Le secteur est nouveau au Bénin, beaucoup ne s’y hasardent pas pour l’instant. Ismène Ahamidé Zounmènou s’y est lancée depuis 2016 et de toute évidence, elle a trouvé son chemin. Elle est aujourd’hui l’une des rares femmes opérant dans le secteur des énergies renouvelables au Bénin, avec pour ambition, de contribuer à la réduction de la disparité énergétique et au développement des localités isolées.
Chef de plusieurs entreprises, responsable d’Ong, mère de famille, Ismène Ahamidé se consacre aujourd’hui beaucoup plus au secteur des énergies renouvelables. Un groupe de mots au contenu peu accessible à un profane. A priori, rien ne prédestinait cette jeune diplômée de l’Ecole nationale d’économie appliquée et de management (Eneam) à ce type d’emploi. Spécialiste de la gestion commerciale, elle s’est très tôt insérée dans le monde professionnel où quatre ans durant, elle a mis son savoir-faire au service d’entreprises à fortes expertises dans les domaines des télécommunications, de la construction, des travaux publics et des énergies renouvelables. C’est donc en début de carrière qu’elle a été en contact avec le secteur, précisément lorsqu’elle a rejoint en août 2009, la West african infrastructure organisation. Une entreprise qui avait pour ambition de construire une centrale solaire à biomasse de 3Mw à Kandi. « On a travaillé sur tout le projet et la mobilisation des financements mais en ce moment, l’environnement béninois n’était pas propice à l’électrification hors réseau parce qu’il n’y avait pas encore de cadre réglementaire ni de dispositif favorisant l’investissement privé dans ce domaine », explique-t-elle. Les autorisations que l’entreprise devait avoir pour démarrer ses activités peinaient à voir le jour. Lasse de tourner en rond et en dépit du salaire intéressant qui lui était payé, Ismène finira par démissionner pour se lancer dans d’autres activités.
Ismène Ahamidé crée d’abord une organisation non gouvernementale « Fate in hand » dans le but de contribuer à l’autonomisation des filles mères dans le besoin. Elle s’investit par la suite dans la production d’eau et de jus de fruits et la commercialisation de produits divers pour le compte de sa propre entreprise. Ce parcours d’entrepreneur ne s’est pas fait sans difficultés mais le déclic pour le secteur des énergies renouvelables interviendra lors de son voyage aux Etats-Unis d’Amérique.
Briser les limites
Nominée en tant que femme entrepreneure, elle participe en 2015, à l’African Women’s Entrepreneurship Program aux Etats-Unis. « Ce que j’ai vécu là-bas comme expérience et formation m’a complètement transformée et a fait de moi une autre femme entrepreneur. Ça a développé ma vision sur un certain nombre de choses et a brisé les limites que j’avais en moi ». De ses échanges avec l’ambassadeur du Bénin aux Etats-Unis à qui elle a rendu visite à la fin de la formation, l’idée d’investir dans les énergies renouvelables est née et ne tardera pas à se concrétiser. De retour au pays et ayant appris la mise en place prochaine d’un cadre réglementaire favorisant l’investissement privé dans le secteur des énergies renouvelables, elle n’a pas hésité à saisir cette opportunité. Et déjà en 2016, la société a été créée. « Je ne suis pas venue dans le secteur par hasard car ayant déjà travaillé dans des structures techniques », déclare cette passionnée du développement de solutions alternatives en matière d’énergie au Bénin.
A travers sa société, Ismène Ahamidé se positionne aujourd’hui comme un acteur majeur dans les domaines des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique, de l’ingénierie électrique, de la maintenance et de la formation. En témoignent ses réalisations au Bénin et au Ghana.
Etre une femme dans un tel secteur peut s’avérer à la fois un handicap et un atout. « J’ai déjà entendu des gens me demander ce que je cherchais dans ce secteur, que ma place était au marché. C’est aussi un atout car il n’y a pas beaucoup de femmes dans le secteur, ce qui fait que mes efforts sont très vite valorisés », affirme-t-elle. Mais cet atout ne lui donne pas un avantage particulier par rapport aux hommes. « Sur un dossier, on ne me traite pas différemment parce que je suis une femme. J’arrive à décrocher des opportunités parce que je prouve que je suis capable autant que les hommes de le faire. J’ai compris très tôt que je n’aurai aucune faveur liée à mon statut de femme », soutient-elle. L’essentiel pour le partenaire étant de démontrer qu’on a la capacité de faire le travail pour lequel on est sollicité, elle doit mettre, autant que les hommes, les bouchées doubles pour gagner des opportunités d’affaires. Décidée à évoluer dans ce secteur, elle a dû mettre à jour ses connaissances à travers des formations qualifiantes en conception et exploitation des systèmes photovoltaïques autonomes au Centre des métiers de l’électricité (Cme) de la Côte d’Ivoire.
