Plus de douze mois déjà que la réforme de la décentralisation est devenue réalité. Après un an de mise en œuvre, l’heure est au bilan. Entre constats des bonnes performances et des insuffisances, Minakpon Stanislas Hounkanlin, ingénieur en développement local et directeur du plaidoyer de l’Association nationale des communes du Bénin, formule des propositions pour une meilleure gestion des collectivités territoriales.
La Nation : Douze mois que la réforme de la décentralisation a été amorcée avec le vote du code de l’administration territoriale. Quel bilan pouvez-vous en faire ?
Minakpon Stanislas Hounkanlin : Avant tout, je voudrais en tant qu’observateur et praticien à la fois, saluer l’avènement du code de l’administration territoriale qui marque un changement majeur de paradigme dans notre jeune expérience de décentralisation. Cette réforme tire sa substance de la volonté clairement exprimée et totalement assumée par le président Patrice Talon qui souhaite la séparation des fonctions politiques de celles administratives et techniques.
Le principal résultat obtenu de la mise en œuvre de la réforme est l’installation effective de tous les nouveaux dispositifs institutionnels prévus par le nouveau cadre légal. Les secrétaires exécutifs, en tant qu’organes techniques et administratifs créés par le code, sont tous en place dans les 77 communes avec des équipes de cadres techniques qualifiés en charge des principales fonctions techniques communales. Les conseils de supervision qui représentent l’une des plus grandes innovations de la réforme sont officiellement installés dans la quasi-totalité des communes. Ils sont chargés d’adopter les actes, les décisions et les documents produits par les secrétaires exécutifs.
Par ailleurs, toutes les réunions statutaires préconisées par le code sont régulièrement organisées. En sus de ces exigences légales, d’autres initiatives de rencontres sont prises dans le but de booster le fonctionnement communal. A titre d’exemple, dans certains départements, une réunion de commandement se tient périodiquement entre le préfet, les maires et les secrétaires exécutifs.
Enfin, la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes, bras armé de la réforme, est installée et fonctionnelle. Elle travaille activement à la mise en place du cadre règlementaire, à la formation des différents acteurs et au respect des dispositions du code de l’administration territoriale.
En somme, on note des efforts considérables à tous les niveaux pour la réussite de la réforme. Mais étant donné que le code de l’administration territoriale est un nouvel univers que les parties prenantes de la décentralisation découvrent ensemble, cet apprentissage collectif laisse apparaître quelques dysfonctionnements inhérents à tout processus de réforme.
L’un des points marquants de cette réforme, c’est la cohabitation entre les maires et les secrétaires exécutifs. Quels ont été les principaux constats relevés à ce niveau?
Les premières semaines suivant l’installation officielle des secrétaires exécutifs ont donné lieu à plusieurs incidents et à une collaboration assez froide ou même conflictuelle entre beaucoup de maires et leurs secrétaires exécutifs. La méconnaissance ou la mauvaise interprétation des textes est à la base de cette situation. Dans certains cas, des secrétaires exécutifs pensaient être au-dessus des maires et leur donnaient des ordres à la limite. Il y en a dans ce lot qui convoquaient même les organes politiques pour leurs réunions statutaires. Un autre exemple anecdotique de cette situation de tension est la demande d’explication adressée à un chef d’arrondissement par un secrétaire exécutif. Dans l’autre sens, ce sont des maires qui demeurent nostalgiques de leurs prérogatives du passé que le nouveau code a pourtant réaménagées. Ils ne se rendent pas compte que les nouveaux textes ont accordé des attributions propres aux secrétaires exécutifs.
Mais depuis quelques mois, la collaboration s’est améliorée de façon significative entre les maires et les secrétaires exécutifs. Les médiations, les recadrages, les instructions et les conseils des préfectures et de la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes ont contribué à aplanir les différends et à fluidifier les rapports entre ces deux acteurs clés qui travaillent désormais la main dans la main. Dans beaucoup de communes, on note des bonnes pratiques relationnelles telles que l’affectation conjointe des courriers, les consultations avant les nominations, les visites conjointes dans les marchés dans le cadre de la mobilisation des ressources propres, etc.
A votre avis, que faut-il améliorer dans cette cohabitation?
Les efforts du côté des préfectures et de la Cellule de suivi et de contrôle de la gestion des communes doivent être poursuivis pour un meilleur encadrement des rapports entre les maires et les secrétaires exécutifs. Aussi, des séances de renforcement des capacités doivent-elles être organisées de façon périodique au profit de ces deux catégories d’acteurs pour une meilleure appropriation de leurs attributions respectives.
Certains chefs d’arrondissement réclament leur entrée dans le conseil de supervision. Pensez-vous que cela est réellement nécessaire ?
Je pense que si votre information est vérifiée, l’ambition des chefs d’arrondissement est légitime. Cependant, on ne peut pas mettre tous les élus de la commune dans le conseil de supervision qui deviendrait ainsi un conseil communal ou municipal bis. La présence des adjoints au maire et des présidents de commission au sein du conseil de supervision se justifie en ce sens que ces acteurs étaient désœuvrés ou n’étaient pas suffisamment impliqués sous l’ancien régime légal alors que les chefs d’arrondissement ont été toujours bien positionnés. Ils sont déjà membres de la municipalité qui regroupe le maire, les adjoints au maire et les chefs d’arrondissement et qui traite des affaires courantes de la commune.
Par ailleurs, les chefs d’arrondissement dirigent au sein de leurs arrondissements respectifs, le conseil d’arrondissement qui est une instance de prise de décisions importantes. En somme, il ne nous paraît pas pertinent de les faire membres du conseil de supervision, car les dossiers traités au sein du conseil de supervision sont envoyés au conseil communal ou municipal pour validation.
Le code offre des modèles économiques aux communes. Pensez-vous que les premiers pas que mènent les communes vont dans l’amélioration de leurs économies?
Je pense que la plupart des communes sont sur la bonne voie. Les efforts conjugués des maires et des secrétaires exécutifs en sont une bonne illustration. L’Association nationale des communes du Bénin apporte elle aussi sa pierre à la construction de la durabilité financière des communes. La faîtière a déjà accompagné une trentaine de communes dans l’élaboration de leurs plans de mobilisation de ressources.
Par ailleurs, les innovations projetées par le Fonds d’investissement communal permettront aux communes de lever des financements plus importants y compris sur le marché financier international.
En son temps, vous aviez fait des propositions et offert vos compétences aux communes qui le souhaitent. Quel bilan pouvez-vous en faire ?
Suite à cette offre, quelques secrétaires exécutifs m’ont contacté pour des conseils et des orientations spécifiques sur certains aspects de leur gestion y compris sur la mobilisation des ressources. J’espère que ces quelques apports ont été utiles à quelque chose. Dans tous les cas, je reste disponible pour appuyer les efforts des acteurs locaux que j’ai le plaisir de côtoyer depuis une quinzaine d’années.
Un mot pour conclure cet entretien ?
J’invite les acteurs à divers niveaux à continuer à croire en cette réforme. Sa bonne mise en œuvre permettra à coup sûr à la décentralisation de réaliser pleinement les deux principaux objectifs à savoir d’une part, la démocratie à la base et d’autre part, le développement local.