Lorsqu’on parle de blanchiment de capitaux, de nombreuses gens y voient une pratique réservée aux grandes sphères économiques, une infraction inexistante, du moins insignifiante au Bénin. Or le mal est bien de coutume au Bénin qui s’est doté en juillet dernier d’une loi pour en réprimer les auteurs. Le blanchiment de capitaux est l’une des infractions dont la répression est confiée à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme. Le procureur spécial de la Criet, Gilbert Ulrich Togbonon, explique.
La Nation : Comment le législateur définit-il l’infraction que constitue le blanchiment de capitaux?
Gilbert Togbonon : Le blanchiment de capitaux est une infraction régie par la loi 2018-17 du 25 juillet 2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en République du Bénin. Il faut dire que c’est une loi communautaire qu’utilisent tous les pays de l’Uémoa. C’est donc une convention que le Bénin a internalisée dans son droit positif. C’est l’article 7 de ladite loi qui définit le blanchiment de capitaux. Le législateur stipule: « Aux fins de la présente loi, sont considérés comme blanchiments de capitaux, les agissements ci-après et qui ont été commis intentionnellement: la conversion ou le transfert de biens par toute personne qui sait ou qui aurait dû savoir que ces biens proviennent d’un crime ou d’un délit ou d’une participation à un crime ou délit, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ces biens ».Il s’agit donc d’un bien provenant d’une origine illicite que vous savez mais que vous mettez sur le marché pour faire croire qu’il s’agit d’argent propre. Le législateur poursuit :« Il y a également la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement ou de la disposition, du mouvement ou de la propriété réelle de biens ou de droits y relatifs, par toute personne qui sait ou qui aurait dû savoir que ces biens proviennent d’un crime ou d’un délit ou d’une participation à un crime ou délit». Le blanchiment de capitaux, c’est également l’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens dont celui qui s’y livre sait ou aurait dû savoir au moment où il les réceptionne, que ces biens proviennent d’un crime ou d’un délit ou d’une participation à un crime ou délit. La connaissance ou l’intention en tant qu’élément de chacune des activités que j’ai citées peuvent être déduites des circonstances factuelles, objectives du délit ou du crime. Si vous achetez une maison alors que vous savez bien que c’est l’argent de la drogue qui a construit cette maison. Ou vous prenez l’argent de la drogue pour acheter une voiture de luxe, vous la conduisez un peu, puis vous la vendez pour en modifier l’origine. Or vous savez bien que l’argent qui vous avait servi à acheter la voiture provient d’une source illicite… C’est du blanchiment de capitaux. Le blanchiment de capitaux, c’est aussi la participation à l’un de ces actes que je viens de citer, le fait de s’associer pour les commettre, de tenter de les commettre, d’aider ou d’inciter quelqu’un à les commettre ou de le conseiller à cet effet ou même de faciliter l’exécution d’un tel acte. Il y a blanchiment de capitaux même si cet acte est commis par l’auteur de l’infraction ayant procuré les biens à blanchir ou si les activités qui sont à l’origine des biens à blanchir sont exercées sur le territoire d’un autre Etat membre ou celui d’un Etat tiers. Donc même si vous utilisez l’argent de la drogue à Lomé ou au Burkina Faso et que l’on constate, il y a blanchiment de capitaux. Et vous savez, le blanchiment favorise le financement du terrorisme. C’est pourquoi ces deux infractions sont liées. Le blanchiment de capitaux et le terrorisme empêchent la stabilité économique des pays.
Doit-on comprendre qu’il s’agit d’une stratégie souvent utilisée par tous ceux qui font fortune illicitement ?
Bien-sûr ! C’est une pratique bien courante chez les opérateurs économiques. Par exemple, vous avez une société et vous ne payez pas les impôts, ou vous ne vous déclarez pas. On constate que le surplus que vous gagnez, vous le mettez autrement dans le circuit en construisant des infrastructures sociocommunautaires, en construisant de belles maisons, en achetant des voitures, en faisant des dons, en créant des Ong… C’est du blanchiment de capitaux. Vous montrez que vous êtes quelqu’un de généreux alors que c’est grâce aux activités illicites que vous faites votre beurre. Et il revient au procureur spécial de s’intéresser à tous ceux-là.
Est-ce une infraction courante au Bénin ?
Oui le blanchiment de capitaux est une infraction courante au Bénin. Il y a des gens qui font sortir de l’argent ou qui reçoivent de l’argent qu’ils ne peuvent pas justifier. On déclare que l’on veut acheter des véhicules et que l’argent quittera le compte A, mais on constate que les véhicules ont été achetés avec d’autres sous et que le compte A, a plutôt servi à faire autre chose. Pour empêcher de comprendre l’origine des sous sur le compte A, on multiplie des opérations sur ce compte. Ce sont des manœuvres bien réelles au Bénin. Et quand on est dans un pays où l’argent fait défaut à tout le monde et que l’on poursuit les personnes qui se livrent à de tels actes, les gens disent : « Mais c’est lui qui a son argent non!». Or le blanchiment de capitaux désorganise l’ordre public économique. Aujourd’hui, on dit que l’argent ne circule plus, mais on ne dit pas que celui qui travaille régulièrement ne trouve pas de l’argent ! Il faut comprendre que si l’argent facile ne circule plus, c’est qu’à un moment donné, on avait injecté de l’argent qui n’est pas issu de la sueur du front et qu’aujourd’hui ce n’est plus possible. Et personne ne se demandait si l’argent qu’on distribue a quitté le front, la sueur de ceux qui distribuent. Donc la loi sur le blanchiment de capitaux nous amène à voir de plus en plus ceux qui distribuent ces sous pour qu’ils nous disent leur origine. Celui qui a souffert et travaillé ardûment pour gagner son argent, sera-t-il capable de distribuer à tous ceux qui font des réunions en son nom? Bref, c’est une loi qui nous permet de mettre de l’ordre sur le plan économique.
Que prévoit la loi à l’encontre des auteurs de blanchiment de capitaux ?
Le législateur à l’article 113 de la loi 2018-17 du 25 juillet 2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en République du Bénin a prévu plusieurs peines à l’encontre du blanchisseur. Ces peines, quand il s’agit d’un délit, vont de trois ans à sept ans de prison et une amende égale au triple de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment. La tentative est également punie. Quand il s’agit d’un crime, la peine d’emprisonnement peut aller jusqu’à quatorze ans. C’est ce que le législateur a prévu.
Propos recueillis par Anselme Pascal AGUEHOUNDE