La soixantaine, Marcel Zounon déborde d’énergie pour la promotion du patrimoine béninois. C’est une route qu’il s’est tracée depuis sa tendre enfance.
Une quarantaine de pays déjà parcourus pour la promotion du patrimoine immatériel du Bénin. Rien ne semble émousser ce piquant plaisir qu’il ressent à l’idée de porter les couleurs culturelles de son pays au-delà des frontières. Affairé à préparer une nouvelle mission, il accepta cependant de nous recevoir dans son bureau, au siège de l’Ensemble artistique national, situé au quartier Minnontin de Cotonou. Marcel Zounon est un amoureux de l’identité culturelle de l’Afrique en général et du Bénin en particulier.
« Je travaille beaucoup sur le patrimoine culturel immatériel de ce pays. A ce titre, le groupe de danse Towara-Bénin dont je suis actuellement le président est la seule Ong du Bénin à être accréditée à l’Unesco, sur les fonctions consultatives du patrimoine culturel immatériel de l’humanité », explique-t-il. L’aventure a démarré pendant ses études primaires à Porto-Novo, sous le régime révolutionnaire où le système de l’école nouvelle faisait de l’unité de production une exigence. Les élèves, en dehors des activités académiques, devraient aussi participer aux rencontres sportives ou culturelles.
« Le goût était parti de l’envie de pouvoir faire du théâtre amateur dans les écoles. Nous avons profité du système de l’école nouvelle pour nous affirmer et le talent qui sommeillait en nous a été révélé », indique-t-il. La mayonnaise a pris, la passion sera affinée au fil des ans. Au Lycée Béhanzin, les livres au programme étaient réécrit et mis sous forme d’actes de scène. Il garde en mémoire la mise en scène du Cercle des tropiques, un roman d’Alioum Fantouré, la secrétaire particulière de Jean Pliya. A l’Université d’Abomey-Calavi, il a été question pour Marcel de s’inscrire dans une forme de théâtre critique, afin de dénoncer la violation des libertés individuelles sous le Parti de la révolution populaire du Bénin (Prpb), de faire des propositions pour l’amélioration de la vie sociopolitique. A l’Ensemble artistique et culturel des étudiants (Eace), où il fut responsable de la section Danse nationale, Marcel Zounon a joué dans plusieurs œuvres théâtrales mais va ensuite s’investir davantage dans la danse.
L’envol avec Towara
« Dès que je suis sorti de l’université vers les années 90, j’ai dû créer le groupe Towara avec des amis. Je peux dire que le volet professionnel de mes actions a véritablement démarré en 1992 avec la mise en place de ce groupe où nous avions commencé à participer aux rencontres internationales en 1996 », se rappelle-t-il. En effet, les origines de la création du groupe qui a parcouru tous les continents, remontent à 1989. Alors étudiants, Marcel Zounon et ses pairs, dont feu Théodore Béhanzin, le ministre Lazare Sèhoueto et le député Orden Alladatin avaient pris part au dernier festival du bloc socialiste en 1989 en Corée du nord. En 1990, le bloc a chuté, les Murs de Berlin sont tombés, et la Russie a opté pour l’économie du marché. Les étoiles dans les yeux, Marcel Zounon raconte qu’à ce festival, ce fut une rencontre des cultures. Chaque pays y était représenté à travers ses couleurs, la danse, la musique, la mode. « Ça a créé un déclic dans ma tête, et dès qu’on est rentrés en 1989, je suis resté aux côtés des étudiants et dès la sortie, on a créé notre groupe privé avec d’autres acteurs plus connaisseurs que nous à l’époque », explique
Marcel Zounon.
Sorti de l’université avec une maîtrise en Sciences économiques en 1995, puis un Diplôme d’études spécialisées (Dess) en finances et contrôle de gestion en 2007, il démarre ainsi une carrière professionnelle. Il aurait aussi pu devenir médecin, un rêve qu’il a nourri après son Bac série D, ou biologiste après un court séjour à la Faculté des sciences et techniques (Fast). «Je revis tous ces moments que j’ai passés ensemble avec les artistes à Towara-Bénin. Tous les ans, on était partis pour trois mois en dehors de la famille, pour aller défendre les couleurs du pays et pas pour grand-chose. On le faisait par passion. Dans tous ces voyages, celui de 2011 où nous avons passé un mois au Brésil m’a marqué. Ça a forgé mon admiration pour ce travail », confie le Directeur de l’ensemble artistique national. Ces années d’expériences avec le groupe Towara ont aidé Marcel Zounon à tenir, depuis bientôt 11 ans, les rênes de l’Ensemble artistique national pour le rayonnement des danses patrimoniales du Bénin.
Il bat le record de longévité à ce poste et peut se prévaloir d’être le doyen des directeurs techniques du secteur de la culture au Bénin. Son quotidien, travailler à accompagner le Bénin dans sa politique générale de développement du secteur des arts de la scène, à exporter le patrimoine culturel immatériel en termes de participation aux festivals, aux conférences et rencontres scientifiques. A l’Université d’Abomey-Calavi (Uac), il contribue à la formation de la jeune génération, à Institut national des métiers d’art, d’archéologie et de la culture (Inmaac).
