Après près de 130 ans, les trésors royaux retournent au Bénin, leur terre d’origine. Dans cet entretien, Dr Emery Patrick Effiboley, historien de l’art, muséologue et chef du département d’histoire à l’Université d’Abomey-Calavi, évoque la nature des objets, le contexte de leur enlèvement, les démarches politiques et administratives ayant conduit à leur restitution et comment les valoriser au mieux.
La Nation : Le Bénin rapatrie ce jour des objets royaux. De quoi s’agit-il concrètement ?
Dr Emery Patrick Effiboley : Ce sont 26 objets royaux, notamment des trônes, des statues zoo-anthropomorphes, des récades et autres partis du Bénin le 13 novembre 1893. Soit quelques jours après la chute du royaume de Danxomè. Ils sont partis comme trésors royaux et ils reviennent come patrimoine de la République du Bénin.
Ces objets font partie du patrimoine culturel et artistique d’Abomey et de toute la République du Bénin. D’ailleurs, il y a certains de ces objets qui ne reviennent peut-être pas aujourd’hui mais dont les gens à Abomey ont oublié la technique de fabrication. Faire revenir ces objets, c’est permettre de réintroduire dans les pratiques contemporaines des savoirs artistiques du Bénin qui ont été perdus.
Dans quel contexte ces objets royaux qui appartiennent pourtant au Bénin avaient été emportés ?
A la chute du royaume du Danxomè, quand Béhanzin s’était rendu à Dodds, il n’était plus propriétaire de son royaume. Le corps expéditionnaire a pris d’assaut tout ce qu’il y avait dans le palais royal. Il y a même le chercheur Marlène Biton qui a raconté comment cela s’était passé. Ils étaient rentrés dans le palais et chacun avait ramassé ce qu’il pouvait. Et c’est le colonel Dodds qui a reçu son titre de général à la faveur de l’exploit contre le royaume du Danxomè, qui a retourné au Trocadéro le butin de guerre. Puisque dans les pratiques de guerre, lorsqu’on vous envoie, vous devez donner la preuve que votre mission est concluante. Le colonel Dodds a rendu donc ces objets. Mais certains des militaires du corps expéditionnaire ont gardé des objets dans leurs maisons. Des objets dont leurs héritiers ne se servent pas.
En dehors de la France, des biens royaux béninois se retrouvent-ils dans d’autres pays ?
En dehors de la France, il y a des objets béninois ailleurs. Le partage de l’Afrique, tel qu’il a été fait au 18e siècle, c’était de scinder toutes les continuités culturelles qu’il y avait. C’est le cas par exemple de ceux qu’on appelle les Mina au Bénin et Ewé au Togo. Ils ont cassé les continuités culturelles. Ce qui faisait que chacun d’eux prenait ce qu’il retrouvait dans la partie qui lui est revenue comme territoire. Ce qui fait qu’en Grande-Bretagne, on peut bien retrouver des objets qui sont yoruba et qui appartiennent à la nation historique yoruba. Après cette séquence historique, vers la fin du 19e siècle, par exemple, on a retrouvé un très grand objet du Danxomè aux Etats-Unis d’Amérique. Donc il y a bel et bien des objets royaux du Danxomè un peu partout, au-delà de la France, en Allemagne, etc.
Parlez-nous des démarches qui ont conduit à la restitution de ces oeuvres.
Pour que les objets reviennent et que nous soyons en liesse comme nous le sommes aujourd’hui, il a fallu une longue démarche. Si nous parlons de restitution aujourd’hui, il faut rendre hommage à l’ancien ministre Roger Ahoyo qui est un petit-fils du roi Béhanzin de par sa mère. C’est lui qui, pendant de longues années, a travaillé pour réunir la documentation pour préparer minutieusement ce processus. Quand il a réuni la documentation, il a travaillé avec le Conseil des représentations africaines noires de France (Cran) dont le président était Patrick Lozès qui est Béninois. Puis quand Patrick Lozès a passé le témoin à Louis-Georges Tin, il était au Bénin l’année dernière pour faire encore bouger les choses.
