Dessin industriel et dessin archéologique : aberration ou indigence du vocabulaire technoscientifique ?

Par La Redaction,

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La présente réflexion part de l’examen de différents champs lexicaux dans lesquels on fait usage de termes et d’expressions spécifiques parfois incongrus. Des exemples de groupes de mots ou locutions y sont exposés dans le but d’apprécier leur convenance ou non. L’attention est portée sur le cas des locutions « dessin industriel et dessin archéologique » qui suscitent quelques interrogations. Celles-ci sont placées chacune dans leurs champs lexicaux dans le but de les évaluer et d’apprécier leurs pertinences. Ce qui a permis de se rendre compte de leurs faiblesses et de proposer au terme de l’analyse, des expressions plus congrues à notre avis. La réflexion se présente comme une démarche visant à démystifier la recherche et à décoloniser le français que nous avons en partage.

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En archéologie, en mathématique et dans beaucoup d’autres domaines du savoir, on fait usage de termes et d’expressions plus ou moins spécialisés appelés jargons. Il s’agit de locutions spécifiques et propres à des domaines de la science. En archéologie d’une façon générale et particulièrement en préhistoire, on fait usage de telles locutions. Ainsi, on entend dire et on écrit : industrie lithique ; industrie extractive ; dessin archéologique, etc. Dans la plupart des cas, ces locutions ne font l’objet d’aucune controverse a priori.
Il en est ainsi parce qu’elles sont utilisées dans des contextes précis par des spécialistes des domaines concernés. Or, à y voir de près, certaines d’entre elles peuvent susciter des interrogations notamment chez le commun des mortels. C’est le cas de dessin industriel et dessin archéologique; groupe de mots abondamment utilisés dans des champs lexicaux précis. Bien que dessin industriel, dessin archéologique tout comme mobiliers archéologiques ne posent aucun problème de compréhension, une petite réflexion sur lesdites terminologies suscite tout de même quelques interrogations.
Alors, dans un contexte de mondialisation des connaissances où nous avons le français en partage et dans la perspective d’une harmonisation du vocabulaire scientifique et technique, une analyse grammaticale desdites locutions s’impose. Cet exercice voudrait susciter chez des enseignants et des universitaires une réflexion. Celle-ci vise à attirer l’attention du monde des chercheurs sur la pertinence des terminologies que nous utilisons dans le but de les évaluer dans l’espace et dans le temps. C’est pourquoi, le présent document se terminera par des suggestions dans la recherche permanente de nos capacités à innover et à adapter la langue française que nous avons en partage.

I. Exemples de champs lexicaux contenant des expressions congrues ou incongrues

Comme nous le disions à l’entame de cette réflexion, l’expression
« industrie lithique» est fréquemment utilisée notamment dans l’enseignement de la préhistoire. Industrie lithique désigne la série d’outils en pierre fabriqués et utilisés par les ‘’hommes ‘’ durant la préhistoire. Elle comprend donc les outils les plus grossiers depuis la pierre taillée jusqu’à la pierre polie en passant par les éclats et les galets aménagés. Son emploi fait en même temps allusion aux types d’Homo qui se sont succédé durant les différents âges de la pierre encore appelés paléolithique. Il s’agit entre autres d’Homo Erectus, d’Homo Habilis et de l’Homo Sapiens dont le volume de la boite crânienne est proche du nôtre…
«Industrie extractive» est par contre utilisée dans un autre champ lexical, plus précisément en métallurgie ou travail des métaux. Dans ce même champ lexical, on parle de mobilier archéologique, d’objet archéologique ou artefact pour désigner tout outil récupéré dans un contexte archéologique donné. Dans d’autres champs lexicaux, les expressions ou locutions paraissent moins congrues. C’est par exemple le cas d’imagerie médicale ; de procès historiques; de dessin industriel ; etc.
Ces derniers exemples paraissent moins convenables surtout lorsqu’on procède à l’analyse grammaticale des groupes de mots qui les construisent. Alors, à quel niveau se trouve leur incongruité ?

