Sa rigueur précède sa notoriété dans le monde scientifique. Le Professeur Michel Boko, père de la climatologie béninoise, premier recteur de l’Université de Parakou, ne lâche jamais rien, au nom de sa conviction écologique.
Peut-être qu’il l’ignore. Peut-être encore qu’il préfère ne pas en tenir rigueur. Mais Michel Boko est un homme craint. Il n’emploie la langue de bois avec personne. Président de l’Association internationale de climatologie, le Professeur Expédit Vissin relativise cette perception qu’on a de lui. « C’est un spécimen rare. Les gens ne le comprennent pas. Mais si vous analysez au fond, il ne cherche que le bien de l’étudiant. C’est grâce à lui que j’ai aimé la climatologie. Sinon, j’aurais détesté cette matière », confie-t-il. Partout où il est passé, le climatologue à la retraite a laissé dans les esprits, l’image d’un homme qui tient à la perfection. «Quand vous lui produisez un rapport, il tient à la qualité du document. Aucune faute ni virgule mal placée n’échappe à son bic rouge », dévoile Jeanne Hounkpè, qui a assisté pendant deux mandats Michel Boko au Conseil économique et social.
Cependant, académicien, Michel Boko est avant tout un chercheur qui tente, sans relâche, de comprendre l’évolution du climat. Cette passion a germé, alors qu’il était étudiant à l’Institut de géographie de l’Université de Bourgogne à Dijon. Feu Professeur Pierre Pagney, l’une des figures mondiales de climatologie tropicale, a accepté sa proposition de faire une étude régionale sur la plaine côtière du Bénin, à l’ouest de Cotonou. C’est ce sujet qui a fait l’objet de sa thèse de doctorat de troisième cycle, soutenue le 20 décembre 1975. Et lorsqu’il a voulu démarrer ses travaux pour une thèse de doctorat d’Etat, il a décidé de récidiver à travers une étude régionale en géographie tropicale, sur la région s’étendant de l’embouchure du Niger à celle de la Volta au Ghana. Mais la densité du sujet l’a conduit sur le champ de la climatologie. « Après un premier séjour de six mois, je me suis rendu compte que c’était quasiment impossible. C’est comme cela que l’idée m’est venue de choisir un sujet moins étendu: « Climats et communautés rurales du Bénin : rythmes climatiques et rythmes de développement ».
Au commencement
Entre le professeur Boko et la climatologie, c’est une longue histoire. Elle a pris corps après qu’il a fait le tour du Bénin en 1978 dans le cadre du Projet Atlas linguistique et du Projet Gourma, aux côtés des géographes physiciens et cartographes Sikirou Kolawolé Adam, Emmanuel Sêwa Ako, des linguistes et des historiens. « J’ai donc pu observer que le paramètre physiographique le plus contraignant dans l’aménagement du territoire et la gestion durable des ressources naturelles est le climat. C’est donc ainsi que la nouvelle formulation du titre de ma thèse de doctorat d’Etat m’est venue», se rappelle-t-il. Certes, Michel Boko maitrisait les concepts et la méthodologie en géographie régionale, en géographie rurale et en aménagement du territoire. Mais, il lui fallait actualiser et renforcer ses connaissances en climatologie dynamique, en climatologie appliquée et en bioclimatologie. « J’ai décidé de faire un stage en météorologie spatiale à Lannion, puis un autre en programmation en informatique à Paris. Au Centre de recherche de climatologie de l’Université de Bourgogne que dirigeait mon professeur, il y avait une remise à niveau complète de tous les chercheurs : savoir lire et interpréter les cartes météorologiques et faire la néphanalyse, et puis avoir une bonne maîtrise de l’outil informatique, car faire des calculs d’évapotranspiration potentielle, établir un bilan hydrique et calculer un indice de confort ou de stress en bioclimatologie humaine, cela prend énormément de temps si vous le faites avec une calculette », confie-t-il.
