Chaque crise est une opportunité. C’est ce que pense Francis Kossi, président du comité de développement industriel du Bénin. Tout en saluant les diligences accomplies par le gouvernement pour amortir les chocs, le directeur général du groupe Homintec fait des suggestions.
La Nation : La crise économique engendrée par la Covid-19 ne fait que s’accentuer avec la guerre en Ukraine. Comment appréciez-vous les mesures prises par le gouvernement pour amortir les chocs ?
Il faut d’abord comprendre la nature de cette crise qui nous a projeté une trappe inflationniste poussée. Il y a plusieurs événements géostratégiques et économiques à prendre en compte. Il faut remonter à 2007 à la crise des subprimes qui a engendré l’éclatement de la bulle immobilière. Une régulation a été tentée par la banque centrale, mais on n’avait pas fini de résoudre cette crise quand soudain en 2019, nous avons connu cette pandémie de Covid-19. Cette crise a une particularité. Non seulement elle a touché l’offre, mais aussi la demande. C’est une crise qui a non seulement bouleversé le secteur industriel dans sa productivité mais qui a touché au même moment le consommateur qui a du mal à trouver les ressources. Quand on arrive réellement à ce couple, on assiste à une crise aux conséquences très graves sur l’économie.
Pour revenir à votre question, il faut comprendre que le gouvernement est en train de faire un travail énorme depuis 2016. Nous sommes en train de le voir à travers plusieurs réformes qui nous ont permis d’arriver à ce résultat. Il y a eu cet appui, ce dopage du secteur par le gouvernement. Je peux représenter cela comme une femme qui lors de son accouchement, reçoit 100 000 F Cfa d’un bonhomme qui entre dans la salle, pendant que la famille cherche les moyens pour régler la facture. C’est la même chose que le gouvernement est en train de faire pour que nous ne puissions pas trop sentir les effets. Il s’agit de doper l’économie réelle. Le gouvernement n’a pas un rôle régalien de frapper de la monnaie. Mais, il a fait un effort sur la base de notre contribution à l’économie. C’est un soulagement, mais on va toujours sentir cette crise. C’est une façon de nous aider à ne pas trop sentir les douleurs de l’enfantement. Une fois l’enfantement a eu lieu, on pourra se souvenir qu’un monsieur est passé et nous a aidés. Du coup, plusieurs pays n’ont pas su doper l’économie réelle. Mais le Bénin l’a fait de façon manifeste. Nous apprécions cette action du gouvernement pour nous aider dans cette crise profonde.
Comment pensez-vous qu’on peut faire face à la crise dans la durée ?
Il revient plutôt à l’économie réelle de pouvoir prendre un départ. L’économie réelle, c’est ce que nous vendons, c’est la transformation de ce que la nature nous donne. Il faut faire remarquer que nous sommes à la phase initiale de cette crise qui sera plus frappante dans les années à venir. Nous devons serrer doublement nos ceintures. Ce sera difficile pour la population mondiale. Avec ses réformes, le Bénin va peut-être dandiner pendant que les autres seront pratiquement à l’agonie. Au niveau des opérateurs économiques, ce sera difficile. Parce qu’il faut d’abord produire pour que ça soit consommé. Mais si la population n’a pas les moyens, nous aussi nous sommes ratatinés par les banques. Pour que les industries puissent rebondir autrement, il faut nécessairement qu’on puisse avoir un allègement bancaire, au niveau de la Fintech, au niveau des banques institutionnelles, les banques classiques d’épargne et de prêt pour ouvrir le marché afin que nous puissions continuer à répondre aux besoins en consommation. Il faut que les populations puissent avoir les moyens de payer du gari. Mais il nous faut aussi pour en produire. Il nous faut de l’énergie dont les prix flambent. Il faut nécessairement trouver le juste moyen pour que le consommateur ne soit pas en agonie et que ce que nous produisons à un coût élevé soit aussi consommé.
Comment trouver le juste moyen que vous appelez de tous vos vœux ?
Aujourd’hui, il ne revient pas seulement au gouvernement de dire que nous voulons aller là. C’est une directive qu’il donne, met les moyens et les plateformes nécessaires en place pour l’émergence économique. Mais quand vous avez un décrochage entre les actifs financiers, qui ont été tellement si hauts ces derniers temps, et l’économie réelle, vous êtes en pleine crise. Le gouvernement ne pourra qu’activer davantage le secteur privé qui crée de la richesse, lui permettre de sortir les leaders pour soutenir l’économie réelle. Pour aller vers l’industrialisation, ça ne se fait pas à un coup de baguette. Il faut une préparation d’avance. Il faut comprendre la révolution industrielle qui a commencé dans les années 75, qui sera dédoublée par un microprocesseur qui fera mariage avec la téléphonie mobile pour donner l’internet. C’est un outil exceptionnel pour la jeunesse qui doit booster l’économie. C’est la jeunesse qui doit porter l’économie dans plusieurs secteurs, dont le secteur agricole. Il y a énormément des possibilités pour que nous puissions doper ce secteur. Mais en le faisant, nous avons encore un autre défi majeur à relever.
Lequel ?
Nous devons produire assez. Et pour cela, il faut l’énergie pour augmenter le rendement. Mais il se peut que, selon le rapport du Giec, en augmentant l’énergie fossile pour produire, nous détruisions en même temps l’écosystème et les conséquences du dérèglement climatique se retournent contre nous. C’est comme l’animal qui mord la queue. Il faut à un moment donné, une politique consciencieuse, écologique et réfléchie. On réfléchit en tenant compte de notre environnement pour voir quel type d’énergie utiliser pour pouvoir booster notre industrialisation. D’où la nécessité d’aller vers cette transition écologique. Mais ce ne sera pas facile. Le Bénin seul n’y pourra pas. Nous ne sommes qu’une infime partie dans ce maillon, ceux-là qui sont à l’origine de la dégradation de notre écosystème. Il faut que ce soit dans une dynamique mondiale.
Pour finir, cette crise n’est-elle pas une opportunité ?
Chaque crise a toujours généré des opportunités. Toutes les crises ont fait des multimilliardaires. Il y a toujours ceux qui en profitent. La pandémie de Covid-19 a permis une augmentation gigantesque des actifs financiers. On aura toujours ce scénario et finalement, vous aurez une classe qui va s’enrichir, celle qui sera éveillée. Nous devons faire du Bénin cette classe qui va profiter de cette crise qui est indéniable. Nous pouvons booster notre économie autrement à travers l’innovation, les technologies. Nous pouvons faire de Cotonou, une plateforme de business. Dans des crises pareilles, vous trouvez les moyens pour que les autres puissent ramener leurs ressources chez vous. Ça, c’est de l’intelligence économique. Ce sont des choses qu’il faut étudier. Notre situation géostratégique permet de le faire, à côté du Nigeria, le géant africain. Le Bénin peut devenir une plateforme business pendant cette crise. Nous avons la chance que notre président, Patrice Talon, préside l’Uemoa. Je pense qu’avec son intelligence, il va générer ce potentiel économique pour que notre pays puisse bénéficier de cette crise et qu’après nous puissions rebondir autrement.