Il est formel sur le caractère exceptionnel de la Conférence nationale des forces vives de la nation de février 1990. Pour Dr Ebénézer Korê Sèdégan, enseignant-chercheur contemporainiste au Département d’Histoire et d’Archéologie et spécialiste de l’histoire politique et de relations internationales, point n’est besoin d’organiser une autre conférence nationale. Dans cet entretien, il revient sur ces assises qui ont marqué l’histoire de l’évolution politique du Bénin.
Que représente la Conférence nationale dans l’histoire politique du Bénin ?
La Conférence nationale des forces vives de la nation constitue un repère qui traduit une rupture dans l’histoire politique de notre pays. De l’indépendance jusqu’à 1990, il y a eu des séquences de l’histoire marquées par des événements majeurs qui déterminent les bornes chronologiques formant ainsi les différentes périodes de l’histoire politique de notre pays. Pour ma part, la fin de la période révolutionnaire a été marquée par une crise politique aggravée par une crise économique et financière. Cette situation a tôt fait de susciter des tensions sociales dans notre pays. En 1989, la situation a atteint son point culminant parce que l’Etat n’arrivait plus à honorer ses engagements vis-à-vis des travailleurs et des étudiants. En plus, il y avait des problèmes de répression et de musèlement. Une frange de la classe politique qui menait ses actions dans la clandestinité, en l’occurrence le Parti communiste du Dahomey était en proie à une répression farouche. La situation était devenue totalement délétère. Le pays était donc en situation d’insurrection. Le pouvoir était affaibli. Sous la pression des masses populaires organisées par les communistes et l’interférences de certaines puissances extérieures, le gouvernement militaire révolutionnaire a dû lâcher du lest pour accepter d’aller à un consensus national dont a pris l’initiative par lui-même. C’est ce qui a été matérialisé par la tenue de la Conférence des forces vives de la nation de février 1990. Ce grand rendez-vous historique a permis de faire le diagnostic des maux qui minaient le pays et de faire le procès du régime révolutionnaire accusé de tout et dont les pratiques liées à la gouvernance constituaient pour une grande part, les causes de la déliquescence de l’Etat et de la situation socioéconomique qui prévalait dans le pays. Il s’en est suivi des décisions courageuses qui avaient même tendance à balayer le régime révolutionnaire pour instaurer un nouvel ordre. En cela, la Conférence nationale revêt un caractère important aussi bien dans la vie de l’Etat que dans celle des citoyens. Elle marque une rupture d’avec l’ordre dit révolutionnaire pour mettre en place un nouvel ordre dans lequel nous évoluons jusqu’à aujourd’hui.
La conférence est donc intervenue dans un contexte particulier. N’y avait-il pas eu d’autres conférences nationales avant celle de février 1990 ?
Pendant la période précoloniale, l’Etat tel qu’il se présente aujourd’hui n’existait pas. Il y avait la royauté. Et les mœurs de l’Etat moderne sont différentes de celles de cette période-là. Donc il n’y a pas eu d’événements majeurs dignes du nom pour qu’on puisse établir la similitude avec la Conférence nationale de février 1990. Mais pendant la période post indépendante, c’est-à-dire à partir de 1960, il y a eu des situations qui ont conduit à des regroupements politiques pour les juguler. L’exemple que nous pouvons évoquer, même s’il n’avait pas la même connotation, c’est la rencontre de Savè de mai 1970 qui a accouché d’une charte instituant le Conseil présidentiel. C’était une rencontre initiée par le Directoire militaire mise en place après l’éviction le président Emile Derlin Zinsou en 1969, dirigé par le président Paul Emile de Souza. En fait, le Directoire militaire composé Paul Emile de Souza, Benoît Sinzogan et de Maurice Kouandété tous officiers de l’armée dahoméenne.. La départementalisation du scrutin a créé des troubles graves dans le pays. Il y eut au moins quatre morts à Parakou ; le pays était au bord de la guerre civile et beaucoup de ressortissants du Sud ont fui le Nord par crainte des violences qui s’y déroulaient. L’annulation du scrutin suite aux troubles a entraîné la vive réaction de Maga et de ses partisans qui ont menacé de faire sécession en rattachant le Nord-Dahomey au Niger. Les résultats officieux des élections publiés en Avril 1970, donnaient Maga gagnant contre Ahomadégbé, Apithy et Emile Derlin Zinsou. Face à l’impasse, le Directoire obligea les trois leaders à adopter une solution de compromis lors d’une rencontre de concertations houleuses organisées à Savè en mai 1970: les trois leaders décidèrent de passer à tour de rôle dans le fauteuil présidentiel à raison de deux ans chacun, à partir du 7 Mai 1970. C’est la formule dite providentielle du Conseil Présidentiel qui permet aux trois hommes de jouer simultanément un rôle de premier plan puisque les décisions y sont prises de façon collégiale mais, sous la conduite du Directoire militaire. C’est donc un exemple qu’on peut évoquer même si l’envergure de cette concertation a été moindre que la conférence nationale de 1990. Aussi, à partir de 1975, le régime avait commencé par avoir des problèmes, aussi bien à l’interne qu’à l’extérieur. Ce qui laissait déjà des stigmates très peu reluisantes qui allaient plonger le pays dans une catastrophe. En plus, il y a l’agression impérialiste du 16 janvier 1977 qui a permis au régime du PRPB de radicaliser le mouvement révolutionnaire en cours. De ce point de vue, le pays a connu une certaine décadence. Donc au niveau du Parti de la révolution populaire du Bénin, des voix s’étaient élevées pour demander des états généraux du pays afin de redéfinir les objectifs de la révolution et gérer certains problèmes internes. C’est ainsi qu’une conférence a été organisée en 1979. Cette conférence a abouti à des décisions et recommandations. Sauf que cette rencontre n’était pas revêtue d’une certaine souveraineté, c’est-à-dire qu’il n’avait pas de garantie pour que les décisions soient exécutoires. Conséquence : il n’y a pas eu d’issue.
