Des professionnels de la santé accompagnent les nombreuses réformes mises en œuvre, depuis l’avènement du régime de la rupture, pour le développement du secteur. Dans cet entretien, Dr Lafia Machoudou, Ceo de Medecins à domicile Bénin (Medom-Bénin) lève un coin de voile sur la prise en charge médicale en ambulatoire, et un modèle économique innovant qui allie sécurité sanitaire et promotion de l’emploi.
La Nation : Qu’est-ce qui vous a motivé à inviter la prise en charge médicale en ambulatoire ?
Dr Lafia Machoudou : Les raisons sont multiples. Il y a quelques années, quand je prenais encore des gardes dans les cliniques de Cotonou, j’ai fait le constat que les familles qui voulaient une prise en charge de leur parent grabataire devaient soit passer beaucoup de coups de fil à des proches à la recherche de quelqu’un qui connaît un médecin, soit ils devaient se déplacer dans un centre de santé pour demander qu’un médecin les suive à leur domicile. C’est une perte de temps qui retarde la prise en charge du malade. Par la suite, j’ai eu connaissance d’un patient décédé d’une crise d’asthme, seul chez lui. Les amis qu’il avait appelés n’étaient pas disponibles pour l’emmener à l’hôpital. Tout ceci m’a, entre autres, conforté dans l’idée de lancer Medom-Bénin. Notre patientèle est variée mais nous sommes énormément sollicités auprès de personnes âgées dépendantes ou non. Aujourd’hui, dans notre pays, Medom-Bénin est le premier réseau de professionnels de la santé offrant une prise en charge médicale en ambulatoire. Dans un contexte où des personnes non qualifiées se font souvent appeler ‘‘docteurs’’ dans les quartiers, nous sommes donc un gage de la sécurité des soins en ambulatoire, car en amont nous nous assurons de la qualification des professionnels de la santé qui veulent intégrer le réseau.
Quels sont les obstacles à la mise en œuvre efficiente de cette option ?
Rien n’est facile. Mais nous réfléchissons à résoudre les difficultés que nous rencontrons au cours de cette expérience. Cela nous a amenés à mettre en place de nouveaux services pour faire face à ces difficultés. Force est de constater par exemple, que fréquemment, les familles nous demandent de différer notre intervention, car soit le patient est seul à la maison ou juste avec la domestique qui ignore tout de l’histoire de la maladie. Dans ces cas, nous attendons le soir ou quand un membre de la famille arrive à se libérer de ses occupations pour passer. De même, il n’est pas rare que les familles nous posent les problèmes qu’ils rencontrent dans le cadre de l’hygiène des patients âgés. Parce qu’il s’agit d’une question de dignité humaine. Nous avons donc démarré le service d’accompagnement et d’aide à domicile à l’endroit des personnes âgées, des personnes en situation de handicap, mais aussi le service de garde-malade pour soulager les familles lors des hospitalisations à domicile ou dans les cliniques et hôpitaux.
Aussi, depuis l’avènement de la Covid-19, nous nous sommes attelés à nous tourner vers le numérique en digitalisant tous nos services et plus encore. Ceci nous permet d’être plus efficients dans nos interventions mais aussi de contribuer à la mise en place, dans notre pays, d’une offre de soins plus résiliente. Je peux évoquer le call center Allo Doto, notre plateforme de téléconseil médical qui permet aux populations du Bénin de discuter gratuitement avec un infirmier ou un médecin. En matière de e-santé, notre application Medom va révolutionner la santé numérique au Bénin. C’est dire que nous nous battons au quotidien pour accompagner les réformes mises en œuvre au sommet de l’Etat dans notre domaine de compétence pour le bien-être de nos concitoyens.
Des patients sont souvent assistés par leur entourage familial en cas d’hospitalisation. Pensez-vous qu’il faudra remettre en cause cette pratique ?
En effet, nous observons une présence excessive de l’entourage familial dans les structures sanitaires de notre pays. Il s’agit de comportements à risques ayant de nombreuses conséquences. Sur le plan sanitaire, on peut légitimement se poser des questions à savoir quelle est la part de cet afflux quotidien de personnes pas ou peu protégées dans le pronostic des patients hospitalisés. Quelle est la part de ce séjour ou de cette présence des parents en milieu hospitalier, dans ces conditions, dans la survenue future d’évènements de santé au sein de ces familles ? Quels rôles jouent les familles dans la diffusion intra-hospitalière de certaines pathologies ? Vous convenez avec moi que le plateau technique n’explique pas tous les décès dans les structures sanitaires de notre pays. De même, les décès en série au sein d’une même famille après le séjour d’un proche à l’hôpital ne sont pas du fait des sorciers comme le pensent les populations.
Sur le plan socio-économique, cette situation favorise la paupérisation des familles dans la mesure où, suivant la durée de l’hospitalisation du patient, des membres de la famille arrêtent leurs activités génératrices de revenus et sont donc coupés pour un temps plus ou moins long du monde social extérieur. Parfois, en l’absence de disponibilité d’un adulte, il n’est pas rare que des enfants soient déscolarisés ou retirés de l’apprentissage de leur métier pendant la durée de l’hospitalisation.