Après cette dimension Société civile du projet de restitution qui a duré plusieurs années, il y a eu la circonstance favorable de l’arrivée au pouvoir du président Patrice Talon. A son accession au pouvoir, le projet a été introduit au ministre des Affaires étrangères Aurélien Agbénonci qui y a été très sensible. Dès qu’il en a compris les tenants et les aboutissants, il l’a porté au gouvernement qui l’a missionné pour faire une lettre à son homologue français Jean-Marc Ayrault le 26 août 2016. En décembre 2016, la France a donné une fin de non-recevoir à cette demande estimant que ces biens sont rentrés dans le patrimoine culturel français et sont frappés du sceau de l’inaliénabilité. Donc qu’il n’était pas possible que la France rétrocède les biens qui n’étaient pas les siens mais qui le sont devenus par la force de l’histoire. On en était là quand Emmanuel Macron a été élu président de la République française. Rappelez-vous qu’il est jeune, donc sa relation avec la colonisation, avec l’histoire est différente. L’autre avantage, c’est que Macron a été élève de l’Ecole nationale d’administration de France. Et dans ce cadre, il avait fait son stage au Nigeria. En ce moment, il venait souvent au Bénin en tant que jeune étudiant et parcourait entre autres les musées. Tous ces faits vécus lors de ses passages l’ont sensibilisé à considérer la démarche faite par la République du Bénin. Il a donc pris la décision d’agir. Le point fort de cette décision, c’est le discours mémorable qu’il a fait à Ouagadougou au Burkina Faso où il disait trouver indécent que le patrimoine africain se retrouve ailleurs qu’en Afrique et qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour que les filles et fils africains puissent avoir accès au patrimoine de leur continent. Evidemment, cette déclaration n’a pas été appréciée par l’élite culturelle française et européenne. Il a alors commis deux universitaires que sont Felwine Sarr et Bénédicte Savoy pour lui faire le rapport sur les biens culturels africains en France. Après un an de travail, ces deux universitaires ont déposé leur rapport en novembre 2018. Rapport dans lequel ils ont expliqué les circonstances dans lesquelles les objets étaient partis et proposaient qu’on rende un certain nombre de pièces au Bénin qui en a fait la demande. C’est à la suite de cette recommandation qu’il a été décidé de rendre 26 œuvres au Bénin. Mais puisque les biens étaient frappés du sceau de l’inaliénabilité, il fallait que le gouvernement français puisse avoir l’autorisation de l’Assemblée nationale et du Sénat français pour cette extraction de ces biens du patrimoine français. C’est après cette gymnastique légale et administrative qu’une loi a été votée et prend en compte les 26 œuvres du Bénin et le sabre d’El hadj Omar pour le Sénégal. La loi a été votée avec des conditions telles que le Bénin devrait faire dans les douze mois qui suivent tout ce qui était en son possible du point de vue des infrastructures et du contexte juridique afin que les conditions soient réunies pour qu’on lui rende les biens culturels. Le Bénin ayant déjà mis en place un comité de coopération muséale sous la présidence du professeur Nouréini Serpos, a travaillé également à réfléchir aux conditions objectives pour que les objets puissent revenir. Il a fallu regarder l’arsenal juridique, voir si le Bénin a signé toutes les conventions de l’Unesco, créer les cadres dans lesquels doivent être exposés les objets selon les standards internationaux, etc. Puisque le président Patrice Talon avait dit, à l’entame de son mandat, qu’il veut faire du tourisme un axe fort de sa politique de développement, il a lancé le projet de construction de plusieurs musées dont le musée de l’épopée des rois d’Abomey. Mais, ce dernier n’est pas encore construit. Il a fallu pour le moment restaurer le Fort portugais de Ouidah qui va accueillir les objets après la cérémonie qui se déroulera au palais de la présidence. Les objets resteront au Fort portugais deux ou trois ans, le temps que le musée d’Abomey soit réalisé.
Voilà le parcours qui a conduit à la restitution qui nous plonge dans une liesse populaire aujourd’hui. Effectivement, nous avons raison d’être contents car c’est un grand événement historique.
Les œuvres sont là. Comment les valoriser au mieux ?
Les œuvres qui reviennent vont compléter l’existant. En dehors du tourisme qui sera favorisé, il y a une dimension pédagogique. Ces œuvres d’art sont originellement de Danxomè. Mais Danxomè en tant qu’entité politique n’existe plus. La République du Bénin est donc héritière des entités politiques comme celles des royaumes de Danxomè, Kétou, Nikki, etc. Elle a donc l’obligation de faire perpétuer ces biens culturels. C’est pourquoi le Bénin, à travers le président de la République, a pris le devant pour faire revenir ces biens. Puisqu’ils sont là, nous avons l’obligation de faire en sorte que ce patrimoine soit partagé. Pas seulement pour les touristes. Mais il faut qu’on puisse transmettre ce patrimoine à tous les jeunes béninois pour qu’ils se sentent propriétaires de ces biens. C’est d’ailleurs à juste titre que ces objets vont passer par le palais de la République pour une cérémonie symbolique de nationalisation. Une manière de faire en sorte que tous les Béninois se sentent concernés et se sentent propriétaires de ces biens culturels.
Après cette formalité festive, il faudrait dans les programmes pédagogiques construire des supports pour introduire ces objets d’art afin que les jeunes puissent se les approprier. C’est là le véritable défi. Il s’agit de faire en sorte que l’importance de ces œuvres soit partagée et enseignée dans nos écoles et universités. Quand on l’aurait fait, on se serait assuré de la pérennité de ces biens culturels.