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II. Le niveau de faiblesse des locutions incriminées

Dessin industriel : en procédant à l’analyse grammaticale de ce groupe de mots, on en arrive à définir industrie comme production massive d’objets standardisés à l’aide de machines en un temps record. En principe, on n’y fait pas usage de force ou d’énergie humaine. N’y a-t-il pas donc matière à controverse quand on se trouve dans ce champ lexical ?…
Dessin archéologique : désigne la reproduction ou la représentation de l’objet ancien issu d’une fouille en archéologie. Il est une étape indispensable et indissociable du travail de fouille en archéologie. On le réalise à l’aide d’instruments appropriés appelés matériel de dessin…
«Dessin archéologique» suscite donc une interrogation quand on s’évertue à une analyse grammaticale du groupe de mots. En effet, archéologique est incontestablement adjectif épithète de dessin. Il se rapporte à dessin et le qualifie. De ce point de vue, on est en droit de se demander en quoi le dessin, c’est-à-dire la représentation d’un objet peut être aussi vieux que l’objet, lui-même. Puisque, le dessin en tant que représentation de l’objet n’a même pas l’âge de l’archéologue ou du dessinateur. C’est là où réside l’impertinence de dessin archéologique. C’est d’ailleurs pour éviter de telles confusions qu’on fait une nette différence entre le préhistorien entendu comme spécialiste de la préhistoire et le préhistorique qui désigne l’objet ou l’animal appartenant à la période…
De même, l’archéologue chargé de la fouille et dessinateur de l’artefact exhumé est-il d’un âge comparable à l’objet mis au jour? Serait-il exact de qualifier l’archéologue dessinateur d’archéologique du fait qu’il manipule les vieux objets ?
Devons-nous nous mettre dans la logique d’autres expressions courantes telles que : procès historiques ; discours historiques; conférences historiques, etc. pour faire allusion à des évènements qui ont encore cours? On comprend aisément que l’évènement qualifié d’historique est celui-là que l’on voudrait faire frapper de caducité pour l’inscrire en lettres d’or dans la mémoire collective.
Ce sont là autant de termes qui paraissent ambigus quand on ne les place pas dans leur contexte et leurs champs lexicaux précis. D’où la nécessité de proposer des terminologies innovantes dans le but d’échapper aux subtilités de la langue française.

