Professeur Théodore Holo
« Que la douleur de l’avoir perdue ne nous fasse pas oublier le bonheur de l’avoir connue »
L’idée que je garde d’elle (Rosine Soglo), c’est qu’elle est une dame de fer comme une dame de cœur. Ce qui se résume dans l’appellation « maman » qu’elle apprécie beaucoup. Comme chacun de nous le sait, maman est d’abord l’autorité pour l’éducation des enfants, pour leur réussite. Mais maman est aussi sollicitude et bienveillance parce que maman veille à l’épanouissement des enfants. Elle peut donc être dure dans ses propos, elle peut être quelquefois très sévère, mais la minute d’après, c’est déjà oublié, c’est la générosité et c’est ça qui la caractérise également. Je pense qu’il faudrait aussi reconnaître qu’elle est une passionnée de la politique qu’elle a découverte quand son mari est devenu président de la République. Et pour le protéger afin d’éviter que celui-ci ne soit l’otage des partis politiques, elle a créé la Renaissance du Bénin pour pouvoir le soutenir. D’autant plus qu’après le remaniement ministériel de 1993, le président a perdu pratiquement sa majorité au parlement et il fallait des députés pour l’accompagner dans la mise en œuvre de sa politique. Elle s’y est engagée et elle est restée fidèle à cet engagement de 1995 à 2019. Et comme on le dit souvent, elle est une battante et un modèle pour la jeune génération. Elle est aussi la preuve, surtout pour les femmes, que toute liberté acquise est d’abord une liberté conquise. Je ne sais pas si elle s’est fait reconnaître ses droits, mais je pense qu’aujourd’hui les femmes aussi doivent pouvoir continuer ce combat pour que la parité soit la règle chez nous et non pas des quotas pour faire une place aux femmes qui constituent plus de 52 % de notre population. Je crois que c’est avec cet engagement avec des gens de cette qualité que nous pouvons consolider l’Etat de droit et la démocratie tel que cela est prévu dans la Constitution de 1990. Que Dieu ait pitié de son âme et l’accueille dans sa félicité! J’en profite pour renouveler mes condoléances à sa famille biologique et à sa famille politique à laquelle j’appartiens puisque j’ai été militant et responsable de la Renaissance du Bénin jusqu’à ce que j’aille à la Cour constitutionnelle où je ne pouvais plus assumer des responsabilités politiques, étant donné que cela est incompatible avec mon mandat à la Cour. En tout cas, que la douleur de l’avoir perdue ne nous fasse pas oublier le bonheur de l’avoir connue.
Karim Urbain da Silva, président des sages de Porto-Novo
« Je ne ressens pas ce que tout le monde ressent »
« Rosine Vieyra Soglo et moi sommes parentés. Je suis son oncle. Donc je ne ressens pas ce que tout le monde ressent. Les sentiments sont divers. A la mort de mon papa, c’est son père Gratien Vieyra qui est venu régler les petits problèmes de succession au niveau de ma famille. Mieux, deux de mes enfants sont restés à Kouhounou à Cotonou avec son père, un fonctionnaire des Cheminots.
Rosine Vieyra Soglo est une femme assez courageuse. Elle dit haut, très haut ce que beaucoup disent à voix basse. Elle a été Première dame du Bénin et plusieurs fois élue député à l’Assemblée nationale. Tout le monde a constaté qu’elle est une femme d’exception. Rosine luttait depuis le bas-âge pour être née au milieu de trois ou quatre garçons (Sourire). C’est ce qui a forgé son fort caractère de femme battante que l’on découvre aujourd’hui.
Pour ses obsèques, je ferai mon devoir pour le compte de ma famille. La mort…La mort…La mort… C’est la fin du règne. Que ses cendres reposent en paix ! »
Gildas Agonkan, député à l’Assemblée nationale
« C’est une énorme perte pour notre pays, pour notre génération…»
« C’est une énorme perte pour notre pays, pour notre génération et pour l’Afrique. Madame Rosine Vieyra Soglo était pour moi, d’abord comme une mère, ensuite la présidente de mon parti politique puis une collègue. Elle était un modèle d’engagement politique. C’est une grande douleur pour nous tous et surtout pour nous qui l’avons côtoyée pendant longtemps. Je l’ai rencontrée pour la première fois en 1991 en prélude à la création du parti « La Renaissance du Bénin ». Nous venions de finir les luttes avec l’Utr pour l’élection du président Nicéphore Soglo et elle devait mettre en place un mouvement regroupant les jeunes. J’avais eu une discussion chaude avec elle parce qu’elle voulait un regroupement pluriel de jeunes (étudiants, artisans, ouvriers, etc). Avec mon euphorie de responsable scolaire, je lui avais fait comprendre l’impossibilité de mettre ensemble toutes ces catégories de personnes. Mais elle m’a répondu de manière très sèche avant de me dire plus tard que j’avais raison, en m’appelant « mon fils». C’était le déclic de mon engagement politique qui dure depuis une trentaine d’années.
Je me souviens aussi des années où nous devrions préparer l’élection présidentielle de 2006. Nous devrions faire la désignation de notre candidat au cours d’un congrès à Ouidah. Nous avions eu tous les problèmes du monde pour cette organisation. Elle était allée jusqu’à presque défier le général Mathieu Kérékou en disant: «j’organiserai ce congrès et rien ne se passera». Effectivement, nous avons organisé le congrès et rien ne s’est passé.
