Métiers Eunice, une pépite dans le froid

Par Josué F. MEHOUENOU,

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Sans crainte ni complexe,Eunice gravite l'escabot et monte sur les murs pour des réparations et dépannages des climatiseurs

Rien ne la prédestinait au métier du froid. Elle y est venue par un concours de circonstance. Mais cela n’empêche pas Eunice Oyékèmi Agué de rêver grand, de nourrir de folles ambitions, et surtout d’entrevoir son avenir dans le secteur du froid et de la climatisation.

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Son corps frêle est devenu pour elle un atout puisqu’il lui permet de monter sur des supports pour des réparations et des installations. Son assiduité au travail en a fait le « bras droit » de son patron qui ne peut plus se passer de la solliciter. Plusieurs mois après la fin de sa formation, Eunice Oyékèmi Agué demeure sous la coupe de son formateur Eugène Yabo qui fait constamment recours à ses compétences et la rémunère à cet effet. Elle n’a que 24 ans, mais pourrait devenir une perle rare et très sollicitée dans son corps de métier dans les années à venir. La volonté chevillée à une farouche envie de surpasser toute difficulté, la petite native de Savè est connue pour son assiduité à toute œuvre. Comme bien des filles de son âge, elle aurait pu continuer un cursus normal dans l’enseignement secondaire général et forger autrement son avenir. Mais c’est mal connaitre la petite Eunice qui entrevoyait autrement son futur. A 17 ans, alors qu’elle venait de décrocher son Brevet d’études du premier cycle (Bepc), elle décide de tourner dos à l’école. A l’heure où mille combats se mènent pour maintenir les filles dans le système éducatif formel, Oyékèmi décide d’en sortir. Son ambition, se faire former en infirmerie et s’introduire dans le corps des agents de santé. Une proposition mal digérée par sa mère qui tentera vainement de l’en dissuader. Elle va donc suggérer à la sœur aînée de Eunice, Rhod Agué, de l’aider à retourner sa jeune sœur sur les bancs de l’école. Peine perdue. La jeune fille tient tête à tous et maintient son projet d’en finir avec l’école. Sa mère l’envoie donc chez sa sœur à Abomey-Calavi, espérant que le changement de cadre aura un impact sur sa décision. Mais rien n’y fit. Eunice, une fois à Savè, est restée fidèle à son projet.

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Du rêve à la réalité

« Il fallait que je commence quelque chose pour pouvoir subvenir à mes besoins. Je voulais faire l’infirmerie ou me perfectionner dans le pédicure et la manucure que je faisais comme job de vacances. Mais ma grande sœur et son mari m’ont conseillée de m’orienter vers le métier du froid. Je voyais mon beau-frère faire le travail, j’étais aussi curieuse de voir comment ça se passe », confie-t-elle. Ferme dans son engagement, la jeune fille va néanmoins réviser son projet. Elle opte pour le métier du conjoint de sa sœur. « Je me suis dit que c’est quelque chose d’original parce que cela ne ressemble pas à un métier de femme », soutient-elle. Trois ans de formation en froid, climatisation et électricité bâtiment, un an de stage professionnel. Et voilà la jeune Eunice toute aguerrie pour affronter une nouvelle vie professionnelle. « Mon métier me plait beaucoup », laisse-t-elle entendre. Rien de tout ce qui a trait au froid, à l’installation d’un climatiseur dans une maison, sa réparation, la réparation des climatiseurs auto, la réparation des congélateurs, les installations électriques, le dépannage électrique… n’a désormais plus de secret pour elle.

Sans crainte ni complexe,Eunice gravite l’escabot et monte
sur les murs pour des réparations et dépannages des
climatiseurs

A écouter Eugène Yabo, patron de Eunice, on aurait bien envie d’orienter toutes les filles de son âge dans le métier du froid. Il n’en dit que du bien, voguant d’un qualificatif à un autre pour parler de sa collaboratrice devenue au fil du temps, son ouvrière et mieux encore sa préférée. C’est désormais elle qu’il envoie chez ses clients de référence et de confiance. Lorsque la panne lui semble complexe ou que le client est trop exigeant, qui désigne-t-on pour aller à sa rencontre ? Personne d’autre si ce n’est la native de Savè. « Elle est de nature masculine. Parfois tu penses qu’elle est femme mais elle a un si fort caractère et ne se laisse pas faire du tout. Elle avait tellement envie d’apprendre et d’évoluer », laisse-t-il entendre.

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Epanouie…

Même si elle n’avait pas été la femme de sa patronne, Rhod Agué, sœur ainée de Eunice, ne retirerait pas un seul mot de tout le bien qu’elle pense de sa jeune sœur. « Elle réagissait comme un homme depuis son enfance. Je m’interrogeais sur ses capacités et le regard qu’on porterait sur elle et son métier quand elle a décidé d’y aller. Comme c’est elle qui a voulu, j’ai décidé de l’accompagner… Elle était encore en formation quand notre papa est décédé en 2021 ; elle n’a pas trouvé qui l’accompagner, elle a eu du mal à évoluer », témoigne-t-elle. Sans soutien, mais rien ni personne n’a pu entraver ni influencer son envie d’aller loin.

Dans son environnement de travail, Eunice fait aussi objet de regards admiratifs. Ses collègues de sexe masculin la contemplent souvent perplexes. Ceux-ci s’étonnent de voir la « petite fille » étaler ses performances. « C’est un métier d’homme à priori mais elle en a fait un travail de femme et rivalise avec tout le monde sur les chantiers », s’étonne Josué Tohoun, un de ses collègues. Eunice Oyékèmi Agué avait assez d’obstacles pour renoncer à son rêve. En plus des moyens qui faisaient défaut à son projet, la plupart de ses amies tournaient en ridicule son métier, son choix d’évoluer dans le froid. « J’avais au dos les moqueries de mes amies et leur découragement. A un moment donné je me suis posé beaucoup de questions. J’ai failli renoncer. Heureusement, j’ai été boostée par ma sœur et son mari », témoigne-t-elle avec un petit sourire. Au-delà du froid, Eunice s’y connait aussi en électricité bâtiment. Cette benjamine d’une famille de sept enfants est déjà marquée par des souvenirs. « Mon plus beau souvenir depuis que je suis dans ce métier, c’est le jour où une cliente m’a offert de la boisson et de l’argent. Je ne peux jamais l’oublier, tellement elle était satisfaite », lance-t-elle, nostalgique. Fierté de sa mère, elle ne fait pas de sa vie de couple une priorité. Cela peut attendre. Pour l’heure, elle veut apprendre, grandir professionnellement et s’installer à son propre compte.