Jusqu’au-boutiste
Se lancer sur ce terrain, encore vierge sur le continent, ce n’était pas chose aisée. Mais Boko a un but à atteindre, il se crée la route pour y parvenir. Boursier pendant deux ans du Fonds d’aide et de coopération du gouvernement français pour le premier cycle à Lomé, boursier du Bénin pendant trois ans pour le second cycle en France, les choses vont se compliquer après une première année au troisième cycle. « Quand le gouvernement du Dahomey nous a intimé l’ordre de rentrer au pays en 1974, j’ai refusé car je voulais finir mon troisième cycle. J’ai facilement trouvé du travail par intérim et même un poste de moniteur à la bibliothèque de l’Institut de géographie. J’ai donc pu finir mes travaux et soutenir ma thèse de doctorat de 3ème cycle avant de demander mon billet de rapatriement. Laisser sa famille, femme et enfants pendant plusieurs années et revenir bredouille, il n’en était pas question », souligne le Chevalier de l’Ordre International des Palmes Académiques du Cames.
Sur le parcours du premier recteur de l’Université de Parakou, on retrouve bien souvent Sikirou Kolawolé Adam, son « frère jumeau» qui n’est plus. Les deux ont fait connaissance au Lycée Béhanzin et ont gardé de solides liens d’amitié jusqu’à l’Université de Lomé où ils ont fait le premier cycle de géographie. Ils n’ont laissé aucune circonstance refroidir cette amitié singulière : ni les caprices de jeunesse encore moins la distance quand l’un est allé faire le Service civique, patriotique, idéologique et militaire (Scpim) à l’Ecole des cadres de l’Armée de terre à Ouidah. « Sikirou était un autre moi-même, mon alter ego. On se disait tout, ce qui peut fâcher comme ce qui peut faire plaisir. C’était d’ailleurs lui qui a fait campagne, à mon insu, pour mon élection au poste de vice doyen de la Faculté des Lettres Arts et Sciences Humaines en 1981 », se souvient Michel Boko. C’est d’ailleurs Sikirou Kolawolé Adam qui introduisit Michel Boko dans le projet de rédaction d’un manuel de Géographie du Bénin, à la suite de celui rédigé en 1962 par Alfred Comlan Mondjannagni, Jean Pliya et André Journeaux. « Je l’ai rejoint au Département de Géographie où il a été mon vrai mentor. Il était ingénieur cartographe et moi jeune docteur en géographie tropicale et aménagement du territoire, je l’ai soutenu pour finir la rédaction et la soutenance de sa thèse de doctorat à Paris. Nos liens en sont devenus encore plus fraternels, plus profonds et plus sincères ».
Un Nobel dans l’ombre
Au département de Géographie de l’Université nationale du Bénin, le chercheur s’est vite imposé dans sa discipline. « Il était passionné, intéressant, parfois drôle lors de ses enseignements. C’est un véritable et infatigable défenseur de l’environnement», témoigne Alain Zoulin, Secrétaire général adjoint du Conseil économique et social, ancien étudiant de Michel Boko. « Le pape de la climatologie » comme certains s’amusent à l’appeler en sourdine, multiplie les initiatives, crée le Laboratoire Climat, Eau, Ecosystème et Développement (Laceede) du nom de son maître ‘’ Pierre Pagney ’’.
Il est connu dans le monde scientifique à l’international pour son engagement pour la cause de l’environnement. Cette identité a été forgée tout d’abord lors de ses stages de terrain au laboratoire Erken de Nor Malma (Université d’Uppsala) où il s’est familiarisé avec les techniques de prélèvement et d’analyse physico-chimique des eaux des lacs de la Suède. C’est tout naturellement que les autorités rectorales l’ont nommé en 1998 pour gérer le programme de coordination des formations et des recherches en sciences de l’environnement, l’eau et le climat. C’est de ce programme qu’est né le Centre Interfacultaire de Formation et de Recherche en Environnement pour le Développement Durable (Cifred). « Si vous prenez le département de géographie à Calavi et à Parakou, les ¾ sont formés par le Professeur Boko. Ce qui veut dire que les gens ont opté pour la rigueur. Mais lorsque vous ne voulez pas travailler, vous allez penser qu’il est très rigoureux. Ça nous fait plaisir d’apprendre de lui. Il disait, qu’il n’a jamais formé pour que les gens viennent lui dire merci. C’est profond », souligne Dr Ernest Amoussou.
