Douze jours après l’incendie d’un bus de transport en commun qui a fait une vingtaine de morts, des voix continuent de se faire entendre pour donner des explications non seulement à cet accident, mais aussi la série d’incidents macabres que connait Dassa Zoumè. Sa majesté Daagbo Hounon Hounan II, grand dignitaire du culte vodoun, évoque dans cet entretien, les implications de tels drames du point de vue des religions endogènes.
La Nation : Sa majesté Daagbo Hounon Hounan II, quelle explication donner à la récurrence des accidents graves que connait le pays et plus particulièrement la commune de Dassa ces derniers jours ?
Sa majesté Daagbo Hounon Hounan II : La vie est un enchevêtrement de faits heureux et malheureux et à un moment de la vie, nous sommes appelés à faire face à ces genres d’évènements, qui nous font plaisir ou qui nous plongent dans la tristesse. Ce qui s’est passé le 29 janvier dernier à Dassa est si douloureux que personne ne peut l’agréer sur le plan humain, encore moins les dignitaires et garants assermentés de la tradition. Ils ne peuvent jamais cautionner ce genre de choses. Il y a des dégâts matériels et des dégâts humains. Nous n’avons jamais souhaité ces extrêmes avec des dégâts humains. Nous déplorons surtout ce qui est arrivé parce que des dispositions étaient en train d’être prises antérieurement pour atténuer (je pèse bien mes mots) ces calamités qui doivent arriver au cours de l’année 2023. Nous le regrettons amèrement et je peux vous assurer que nous prenions déjà des dispositions à propos. Toujours est-il que nous n’avons pas baissé les bras et nous y travaillons encore. Il y a là, deux vodoun que nous interrogeons dans le cas de ce qui est arrivé à Dassa Zoumè. Je n’ai pas parlé de divinité. J’ai bien dit deux vodoun. D’abord le vodoun « Zo » qui est l’incendie et le vodoun « Gou » qui est le dieu du fer. Mais en filigrane, il y d’autres vodouns que nous interrogeons aussi.
Pourquoi devriez-vous interroger ces vodoun en question ?
Nous avons besoin de savoir ce qui s’est passé pour que de tels évènements se répètent presque en allant au milieu du pays. Quand on analyse ces évènements, il y a des choses que nous pouvons dire sur la place publique et sur les ondes comme il y en a d’autres que nous ne pouvons que dire à qui de droit. Nous avons l’obligation en tant que garants assermentés de la tradition de faire attention à nos déclarations pour ne pas créer la psychose, pour ne pas alarmer les populations et agir négativement sur leur psychologie.
Vous parliez de dispositions, ont-elles été vraiment prises, celles qui devraient l’être ?
Les avis sur cette question sont partagés et ils doivent être partagés et se doivent d’être partagés. Au même moment que nous connaissons ce drame ici, il y en a eu dans d’autres pays. Le Nigeria, le Mali, il y a des séismes hors de l’Afrique. Comprenons qu’à un moment ou à un autre, nous sommes appelés à faire face à des évènements heureux ou malheureux et c’est inscrit que cela doit arriver. C’est pourquoi je vous parlais des dispositions qui étaient en train d’être prises pour atténuer, donc diminuer l’intensité de ce qui doit advenir. Ce n’est donc pas la faute aux dignitaires et moi j’ajoute quand je parle de dignitaires qu’il s’agit de garants assermentés de la tradition. Tout le monde aujourd’hui s’improvise dignitaire de tout sans qu’on ne fasse la démarcation avec ceux à qui les esprits ont véritablement confié cette tâche. Tout le monde est dans tout aujourd’hui. Je ne suis pas d’accord qu’on dise que les dignitaires ont failli à leur mission. Le dire, ce n’est pas très exact. C’est arrivé parce que cela est inscrit. Prenez votre paume de main et frottez-la pour voir si les traces qui s’y trouvent peuvent s’effacer. La réponse c’est non. Les choses prévues doivent arriver. Ce sont des principes de la vie qui exigent le « Sou » et le « Yessou ». En réalité, le « Yessou » vient pour atténuer les effets que nous devrions ressentir par rapport à telle ou telle autre situation.
Que faut-il faire aujourd’hui pour arrêter la saignée ?
