A la retraite, Bouraïma Lawani laisse le souvenir d’un grand professionnel du son et de l’image. De l’agression du 16 janvier 1977 à l’affaire Taïgla en passant par l’accident de train de Koussi et l’explosion de l’usine de l’ex-Béninoise, il a réussi à immortaliser des faits marquants de l’histoire du pays mais ne semble pas prêt à trop en dire.
Son parcours et les scènes qu’il a immortalisées, caméra au poing, Bouraïma Lawani s’en remémore les moindres détails. Silhouette longiligne et teint d’ébène, l’affable ancien chef service technique de l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (Ortb), à 80 ans, est d’une grande lucidité. Parler de son parcours, l’exercice ne lui est pas si aisé, surtout quand le centre d’intérêt tourne autour de certains événements majeurs du pays. « Je suis militaire, confie-t-il. Donner d’interview aux professionnels des médias qui me demandent plus que j’en ai à dire ne m’a jamais emballé ».
Une attitude quelque peu maussade au goût des demandeurs mais qui semble se justifier par son statut. Même en un jour aussi solennel que celui de son anniversaire, il ne lâchera aucune information sur des histoires qu’il juge quelque peu embarrassantes à révéler.
De l’agression du 16 janvier 1977 à l’affaire Taïgla en passant par l’accident de train de Koussi, l’explosion de l’usine de l’ex-Béninoise, la Conférence nationale des forces vives de la nation et le crash d’avion du 23 décembre 2003… Des ‘’affaires d’Etat’’ qu’il a eu pourtant l’occasion de couvrir. Lui qui aura été, 14 ans durant, le photographe et caméraman personnel du général Mathieu Kérékou, militaire détaché à la Présidence de la République qu’il était à cette époque. Témoin de nombreux événements, celui qui finira au grade de lieutenant dans l’armée béninoise garde de merveilleux souvenirs de sa carrière. « On a fait des choses impossibles, des choses formidables qui témoignent de notre passion pour les métiers du son et de l’image. On n’attendait pas un chef pour nous mettre en exercice. Ma caméra ne me quittait jamais. Je dois l’avoir à portée, même dans mon véhicule », note-t-il.
Le goût du risque chevillé au corps, en bon militaire, Bouraïma Lawani ne recule devant aucun obstacle. Son intérêt est de faire son métier. Témoin invétéré du temps, l’homme s’est plu à fixer des scènes aussi réelles que surréalistes. Un entrain qui a fait de lui un professionnel hors pair dont le savoir-faire a longtemps été sollicité, même après sa retraite, pour la formation des plus jeunes des chaînes de télévision privées.
Très exigeant en matière de travail, rien n’aura autant compté pour lui que cet allant parfois surprenant pour son métier. Un élan à partager sa passion qui a fait école. « Le doyen est un grand homme. On n’est pas grand que par la taille mais aussi par le cœur. Ce qu’il a fait est grand ; sa grandeur est inestimable et ce qu’il nous a appris l’est aussi. Il reste techniquement bon et tout autant humble et son expérience a contribué beaucoup au développement de l’Ortb. Il n’est pas question, selon lui, de s’amuser avec son travail », confie Eloi Dansi, ancien technicien de l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin à la retraite, qui, des années durant, a servi à ses côtés.
Guillaume Nouhlouigbéto, photographe de profession, n’est pas moins admiratif de l’œuvre accomplie par celui qui lui a mis le pied à l’étrier. « Un homme pour moi c’est celui qui sait partager sa connaissance. Et en cette matière, Bouraïma Lawani est une exception. Il nous a donné tout ce qu’il sait de ce métier », confie-t-il. Disponible à recevoir chez lui ses élèves pour poursuivre avec eux les cours donnés en salle ou en studio, il est tout un symbole, une école, selon son ancien élève. « Aujourd’hui, en dépit de son âge avancé, il est encore debout prêt à vous donner le savoir. C’est un homme qu’il faut respecter et il nous faut prier pour que, longtemps encore, il se vide totalement de ses connaissances pour nous », ajoute-t-il, tout fier du patron qu’il a été pour lui et nombre de ceux à qui il a transmis le flambeau.
Un père, un mentor
Issu d’une famille polygame, Bouraïma Lawani a intégré l’Ecole militaire préparatoire de Kati au Mali en 1958, à la suite de ses études secondaires. Une formation militaire qu’il achève deux ans plus tard pour poursuivre sa carrière dans l’armée française. « Nous avions été libérés de l’armée française en 1963 après l’indépendance. Les Français ne voulant plus de nous, nous sommes rentrés au pays », se rappelle-t-il.
Démobilisés qu’ils étaient après leur retour au bercail et dépités par le coup d’Etat perpétré par leurs congénères du Togo et qui s’est soldé par la mort de Gilchrist Olympio, premier président de ce pays, les anciens militaires béninois créent une coopérative agricole à Dodja dans la commune d’Abomey-Calavi pour s’occuper autrement et éviter à leur pays le cycle des violences.
Une initiative qui connaîtra diverses fortunes avant son enrôlement dans l’armée nationale en 1965. Avec une formation en photographie, il affermira sa passion pour l’image en créant le service photo au sein de la grande muette à la demande d’un conseiller technique français. Ceci, avec son matériel personnel. Un stage à la Société dahoméenne de cinématographie (Sodaci) ainsi qu’au niveau des services de l’information à Porto-Novo conforte son penchant pour l’univers de l’audiovisuel et fait de lui l’un des rares Béninois à faire cette formation sous le mentorat de professionnels français encore au chevet d’une nation à peine libérée du joug colonial.