En 2007, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) et Albert Arnold (Al) Gore Jr. ont reçu le prix Nobel de la paix pour leurs efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l’homme, et pour avoir posé les fondements des mesures nécessaires pour lutter contre ces changements climatiques. Dans l’ombre, on retrouve Michel Boko. En effet, le chercheur a été sollicité par le professeur Martin Pary de l’université de Birmingham pour être «reviewer » dans le cadre du premier rapport du Giec/Ipcc. Il sera contributeur dans le deuxième rapport, auteur principal pour le troisième rapport et coordonnateur des auteurs principaux pour l’Afrique dans le quatrième rapport. Et c’est ce dernier qui a été récompensé, en partage avec Al Gore et qui fait de lui un Co-Prix Nobel.
Cependant, ce n’est pas là sa plus grande fierté. « Ma plus grande fierté est la production scientifique de ceux que j’ai formés moi-même et de ceux qui ont su profiter de l’existence du laboratoire et de son équipement pour mener des travaux scientifiques qui les ont amenés aujourd’hui aux grades les plus élevés dans l’enseignement supérieur. J’ai l’habitude de dire, sans fanfaronnade, que je fais souvent cent pour cent de succès à chaque session des Cts/Cames, aussi bien au Bénin que dans les pays où j’ai eu à encadrer des jeunes chercheurs », déclare-t-il.
Ce qu’ambitionne le maître
Précurseur de la première des écoles doctorales pluridisciplinaires de l’Uac, l’histoire retient que c’est aussi Michel Boko qui a lancé l’université de Parakou dont il fut le premier recteur en 2001. Mais aujourd’hui, le Père de la climatologie béninoise a des inquiétudes sur l’engagement de la génération montante. « L’idéal qui m’a amené à faire le peu que j’ai pu, semble ne plus exister. La jeune génération ne pense que « argent », faire des consultations, même les plus bidons, voire parfois rançonner les étudiants, afin d’avoir de quoi briller socialement et de façon ostentatoire. Dans toutes les sociétés, chacun regarde autour de lui et au-dessus de lui pour se déterminer. Moi, je n’avais rien au-dessus de moi, car mon Père était un menuisier-charpentier et ma Mère préparait et vendait des aliments de toutes sortes. J’étais mon propre déterminant social », martèle-t-il.
Son plus grand regret réside dans l’accueil réservé par la sphère politique aux travaux de climatologie appliquée réalisés au Bénin, travaux qui, dit-il, plaçaient le Bénin à l’avant-garde dans la lutte contre les impacts négatifs des changements climatiques. « Nous sommes allés, un jeune collègue climatologue et moi, présenter nos résultats au ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Elevage d’alors, en 1989. Nous avons été accueillis très poliment, puis rien d’autre. J’ai créé un laboratoire de climatologie, le premier dans toute l’Afrique francophone. Mais nous n’avons jamais reçu un faux centime troué des institutions publiques. Il fallait signer des accords de coopération interuniversitaire ou postuler à des consultations pour avoir de quoi faire tourner le laboratoire », insiste-t-il.
A 71 ans, le Professeur Michel Boko ne cache pas son amertume. « Aujourd’hui, tous les chercheurs béninois sont devenus des climatologues, même s’ils ne connaissent rien des systèmes climatiques. Il ne suffit pas de savoir traiter les données hydrométéorologiques, agronomiques ou biogéographiques pour s’autoproclamer climatologue», déplore-t-il. C’est « une malhonnêteté intellectuelle » qu’il ne supporte pas. Toujours très actif, il continue ses activités scientifiques à l’Académie Nationale des Sciences, Arts et Lettres du Bénin dont il est membre fondateur. Il y occupe, sans surprise, le poste de président de la commission permanente «Climat et Environnement », à la grande satisfaction de ses confrères qui viennent de l’élire secrétaire perpétuel de cette grande institution scientifique pour les six prochaines années.