La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) a condamné, vendredi 20 mars dernier, six agents de la Société béninoise d’énergie électrique (Sbee) déclarés coupables de crimes économiques. Deux ont écopé de 15 ans de réclusion criminelle et les quatre autres de 10 ans d’emprisonnement ferme.
Quinze ans de réclusion criminelle et 10 millions FCfa d’amende. C’est la sentence pénale de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) à l’égard de Robert Eustache Adimou et Eric Armand Codjia, respectivement chef service Informatique et guichetier à l’Agence Sbee d’Abomey-Calavi. La cour, statuant publiquement et contradictoirement en matière criminelle et en premier ressort, vendredi 20 mars dernier, a condamné ces deux agents pour le crime de détournement de deniers publics et déclaré en plus Robert Eustache Adimou coupable des faits d’introduction, d’altération et de modification intentionnelle et sans droit de données informatiques et d’avoir porté atteinte au système informatique en vue d’obtenir un avantage personnel causant un préjudice patrimonial à autrui. Ces crimes de détournement de deniers publics, d’introduction et sans droit de données dans un système informatique sont prévus et punis par les articles 45 alinéa 4 et 121 de la loi n°2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin. Eric Armand Codjia est déclaré complice des faits d’introduction, d’altération et de modification intentionnelle et sans droit de données informatiques et d’avoir porté atteinte au système informatique en vue d’obtenir un avantage personnel causant un préjudice patrimonial à autrui. Les quatre autres, tous des agents releveurs et parfois coupeurs de la Sbee à savoir Paulin Alladagbin, Brice Hector Mahouvi, Thiérry Sébastien Noukpliguidi et Simon Comlan Danvo ont été acquittés du crime de détournement de deniers publics mais ont été retenus dans les liens des faits de complicité d’atteinte intentionnelle et sans droit au fonctionnement du système informatique en vue d’obtenir un avantage personnel résultant d’un préjudice patrimonial à autrui. Ils ont été condamnés chacun à 10 ans d’emprisonnement ferme et à 10 millions F Cfa d’amende.
Fifty-fifty
Des débats à la barre, il ressort que Robert Eustache Adimou est le cerveau de la forfaiture. Chef cellule informatique, celui-ci a réussi à annuler, de mèche avec le guichetier Eric Armand Codjia, les encaissements de certains clients. Les deux se partagent équitablement les montants annulés à la fermeture du guichet. Les encaissements annulés et détournés par les deux ont été chiffrés par la Sbee à la somme de 23 603 894 Francs Cfa. Robert Eustache Adimou, dans un second mode opératoire, convainc certains de ses collègues releveurs et parfois coupeurs à se rapprocher de certains clients gros débiteurs de la Sbee de leur choix pour leur proposer la possibilité pour eux de solder leurs dettes en leur payant seulement la moitié de leurs dûs. Lui, chef service Informatique, devrait se charger du reste pour que ces clients voient leurs factures impayées totalement réglées et leur solde à zéro Franc Cfa. Pour se convaincre de l’efficacité de l’opération, Sébastien Noukpliguidi a testé cette proposition sur son propre compteur à la maison qui restait devoir 322 mille F Cfa. Il a remis 50 mille FCfa seulement au chef Service Informatique pour l’opération. Sébastien Noukpliguidi dit avoir constaté effectivement sa consommation minorée et ramenée à zéro F Cfa. Ce test concluant l’a motivé à collecter sur le terrain les factures des clients qui acceptent de faire le jeu. Robert Eustache Adimou a fait cette sale besogne avec les quatre releveurs. Certains clients mordent à l’appât de la proposition de minoration de factures impayées et remettent le montant sollicité mais d’autres y ont résisté. Robert Eustache Adimou partage équitablement le butin avec certains et 40 % avec d’autres. Les accusés ont tous reconnu les faits mais contestent les montants mis à leurs charges chacun par la Sbee. Les cinq mis en cause qui regrettent aujourd’hui leur acte disent avoir été conduit dans cette situation par le chef service Informatique qui leur a fait part de la possibilité d’annulation d’encaissements et de minoration des factures impayées. Robert Eustache Adimou leur aurait rassuré de l’efficacité de l’opération informatique qui ne pouvait jamais être sue un jour. Ce dernier a dit, avoir eu lui-même l’idée lors du basculement courant fin d’année 2013 du système informatique de la Sbee de Gd’Eau en Gd’Or où l’agence d’Abomey-Calavi a été retenue comme site pilote de ce projet. Cette migration au nouveau système informatique a généré certaines anomalies au niveau de certaines factures. La correction des factures erronées avec l’aide du prestataire qui a gagné le marché, explique Robert Eustache Adimou, lui a permis de savoir qu’il pouvait aussi corriger et minorer par la même astuce les factures réelles des clients. Il a commis la fraude avec ses co-accusés pendant un peu plus d’an. Même affecté entre-temps à Parakou,
Sébastien Noukpliguidi dit avoir été convaincu par Robert Eustache Adimou pour poursuivre l’opération. Ce dernier lui disait avoir la main pour agir sur toutes les factures des clients sur le territoire national. Sébastien Noukpliguidi envoyait les numéros de police des abonnés qui ont accepté l’offre et son pourcentage sur le montant conclu par paiement électronique.
Des clients redressés
Pour comprendre le mode opératoire des accusés, la cour invite à la barre la Sbee représentée par trois cadres en plus de son avocat Me Serge Pognon. Cyrille Adonon, chef service Infrastructures, Système et Sécurité informatique, au moment des faits, planche le premier. Il reconnait effectivement que le passage de l’ancien au nouveau système informatique a généré des anomalies sur les factures.