Ce qui s’est passé à Dassa est un deuil national et même au-delà parce que cela a touché des familles au-delà de nos frontières. Il y a des dispositions que nous devrons prendre sur le plan traditionnel. Il y a des rituels que nous devons faire par rapport au vodoun « Zo » et au vodoun « Gou » et aux autres vodouns qui sont dans l’ombre. Cela est très important. Nous prenons déjà des dispositions à ce propos parce que avant tout, la population se trouve dans les mains des garants et dignitaires de la chefferie traditionnelle. Ce n’est pas l’Etat qui nous exige de faire un certain nombre de rituels dont le « Tokpiklpo », le « Vô wiwli», le « Vô sissa ». Quand vous prenez chaque région de notre pays, il y a la manière pour le faire pour repousser les mauvais esprits, qu’il s’agisse de l’Ouest, de l’Est, du Centre ou du Nord. Donc nous prenons nos dispositions, mais du côté de l’Etat, il faut aussi agir. On ne peut pas tout attendre de la tradition. Ce qui revient à l’Etat, c’est d’abord de veiller à la qualité du matériel roulant. Répond-il à ce qui est prescrit par les dispositions étatiques ? Deuxième élément, les hommes. Les humains qui conduisent font-ils bien leur travail ? La police, la sécurité routière… constituent autant de maillons interpellés. Il faut amener chacun à comprendre que la vie coûte cher. Même notre Constitution reconnait que la vie humaine est sacrée et inviolable et nous autres dans la tradition avons un dicton qui dit que si vous n’avez pas des gens à côté de vous, vous ne pouvez accomplir aucun rituel.
Une part de responsabilité est quand même imputable aux dignitaires non ?
La réponse à votre question peut avoir deux volets. Dans un premier temps, je dirais Non. Dans la mesure où même si l’Etat reconnait aujourd’hui la chefferie traditionnelle dans la Constitution, il n’est pas encore allé au bout. C’est vrai que l’Etat est laïc mais son regard est indispensable dans certaines actions que doivent mener les dignitaires et garants de la tradition. L’Etat doit travailler à la mise en place d’un creuset qui lui permette d’être à l’écoute de toutes les religions et de leurs préoccupations. Nous avons dans ce pays, des valeurs qui doivent nous permettre d’atténuer un certain nombre de choses, des valeurs qui permettent d’agir sur le comportement de tout un chacun de nous parce que certains de nos comportements sont à la base de certaines choses et nous l’ignorons, tout comme nous ignorons beaucoup d’autres choses. Il y a quelques années par exemple, il y avait quelqu’un d’invisible à la descente du pont qui prenait du plaisir à voir les accidents de la circulation s’enchaîner chaque jour. Est-ce le même cas dans la commune de Dassa ? Je ne saurais le dire. C’est à nous de creuser pour en savoir davantage pour le faire savoir à qui de droit. Ces choses-là ne se disent pas sur les antennes, pour éviter de créer la psychose au sein de la population.

Daagbo Hounon Hounan
Vous avez commencé par le dire, le non-respect de certaines lois de la nature est parfois à la base de ces drames. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous garants assermentés de la tradition avons l’écoute de la population. En leur nom, il y a certaines dispositions sécuritaires et de cohésion sociale que nous menons au quotidien pour le développement intégral et durable. Mais ces actions nous essoufflent parfois. Ce que vous devez savoir, c’est que chaque jour, il y a la violation de certaines prescriptions. Ce n’est pas que nous n’en sommes pas conscients. Mais la difficulté réside également dans le fait qu’au nom de la démocratie et du vivre-ensemble, on ne peut pas imposer certaines restrictions de force. On en parle pour que les gens prennent conscience et prennent garde. Mais certains vous répondent qu’ils ne sont pas de votre religion et que vos prescriptions ou vos exhortations ne les engagent en rien. Chaque région de ce pays porte des interdits. Il y a des jours par exemple où il ne faut absolument pas faire certaines choses dans certaines régions, mais rien de cela ne se respecte aujourd’hui. Les populations étant disséminées dans toutes les religions, il est difficile de leur faire tenir certains mots d’ordre. Les conséquences, c’est toute la population qui les subit. Voyez par exemple comment la production halieutique et la production agricole chutent dans certaines parties du pays. Tout cela doit nous interpeller par rapport au respect de certains interdits. Je pense qu’il faut louer le courage des garants de la tradition qui ne tiennent pas compte des réticences ou du comportement de la population pour agir et faire ce qui leur est recommandé. Nous continuons de prendre nos dispositions, cela peut paraitre insuffisant à des moments donnés mais ce qui compte, c’est que l’Etat doit penser à un Conseil des sages et notables pour donner des mots d’ordre en cas de besoin.
Un mot d’exhortation ?
Ce qui s’est passé à Dassa nous interpelle tous en tant que fils de ce pays, peu importe nos religions. C’est un deuil national qui impose de mettre le drapeau national en berne. On peut se dire, à analyser ce qui se passe un peu partout, que ces drames inattendus ne surviennent pas qu’au Bénin. Mais cela ne doit pas nous empêcher de revenir à nos réalités pour comprendre que nous avons certaines valeurs à sauvegarder. J’exhorte la population à ne pas s’alarmer. Ce que nous devons faire en tant que dignitaires, nous allons le faire. Il y a des rituels à accomplir sans bruit et loin des regards non avertis, nous y travaillons et nous allons les faire.