue vulcanisateur accompli, elle s’installe à son propre compte et intègre à cet effet l’Association des vulcanisateurs d’Abomey (Ava). Dans ce creuset, elle s’est retrouvée encore seule femme parmi les hommes. Mais étant une habituée du monde masculin, elle s’impose au cours de leurs rencontres par ses prises de parole et surtout en réussissant à faire passer quelques-unes de ses préoccupations. Après tant d’expériences engrangées, elle invite ses congénères à s’engager résolument dans les métiers d’avenir pour leur émancipation. Elle ne souhaite pas être la seule femme à prendre ce chemin. Elle désire voir d’autres femmes faire la même chose qu’elle.

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Concilier travail et foyer

La vulcanisation et le foyer constituent deux mondes qu’Edwige Edjèkpoto n’a pas du mal à concilier. Selon elle, tout dépend de l’entente au sein du foyer et de l’organisation mise en place. « Chez moi, nous sommes un jeune couple d’artisans et nous nous complétons. Il est un maçon et moi, vulcanisateur.
Cependant, je ne me dérobe pas à mes obligations conjugales. Je m’organise toujours pour satisfaire ses besoins. Compte tenu du dialogue franc et sincère qui existe entre nous, la confiance est établie et nous nous comprenons jusqu’ici. Il me soutient et m’encourage à exercer ce que je sais faire. Moi aussi, je m’arrange pour ne pas le décevoir. Dans ces conditions, il ne peut y avoir que l’harmonie au sein du foyer, quelle que soit la fonction exercée », explique-t-elle. Préoccupée par le bien-être et la préservation de la paix dans le foyer, Edwige se lève tôt les matins, apprête le petit-déjeuner et le déjeuner qu’elle conserve dans une glacière avant de se rendre à son lieu de travail. Les soirs, elle rentre autour de 19 heures pour assurer le repas du soir. Au cas où elle irait au-delà, elle appelle son époux pour l’en informer. « Si l’heure avance, je l’invite à l’atelier où il prend le dîner que je paie de ma propre poche afin de lui garantir le manger à temps », confie-t-elle.
Pour finir, elle invite les filles qui ont choisi d’apprendre un métier de faire comme elle en allant vers les métiers de leur choix même si ce sont des métiers dits réservés aux hommes. « Moi, j’ai compris que tout est dans la volonté. Il suffit de vouloir et l’on a la force de tout affronter », conseille Edwige Edjèkpoto.