Ce qui caractérise Marcel Zounon, c’est la rigueur, la vérité, la sincérité, le travail bien fait et le courage face aux difficultés. Très attaché à sa culture, il n’admet pas qu’on lui demande d’enfiler un costume. Car pour lui, l’habillement, la langue, la danse, sont des éléments identitaires. Il croit dur comme fer que les danses patrimoniales constituent un maillon essentiel du développement. A juste titre, il occupe le poste de secrétaire permanent Afrique du Conseil international des organisations de festivals, de folklores et d’arts traditionnels (Cioff-Ong internationale en relation formelle avec l’Unesco).
Réussite à l’épreuve des railleries
« Je faisais partie de ceux qui réussissaient à la deuxième session parce qu’au cours de l’année académique, on était dans les répétitions, les créations et cela donnait même lieu aux railleries de la part de certains camarades. Aujourd’hui, quand bien même j’ai fait mes études supérieures en finances et contrôle de gestion, je me nourris de mes connaissances dans les arts, la culture, la promotion du patrimoine culturel immatériel », explique-t-il.
Les préjugés sur le secteur culturel, Marcel Zounon n’y a pas échappé. Il confie qu’un jour, en 2e année à l’Université nationale du Bénin (Unb), au retour d’un spectacle, il a dû faire face à la colère de sa mère. Pour les gens de cette génération, et même encore aujourd’hui pour certains, le secteur culturel est un milieu de pourriture, d’analphabètes, d’inconséquents. Heureusement l’intervention de son grand-père, lui a épargné le châtiment de sa génitrice. Mais d’autres obstacles sont inhérents au milieu. Les coups bas, les médisances, les calomnies, les mensonges, l’expert en développement culturel en a été victime, et c’est sans compter avec l’autre paire de manches, la question de la gestion des ressources humaines dans les groupes. A l’en croire, le plus important pour transcender les divers obstacles, c’est d’avoir un mental fort, savoir ce qu’on fait et où l’on va.
Et si madame n’était pas là
Marcel Zounon, c’est également une vie de couple épanouie. Bien que né d’une famille polygame, où il doit son éducation à sa mère, il fait le choix de la monogamie. Marié et père de deux filles, il doit une fière chandelle à son épouse. Celle-là qui a supporté l’insupportable, selon ses dires. Sa fille aînée poursuit ses études à la Faculté des sciences de la santé (Fss) à Cotonou, pendant que la cadette évolue en Statistiques appliquées à la médecine à l’Université Sorbonne à Paris. La prise en charge et le suivi de l’éducation des enfants par son épouse, lui ont permis de se consacrer à cette carrière pour le moins prolifique.
« Au Bénin, on dit que ce sont les hommes qui font la cour aux femmes mais à l’international, c’est tout le contraire, et il faut être fort mentalement pour ne pas abandonner son foyer. Et si madame n’était pas là pour veiller sur l’éducation des filles, alors que papa est toujours parti, c’est compliqué. Elle a beaucoup contribué à mon rayonnement», reconnaît-il. Originaire de Guézin, dans le département du Mono, il a trouvé le véritable amour à Savè dans le département des Collines. La rencontre se fit dans la fièvre estudiantine. Il revenait de Porto-Novo après l’examen du baccalauréat, elle de Savè après le même examen. Cette année-là, ils se sont rencontrés et cela dure depuis 1984. Mais pourquoi, les enfants n’ont pas épousé la fibre culturelle de leur père ? Ce père affectueux répond qu’elles ont suivi leur mère. Bien entendu qu’il n’était pas souvent au pays du fait de son métier. Aujourd’hui, loin de s’en plaindre, il passe des moments heureux avec sa fille aînée et la femme de sa vie. Il mesure à sa juste valeur cette chance qu’il a d’avoir rencontré une femme qui l’a compris très tôt, en raison de l’éducation religieuse forte qu’elle a reçue.
D’ailleurs, Marcel croit que tout cela a pesé dans la balance pour que son épouse reste fidèle aux idéaux, au maintien de l’unité familiale. « Aujourd’hui, c’est notre fille aînée qui nous chérit ? Elle invente des repas. Des fois, maman dit, c’est moi qui fais la cuisine à papa. Je puis dire que je suis épanoui en famille, en dehors des difficultés inhérentes à toute vie commune», indique-t-il. Au soir de sa vie, il nourrit le rêve d’une carrière d’opérateur agricole. Il veut sentir de l’air frais, vivre dans la nature, avec les animaux, les oiseaux domestiques, les poissons dans les étangs, loin de la ville. « J’ai envie de vivre en harmonie avec la nature, avec mes petits-enfants, si c’était possible, alors que je n’ai que des femmes qui doivent partir (sourire). Donc, mon rêve le plus cher, c’est de vivre le soir de ma vie en campagne », confie Marcel Zounon.