L’autre chose, on la savait très directe et à la limite difficile à vivre. Je me souviens qu’au cours de ce congrès, lors d’un débat, toute en colère, elle disait à notre délégation qui venait d’Abomey : « je connais vous qui venez d’Abomey ; vous les abominables… » Cela nous a fait de la peine mais elle se refait en ajoutant : « Oui, vous êtes abominables et moi-même je suis abominable car je me suis mariée à un abominable ». Et c’étaient des éclats de rire.
Il faut avoir été proche de cette dame pour savoir ce qu’elle a été. Diriger un grand parti comme La Renaissance du Bénin avec ses barons, ce n’était pas facile. Mais elle l’a fait durant toutes ces années. C’est une dame qui portait en elle la rigueur et la douceur.
Jean-Roger Ahoyo, ancien ministre de Soglo
« C’est une femme de caractère, une femme de décision »
J’ai appris son décès avec une grande tristesse. Ayant travaillé pendant près de six ans avec le président Soglo, j’ai eu, plus ou moins, à collaborer avec madame Rosine Soglo. Je peux vous dire que c’est une femme de caractère, une femme de décision. Quand elle décide quelque chose, elle la met en pratique. Son courage se traduit par son franc-parler. Ce n’est pas courant en politique. Elle appelle un chat, un chat.
Elle a beaucoup collaboré avec son mari. C’est un couple qui fonctionnait parfaitement. Elle a dû beaucoup l’influencer. Rosine Soglo a un profil spécial. C’est une maitresse femme, une femme d’exception. Ça ne se rencontre pas tous les jours. C’est pourquoi elle a marqué les esprits. L’avenir dira si d’autres femmes pourront mener le combat qu’elle a livré au parlement.
Maxime Houédjissin, ancien député de la RB
« Elle a donné droit de parole aux femmes »
Notre collaboration a commencé en 1992 et ça n’a pas cessé jusqu’à son dernier jour. C’est même devenu des relations d’amitié. Il y a eu, à un moment donné, une virgule dont on n’a pas tenu compte, parce que nous sommes en politique.
Cependant, nous sommes restés ensemble jusqu’au bout. J’ai été un très proche collaborateur en tant que parlementaire. C’est elle qui m’a rapproché de son mari. Je suis d’ailleurs très proche d’elle et de ses enfants. C’est le désarroi qui m’anime. Je suis encore sous le choc.
Rosine Soglo est une femme de justice, une femme courageuse. Elle vous choque. Mais sachez que c’est ce qu’elle pense réellement. Ce n’est pas de l’animosité. C’est ce qu’elle pense. Quand vous prenez du recul, vous lui donnez toujours raison. Elle est le bras politique de la famille, et je crois que ça va manquer. Avec elle, vous avez une décision, que ça vous favorise ou pas. C’est elle qui donne la décision. C’est ce qu’elle dit qu’elle applique. Si elle se rend compte qu’elle est en erreur, elle va vous rappeler pour réviser.
C’est la femme du peuple. Rosine Soglo a donné droit de parole aux femmes. Mais c’est parce que politiquement, elle est lucide. Son décès est plus qu’une perte. On verra si dans la jeunesse montante, une femme va sortir du lot. Mais, je n’en trouve pas encore.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU
Martin Vioutou Assogba, président de l’Ong Alcrer
« Elle a toujours sa vérité à dire et c’est ce que j’aime chez elle… »
Je l’appelle la dame de fer, la dame qui normalement devrait être celle-là qui protège son mari, s’est protégée elle-même, d’abord parce qu’elle a fait la Une tout le temps, par rapport à ses prises de positions à l’hémicycle. Elle n’a peur de personne. C’est une dame de fer qui animait correctement l’hémicycle.
Pendant les grands jours de mon combat contre la gabegie, contre la mauvaise gouvernance de l’ancien régime, certains députés m’ont dit, M. Assogba, quand Madame Rosine Soglo ne serait plus à l’hémicycle, nous aurions souhaité que quelqu’un comme toi y soit, parce qu’on te voit jouer ce rôle-là. Un jour, je suis allé défendre les points de vue de l’Ong Alcrer sur le budget national au parlement. Quand j’ai fini de parler à la Commission des Finances cette année-là, Madame Rosine Soglo m’a dit, M. Assogba président de quoi, Alcrer là, je dis oui maman puisque tout le monde l’appelle maman, même les députés. Elle dit : «quel est votre problème tout le temps et vous ne faites qu’embêter par vos propos, dénonciations et vous venez même le faire ici à l’hémicycle».
Je dis maman, je suis de la société civile, nous avons le droit d’avoir un regard sur tout ce qui passe dans le pays, pour le bien-être de tout le monde, parce que vous même vous allez devenir société civile après, quand vous ne serez plus à l’hémicycle. Et elle conclut, «je dois avouer que vous faites du bon travail».
Personne n’a jamais assez d’avoir à côté de lui, ses parents, ses amis et certaines étoiles de la Nation. Elle en fait partie parce que même aveugle elle a continué toujours à aller à l’hémicycle pour donner ses points de vue. Je ne dirai pas que c’est regrettable parce que chacun de nous est appelé à mourir mais on aurait souhaité l’avoir en vie et en bonne santé et toujours heureux de l’entendre par rapport à ses prises de position. C’est une dame de fer, elle a toujours sa vérité à dire et c’est ce que j’aime chez elle. Nous présentons nos sincères condoléances à son mari, l’ancien président Nicéphore Soglo.
Je voudrais que les femmes qui sont dans la politique aujourd’hui lui emboîtent le pas. Il ne faudrait pas que les gens aient peur de parler, que les femmes aient peur de dire ce qu’elles pensent.
Propos recueillis par Arnaud DOUMAHOUN