Lesquelles anomalies sont inhérentes à toute migration informatique. Mais celles-ci n’ont pas duré plus que 48 h avant la stabilisation du système du logiciel, précise-t-il. Selon Cyrille Adonon, il a fallu l’audit de tout le système informatique pour permettre à la Sbee de mieux comprendre la fraude. Il a été noté que Robert Eustache Adimou, a utilisé ses capacités intellectuelles de haut niveau en informatique après une formation en France aux frais de la Sbee pour utiliser à fond le système de la société. Ce qui lui a permis de réussir à contourner frauduleusement les profils du chef service Facturation et du chef service Commercial et leurs mots de passe pour utiliser à sa guise le logiciel.
Sinon Robert Eustache Adimou n’a pas habilitation à manipuler les factures qui relèvent de la compétence exclusive du service Facturation, précise l’Ingénieur informaticien de la Sbee. Jean-Michel Fangnon, chef département Contrôle de Zones à la Sbee, fait le point à la cour des encaissements annulés par Robert Eustache Adimou et sa bande: ils s’élèvent à la somme de 23 603 894 F Cfa. Le montant des minorations de clients est chiffré à 293 714 843 FCfa dont 170 488 550 FCfa recouvrés auprès des clients après redressement. Jean-Michel Fangnon a expliqué à la cour que le pot-aux-roses a été découvert après constat de certaines irrégularités sur certaines factures de certains clients gros consommateurs d’énergie pour la plupart.
Les factures affichaient des mentions négatives comme solde. Ce qui montrait en tant que technicien que ces factures ont été annulées entre-temps. D’autres factures étaient minorées et ne comportaient que des frais d’entretien ou un petit montant. Toutes ces factures incriminées ont été recensées et les clients concernés ont été isolés c’est à-dire coupés. C’est ainsi que les réactions, plaintes et dénonciations des abonnés contre les accusés ont fusé de partout. Certains clients concernés ont compris leur forfaiture et ont payé le montant de leurs impayés après redressement pour se faire rétablir l’énergie électrique.
La Sbee partiellement déboutée au civil
Puisqu’en réalité, révèle le contrôleur de la Sbee, une facture annulée n’est pas annulée. L’original de la facture existe toujours dans le serveur quel qu’en soit la manipulation qui est faite. Ce qui a facilité le redressement des clients concernés. Les deux cadres de la Sbee ont été appuyés par Marc Gnimassou, juriste et chef service Gestion des contentieux. Seulement, les cadres de la Sbee et le conseil de la société, Me Serge Pognon, n’ont pas réussi à rapporter à la cour la preuve du montant mis à charge de chaque accusé. Mieux, les montants retenus par la Sbee contre les mis en cause n’ont jamais été discutés de façon contradictoire avec chacun des concernés. Dans son verdict, la cour a condamné Robert Eustache Adimou à payer à la Sbee, partie civile, la somme de 23 603 894 F Cfa représentant le montant des encaissements annulés. Mais elle a rejeté la demande de la société tendant à voir les six accusés lui payer solidairement la somme d’environ 123 226 294 FCfa, restant du montant non recouvré après l’opération de redressement des factures minorées. En revanche, les accusés ont été condamnés à payer chacun à la Sbee la somme de 10 millions F Cfa à titre de dommages et intérêts. La cour a rejeté l’Etat béninois, partie civile, représenté par l’Agent judiciaire du Trésor sollicitant le Franc symbolique pour le préjudice moral qu’il a subi dans cette affaire.
Dans ses réquisitions, le ministère public représenté par Gilbert Ulrich Togbonon, procureur spécial près la Criet, requiert 15 ans d’emprisonnement ferme contre chacun de ses six accusés. Il a invité la cour à faire droit à toutes les demandes pécuniaires de la Sbee et de l’Etat béninois représenté par l’Etat béninois.
Les avocats des accusés Mes Julien Togbadja, Fulbert Béhanzin, Salomon Abou et Maximin Pognon, ont plaidé la clémence de la cour. Ils ont surtout attaqué le volet civil du dossier pour demander à la cour de balayer du revers de la main les prétentions pécuniaires de la Sbee et de l’Ajt soutenus par le ministère public. Cela, parce que n’ont fondés et ne reposant sur rien. Pour la défense, les 123 226 294 FCfa ne peuvent pas être payés par les accusés d’autant qu’ils sont en cours de recouvrement par la Sbee. Mieux, les conseils estiment que les agents releveurs Paulin Alladagbin, Brice Hector Mahouvi, Thiérry Sébastien Noukpliguidi et Simon Comlan Danvo ne sont pas complices d’introduction de données informatiques dans le système informatique. Puisqu’ils n’y avaient pas accès. Ils devraient être plutôt poursuivis pour abus de confiance par les clients qui leur ont remis leur argent et ont été par la suite coupés et redressés par la Sbee. La défense demande à la cour de prendre en compte ses observations en faisant une douce application de la loi. Les accusés disposent d’un délai de 15 jours pour interjeter appel du jugement devant la chambre d’appel de la Criet s’ils ne sont pas satisfaits.
Formation de jugement
Président : Adamou Moussa
Assesseurs : Essowé
Batamoussi et Geneviève Sohou
Ministère public : Gilbert Ulrich Togbonon, procureur spécial près la Criet
Greffier : Me Nancy Gandaho