En réalité, la tradition d’organisation des conférences pour discuter des affaires du pays ne remonte pas à 1990. Mais, la particularité de la conférence de février 1990, c’est la leçon tirée de l’échec des anciennes initiatives d’intérêt commun pour mieux l’organiser. Car la situation était plus tendue qu’avant.
Quels ont été les temps forts de la Conférence nationale ?
Pendant cette conférence, les délégués ont posé clairement leurs problèmes, leurs craintes, au cours de la troisième journée. Ils se sont surtout inquiétés de l’issue des décisions qui seront prises. Ce qui a conduit à une suspension. C’est au terme des tractations que la conférence a été déclarée souveraine. Et ce fut une deuxième étape majeure de cette rencontre.
L’autre étape, c’est celle de la volonté des délégués de changer le régime révolutionnaire au cours de la conférence. Elle a été marquée par la désignation d’un premier ministre chargé de conduire une transition d’un an pendant que le chef de l’Etat le Général Mathieu Kérékou allait assurer les fonctions présidentielles à titre honorifique et procéder à l’élaboration et à l’adoption d’une nouvelle Constitution du pays, la loi fondamentale de 1977 étant suspendue. Ce qui a été fait, le 11 décembre 1990. Par ailleurs, discours du Rapporteur général en la personne du professeur Albert Tévoèdjrè qui a présenté les actes de la Conférence nationale de manière très brillante a été une autre étape importante. Ce qui a suscité l’euphorie et l’enthousiasme de tout le peuple béninois aussi bien dans la salle de conférence de l’hôtel PLM Alédjo que dans les villes et les hameaux sur toute l’étendue du territoire national puisque l’événement était retransmis en direct par la radio nationale.
Certains pays ont tenté aussi des conférences nationales. Mais pourquoi n’ont-ils pas réussi comme le Bénin ?
La Conférence nationale du Bénin a fait école dans d’autres pays, notamment au Togo et au Zaïre, actuel République démocratique du Congo. Mais ces pays n’ont pas réussi pour plusieurs raisons. Entre autres, on peut noter la l’attachement des chefs d’Etat au pouvoir, contrairement au président Mathieu Kérékou qui avait accepté concéder une partie de ses prérogatives au premier ministre élu par les délégués à cette conférence. Il y a également le fait que ces conférences n’avaient pas été formellement déclarées souveraines comme au Bénin. Puis, on peut parler du non engagement des chefs d’Etat à exécuter les décisions de ces assises.
Des acteurs politiques réclament parfois la tenue d’une nouvelle conférence nationale. Cela est-il possible?
Il faut que les gens se renseignent sur l’histoire. La conférence de 1990 a été exceptionnelle. Il ne peut en avoir d’autres. C’est en cela qu’elle constitue un repère, une rupture dans l’histoire politique béninoise. Il y a eu des événements qui ont permis à cette conférence de se tenir et d’avoir les résultats connus. Par exemple, avant la conférence, l’Etat était en faillite et il y avait une cessation de paiement de salaires. En 1989, le gouvernement révolutionnaire avait tenté d’obtenir un Programme d’ajustement structurel pour gérer la crise. Mais nous ne sommes pas dans ce contexte aujourd’hui. Les travailleurs perçoivent régulièrement leurs salaires. C’est une erreur de penser qu’il faut convoquer une autre conférence nationale puisque toutes les conditions ne sont pas réunies comme ce fut à la fin des années 1980. Dans des situations données, on peut avoir des états généraux des secteurs clés de la vie du pays pour discuter de problèmes précis qui ne concernent pas forcément la politique et prendre des résolution idoines.