Un pied dans le social
Tout en s’investissant dans le développement des énergies renouvelables, Ismène Ahamidé n’a pas abandonné ses autres activités. Elle est également présente dans l’agroalimentaire à travers la production de jus de fruits, la distribution de divers produits et dans les télécommunications. Pour l’ensemble de ses entreprises, c’est une soixantaine d’emplois permanents et des dizaines d’emplois occasionnels qu’elle a créés.
Au-delà de l’entrepreneuriat, elle est aussi un acteur social qui œuvre pour le bien-être des couches défavorisées, les femmes en particulier. A travers l’Ong « Fate in hand » qu’elle a créée en 2010, elle a mis en place une unité d’ensachage d’eau appelée « pure water » au profit des filles mères.
Au sein de l’association des bénéficiaires du programme américain (Awep), elle partage ses expériences. Elle a contribué à former plus de 1000 jeunes filles en entrepreneuriat, 94 femmes en énergie solaire photovoltaïque.
Désormais au fait de la réalité énergétique dans son pays et de la faible présence des femmes dans ce secteur, elle met en œuvre des projets pour le développement local et incite les jeunes femmes à s’intéresser à ce domaine. C’est ainsi qu’elle a initié, par le biais de l’Ong, un programme de formation des femmes en énergies avec l’appui de l’ambassade des États-Unis d’Amérique à Djougou et un autre à Parakou soutenu par la Coopération suisse. Grâce à ces formations, précise-t-elle « Des femmes peuvent installer des systèmes solaires domestiques, réparer les portables, installer les antennes paraboliques ; dans la plupart de ces zones, les gens ont de difficultés à avoir ce genre de techniciens ».
Les femmes invitées à développer leur potentiel
Selon elle, les énergies renouvelables constituent un secteur prometteur et il y a beaucoup de choses dans ce domaine que la femme peut faire. Elle se réjouit de voir de plus en plus de femmes s’intéresser au secteur et se former.
Aujourd’hui, sa vision est d’apporter sa pierre à la réduction de la disparité en énergie au Bénin, avec à l’horizon 2030, au moins 50 000 femmes connaissant une amélioration remarquable de leurs conditions de vie à travers leur autonomisation énergétique, leur formation, leur sensibilisation et l’augmentation de leurs revenus.
A en croire dame Ahamidé, les perspectives s’annoncent belles en matière d’énergies renouvelables au Bénin. « Il y a énormément de projets qui vont être lancés d’ici à mi-juin dans le secteur et si on n’explique pas à la femme qu’elle a son rôle à jouer, qu’elle a sa part à prendre, qu’elle a la possibilité de gagner sa vie à travers ces projets en vue, tout sera laissé aux hommes », s’inquiète-t-elle. De nombreuses centrales seront construites et dans tout ce processus, la femme a un rôle à jouer : « elles peuvent intervenir dans la construction, dans la gestion, dans la maintenance de ces centrales, elles peuvent développer des activités autour de ces centrales, bref, il y a beaucoup de possibilités et si on ne communique pas sur ces opportunités, les femmes resteront derrière, craint-elle.
Ismène Ahamidé est convaincue que mise dans les mêmes conditions que l’homme, la femme s’est souvent montrée beaucoup plus efficace et a démontré qu’elle réussit mieux les choses. C’est pourquoi, à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de la femme, elle demande aux femmes béninoises « de se lever, d’avoir confiance en elles-mêmes et de réveiller leur potentiel car chacune de nous a un potentiel caché ». Il ne faut pas se laisser abattre par les difficultés, conseille-t-elle, avant d’inviter les femmes à aller à la découverte du génie qui est en elles et de l’exploiter pour leur propre épanouissement parce que rien n’est impossible, il suffit d’y croire.
« Qu’elles soient lettrées ou non, elles ont du potentiel et il faut qu’ensemble, on puisse contribuer au développement de notre pays », conclut-elle.