III. Proposition et suggestion de terminologies plus ou moins congrues ou convenables

Au vu des interrogations que suscitent ou que pourraient susciter certaines locutions pour le commun des mortels, on peut suggérer des groupes de mots de compréhension meilleure; c’est-à-dire plus congrus ou plus convenables. Ainsi, en lieu et place de dessin industriel, on pourra utiliser par exemple et sans équivoque dessin en industrie. En effet, comme nous avons tenté de le démontrer plus haut, « dessin industriel » apparait comme un abus de langage. Il pourrait même susciter une confusion si chacun des mots du groupe est analysé séparément, puisque dans ce cas, industriel serait un adjectif épithète de dessin. Il qualifierait alors le mot dessin. Or, le contexte dans lequel il est utilisé ne lui attribue pas la fonction d’adjectif. Donc industriel ne qualifie point dessin.
En intitulant alors un cours ou une situation d’apprentissage : «dessin industriel», on semble fausser la donne. Car l’expression ne signifie nullement technique de dessin ; technique de représentation d’objet lorsqu’on se trouve dans le domaine de l’industrie. C’est pourquoi, il nous parait plus convenable d’écrire et de lire plutôt dessin en industrie.
C’est le même raisonnement que nous appliquons à la locution «dessin archéologique». En effet, dans le travail de l’archéologue, le dessin constitue une étape importante au terme des relevés de fouilles. Il est d’autant important dans la mesure où il apporte une autre dimension que le rapport de fouilles ne saurait préciser. En termes clairs, le dessin n’est pas qu’une simple reproduction de l’objet mis au jour. De par sa technique, le dessin apporte une explication sur les différentes caractéristiques de l’objet exhumé. C’est pourquoi l’archéologue dessinateur prend les précautions pour reproduire l’objet en le présentant sous toutes ses faces sur la base d’une échelle bien déterminée. En manipulant le conformateur, le compact, le crayon et la gomme sur papier millimétré, l’archéologue fait preuve d’une dextérité certaine …
La problématique que soulève notre réflexion ici réside dans la forme dessin archéologique, car ainsi présenté, le mot archéologique reste absolument épithète de dessin. Ce qui, à notre avis, est sujet à caution.
Dans le cas d’espèce, la question qui vient à l’esprit est de savoir si le dessin dans sa représentation la plus exacte possible peut se confondre à l’objet lui-même notamment du point de vue âge et ancienneté.
Dans une analyse caricaturée, on pourrait se demander si le dessin est aussi vieux que l’objet reproduit. L’archéologue dessinateur peut-il s’identifier ou s’aliéner à l’objet dessiné dont il n’est pas le concepteur ou l’inventeur originel? On ne peut répondre à ces questions que par la négation. C’est pourquoi en lieu et place de dessin archéologique, on pourrait également faire usage dans nos enseignements de «dessin en archéologie».
Le même raisonnement nous amène à proposer imagerie en archéologie. En entrant dans un autre champ lexical relatif à la médecine, on pourrait écrire et lire, imagerie en médecine en lieu et place d’imagerie médicale ; déontologie en médecine en lieu et place de déontologie médicale…
Dans le champ lexical qui concerne l’histoire, il parait plus convenable par exemple de dire et d’écrire un procès pour histoire en lieu et place de procès historique.
Il est important et utile de préciser que ce propos ne vise nullement à établir l’historicité de l’évènement procès. Bien qu’on parle de plus en plus d’une « histoire des temps présents », il s’agit là d’un discours qui s’adresse aux opinions publiques. Il n’a aucun rapport avec la mémoire collective des populations qu’il veut plutôt avertir et prévenir relativement aux enseignements ou leçons à tirer d’un procès qui démarre ou qui est en cours. Procès historique n’est donc pas comparable à ce que renferme l’historicité du procès de
Nuremberg du 24 septembre 1946 établi comme un fait historique.
Le même raisonnement pourrait être appliqué à « conférence historique » lorsqu’on évoque la conférence de Berlin du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 également établie comme un fait historique en comparaison à une conférence vue comme un évènement qui marquera dans le futur les opinions des populations…
A notre avis, il parait plus convenable de dire et d’écrire procès pour l’histoire et conférence pour l’histoire en tenant compte des objectifs visés par ces discours.
La réflexion à laquelle nous nous sommes librement soumis est d’essence purement épistémologique. Nous en avons fait une préoccupation à partir des années 90 quand nous faisions nos premiers pas dans la recherche en archéologie. La réflexion s’est davantage imposée à nous depuis que, en qualité d’accompagnateur au sein des équipes de chercheurs et d’archéologues expatriés et/ ou nationaux, nous avons eu le besoin de procéder à des mises à jour de nos connaissances dans le domaine de l’archéologie. Le présent document nous a été inspiré en 2017 au cours du 14e Colloque de l’Association Ouest Africaine d’Archéologie (Aoaa) à Accra au Ghana. En effet, l’occasion nous a été offerte suite à une communication présentée par un collègue Burkinabé et intitulée « Dessin archéologique…» C’est alors que nous avons attiré l’attention des panélistes quant à l’usage de l’expression dessin archéologique dans ce qu’elle peut soulever comme interrogation. Notre remarque ne visait nullement à discréditer ladite communication. Loin s’en faut! Nous l’avions perçue comme une contribution visant à harmoniser l’usage des terminologies techniques et scientifiques surtout dans la perspective d’une archéologie sans frontière. Elle doit être perçue aussi comme le droit d’une intelligentsia dans son désir de démystifier la recherche et de décoloniser le français que nous avons en partage.

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Par Dr Oumarou BANNI GUENE*

*Enseignant vacataire, Chargé de cours en Archéométallurgie au Dha à l’Université d’Abomey-
Calavi (Rép. du Bénin)
Chercheur indépendant