Pendant ce temps, de nombreux professionnels de la santé issus des filières de formation paramédicales ne travaillent pas et vivent de petits boulots comme la tenue de kiosque de transfert d’argent communément appelé mobile money. Certains vendent des tissus, des chaussures, des bijoux ou d’autres articles en ligne. Ce phénomène commence à toucher les médecins.
Que proposez-vous alors face à ces constats ?
Ces constats ne sont pas nouveaux. Je les vis au quotidien depuis trois ans. Pour y faire face, j’ai expérimenté différentes approches de solutions. J’en suis donc arrivé à un modèle économique socialement acceptable que j’ai expérimenté au sein de Medom-Bénin. Je pense que le passage à l’échelle de ce modèle pourrait contribuer à résoudre les problèmes évoqués précédemment et créer des emplois dans notre pays.
Qu’est-ce qui fonde cette conviction ?
Depuis 2019 que Medom-Bénin existe, nous intervenons dans plus de 2 500 familles avec à la clé, des emplois créés. Notre objectif à ce jour n’a donc pas été de faire du chiffre d’affaires mais de trouver la meilleure organisation pour faire face aux défis de notre secteur. Nous pensons qu’il faut démultiplier ce modèle économique innovant et inédit mis en place par Medom-Bénin. Nous nous y sommes engagés. Cela permettra à terme de créer dans le secteur médical au Bénin, 600 emplois dans l’immédiat et jusqu’à 1 200 emplois d’ici 2 ans. Il ne s’agit pas d’emplois précaires. Ces emplois bénéficieront donc de tous les avantages sociaux. Dans l’immédiat, seront concernés les profils allant du niveau Bepc au Bac + 3, donc les licences, puis dans un second temps, ce sera le niveau Bac + 7,
c’est-à-dire les docteurs. La création de ces emplois permettra non seulement un financement innovant des hôpitaux et structures sanitaires, mais aussi mettra en évidence la manifestation d’une solidarité exceptionnelle dans la prise en charge des populations défavorisées dans notre pays.
Quand on connait l’environ-nement dans lequel évoluent les start- up, êtes-vous certain de disposer des moyens de vos ambitions ?
Comme vous l’avez compris, tout cela nécessitera une organisation dont je ne dispose pas actuellement à Medom-Bénin. Comme la plupart des start-up, nous rencontrons des difficultés qui ne sont pas nécessairement de nature financière. A notre niveau, le problème est beaucoup plus organisationnel. Nous savons où nous allons, comment y aller, de quels profils de compétences nous avons besoin pour arriver à destination. Mais nous n’avons malheureusement pas les moyens de nous offrir ces compétences en raison des charges que cela engendrerait. Nous avons donc surtout besoin d’un accompagnement technique. Pour la concrétisation de ce projet, nous sollicitons l’accompagnement du gouvernement béninois et des partenaires techniques et financiers qui travaillent sur les Objectifs de développement durable, en l’occurrence sur les problématiques d’élimination de la pauvreté, de la santé et de la promotion du bien-être mais aussi de réduction des inégalités.
En cas de réponse favorable du gouvernement béninois, dans un premier temps, nous suggérerons qu’une commission composée de cadres du ministère de la Santé, du ministère du Travail et du ministère de l’Economie écoute mon équipe et moi. Il serait souhaitable qu’un cadre de la Cnss soit dans la commission. Pour les partenaires techniques et financiers qui seraient intéressés par ce que nous faisons, je laisse à leur discrétion la composition des profils qu’ils peuvent mettre à notre disposition. Nos échanges avec les différentes parties prenantes vont certainement permettre de peaufiner ce modèle économique à vocation sociale puis de convenir de sa mise en œuvre.
Quel est votre chronogramme, en cas de réponse favorable, pour démultiplier votre modèle ?
C’est une question difficile. Je fais certainement un travail exceptionnel à une petite échelle mais il n’est pas exclu que d’autres structures ou organisations fassent pareil dans leur domaine. Nous ne sommes donc pas les seuls. Le gouvernement est certainement très sollicité, de même que les différents partenaires techniques et financiers. Ils ont, par ailleurs, leurs priorités en fonction de leur programme d’action ou de leur agenda. Au cas où ce que fait Medom-Bénin intéresserait le gouvernement de notre pays, je pense que nous nous adapterons à leur chronogramme. Il en est de même pour les différents partenaires. Et s’il m’était permis de donner une idée du temps nécessaire pour implémenter tout ce que je viens de vous exposer, je dirai que j’ai besoin de deux mois.
Quel est votre mot de la fin ?
Je remercie le président Patrice Talon et son gouvernement pour l’effort continu qu’ils font pour assainir le milieu des affaires, surtout le secteur de la santé pour ce qui me concerne. On pense à tort que l’assainissement d’un secteur d’activité détruit des emplois. Vous convenez avec moi que c’est bien le contraire. Cela permet plutôt d’avoir un cadre sain, une base légale plus sûre. Tout cela permet de créer des emplois de façon sereine. Comme vous le savez, pour son développement, le Bénin doit compter sur ses ressources humaines. J’exhorte le gouvernement à investir davantage dans la détection des talents, ces jeunes qui, dans leurs domaines d’activité, arrivent à implémenter des solutions innovantes.