Le premier Dahoméen à faire cette formation à travers laquelle, 18 mois durant, Bouraïma Lawani s’est perfectionné en cinématographie et en photographie, a été Pascal Abikanlou, réalisateur à qui l’on doit d’ailleurs le premier long métrage du pays. En même temps qu’il supervisait la section Photo de l’armée qu’il a mise en place, il étanchait sa soif de savoir en participant à de nombreuses sessions de formation avec l’onction de ses chefs hiérarchiques qui comprenaient bien l’intérêt à le voir renforcer ses capacités pour servir au sein de l’armée. Les bonnes relations qu’il entretenait avec ces derniers motivent leur décision de le laisser partir chaque fois qu’il en fait la demande. Ainsi, se retrouvera-t-il en Allemagne de 1967 à 1969, toujours en uniforme, pour la bonne cause. Des formations qui ont été pour beaucoup dans son parcours et ont façonné le professionnel qu’il a été au cours de sa carrière.
De retour d’Allemagne, à la veille du coup d’Etat d’octobre 1972, il sera le seul à être admis à prendre les images de l’état des lieux au lendemain de cet énième coup de force qui caractérisait désormais le pays qualifié d’enfant malade de l’Afrique, vu son passé tumultueux fait d’innombrables putschs. En 1974, le chef de l’Etat d’alors, Mathieu Kérékou, lui fit appel pour créer le premier service audiovisuel de la Présidence de la République. Fonction qu’il assumera cumulativement avec celle qu’on lui confiera à la télévision nationale une fois son avènement en 1979 en noir et blanc. « Premier caméraman béninois à la télévision nationale, puisque tous à l’époque étaient des Français, on a commencé à former d’autres cameramen. Ce qui m’amenait à coordonner à la fois les services de l’audiovisuel de l’Armée, de la Présidence et celui du Reportage de la télévision nationale jusqu’en 1989 », se souvient-il, un brin nostalgique et fier d’avoir su donner de son temps, de son énergie et de son savoir pour écrire les plus belles pages de l’histoire de l’audiovisuel au Bénin. Même si aujourd’hui il a le sentiment que son pays n’a pas beaucoup progressé dans le cinéma.
« On était bien loti en matière de cinématographie mais il est bien décevant de reconnaître qu’on ne fait rien aujourd’hui pour mériter une quelconque place dans cet univers », relève-t-il. Pointant du doigt l’absence quasi totale du cinéma béninois sur le petit écran et le désintérêt de l’Etat à encourager les acteurs pour un réel essor de cet art considéré sous d’autres cieux comme un véritable médium de valorisation d’un pays. « Combien de nos films passent, ne serait-ce, sur Tv5 ? Nous n’avons rien à faire valoir à l’international dans ce secteur », note-t-il, bien amer. L’octogénaire croit si bien le dire en tablant sur l’immense œuvre de certains congénères et à laquelle il a su contribuer par son savoir-faire, il y a peu. Ses nombreuses collaborations avec François Okioh,
Richard de Medeiros et autres restent des faits d’armes qui créditaient le cinéma béninois d’une bonne santé. Une embellie qui s’est tôt étiolée face à un secteur inorganisé et plutôt laissé aux mains des seuls professionnels désavantagés par les moyens.
« Je ne suis pas un fanatique mais je crois beaucoup en Dieu. Je reçois tout ce qui m’arrive comme il me vient», confie celui qui semble accepter tout de la vie tel qu’elle le lui rend. Aussi bien les vicissitudes de la vie que les déboires ou autres impairs professionnels n’ont pas plombé son moral. Au contraire, il se félicite de cette grâce que Dieu lui a accordée de vivre aussi longtemps et d’avoir la pleine capacité de ses moyens. Une prime divine sans doute à voir tous ses congénères partir trop tôt. « Pour mon exigence et la qualité de mon travail, tout le monde me félicitait mais jamais ceci n’a été consacré par une quelconque récompense. Je n’ai jamais été décoré, ni proposé par le ministère de l’Information, ni par l’Armée. Je n’ai rien bénéficié de l’Etat ; jamais de récompense de l’Etat. Je ne revendique rien aujourd’hui car pour moi, avoir mon âge est une compensation divine. Il ne faut jamais se plaindre d’être lésé », défend, avec sourire, ce fidèle musulman qui ne rate aucune des prières de la journée et ne prend pas la moindre goutte d’alcool, affectionnant particulièrement les sucreries.
Photographe, caméraman, monteur et réalisateur, sauf exception, Bouraïma Lawani reste de par sa dimension une grande figure des médias et du 7e art qui laisse à la postérité l’image d’un professionnel hors pair. Correspondant de certains médias à l’international à l’époque, il aura, même à la retraite, mis son art au service de la cause de l’enfant, sollicité qu’il était par l’Unicef à travers l’entregent de ses consœurs Michèle Akan Badarou et Cousine Angèle qui y monnayaient leurs services. « Je ne m’ennuie pas trop pendant ma retraite parce que j’ai toujours quelque chose à faire », révèle-t-il. Une véritable boule d’énergie qui a eu à gagner la confiance du général Mathieu Kérékou qu’il juge assez taquin sur les bords mais très à l’écoute de ses collaborateurs. A une expression de besoin de matériel, il savait toujours y répondre par l’entremise de l’intendant de la Présidence de la République, témoigne l’ancien photographe et cadreur du Palais de la Marina. « Le général est un homme très taquin mais quand il vous fait confiance, vous n’avez aucun souci à vous faire. En son temps, il y avait trop de choses qui se faisaient en son nom. C’est l’entourage qui fait l’image du président de la République », note-t-il sans en dire plus. Egrenant avec plaisir ces croustillantes anecdotes de son parcours avec le Caméléon.