Les déploiements de contingents sur les champs d’opération à l’extérieur ont tôt fait le lit d’un fonds de commerce inavouable au profit de certains chefs de l’armée. Mais depuis peu, le retour aux pratiques vertueuses semble avoir sonné.
Ambiance pesante que celle de ce mardi à la garnison d’un des bataillons interarmes. La possibilité donnée aux soldats d’exprimer leurs ressentiments par écrit et sous anonymat brise le silence qui règne d’ordinaire à ces genres de réunions. Le ministre de la Défense et le chef d’état-major général de l’Armée présents, les déballages accablent le commandant du bataillon. Suspicions de favoritisme pour le choix du personnel en mission, chantage, extorsions de fonds et prélèvements induits sur les frais de mission, les chefs d’accusation sont lourds.
Des dénonciations qui prennent vite le pas sur les écarts de comportements relevés au sein de la troupe : indiscipline, alcoolisme et autres vices indignes de personnel de l’armée. Et qui finissent par vicier l’atmosphère. « Commandant, combien prenez-vous ?», demande, un brin provocateur, le chef d’état-major général. Tel un éclat de verre, sa réponse vient tonner dans la grande salle de réunion du camp. « Je ne sais pas… », retorque-t-il, d’une voix défiante.
Un malaise qui ne restera pas sans conséquences. Des chefs de corps sont remplacés à la tête des bataillons au lendemain de la descente de la hiérarchie militaire et du ministre de tutelle ainsi que de son cabinet. Une visite qui a fini par s’imposer au regard des complaintes de la troupe face aux dérives observées à propos des opérations extérieures, transformées en une aubaine pour se faire une santé financière par les missionnés.
Obnubilés par des missions à l’extérieur, certains hommes de rang sont prêts à tous les sacrifices pour bénéficier des faveurs de leurs supérieurs. La bourse des parents ainsi que des prêts contractés auprès des usuriers sont mis à contribution pour payer des pots-de-vin ou des cautions à ceux qui ont le pouvoir de décision, afin de parvenir à leurs fins. D’importantes ressources financières mobilisées pour intéresser quelque supérieur. Celui-là même à qui revient le dernier mot. Une pratique que réprouve le colonel Fructueux Gbaguidi, chef d’état-major de l’Armée de terre. « On ne peut pas payer pour aller risquer sa vie. C’est une connerie », dénonce-t-il, remonté contre de telles pratiques. Avec une opération sujette à des risques, il est inconcevable, à son avis, que l’on puisse avoir instauré un tel système.
Ce qui justifie les notes de service prises par lui pour condamner les pratiques consistant à verser de fortes sommes exigées d’ailleurs bien souvent par la hiérarchie des corps à leurs subalternes, en vue de les retenir pour les opérations extérieures. « Les missions extérieures demeurent des déploiements à risque et ne sauraient être un fonds de commerce pour une catégorie de personnels déjà privilégiés. De plus, la désignation pour de telles missions constitue pour le chef qui en a la charge, un levier pouvant affermir son commandement tant qu’il en fait un bon usage », précise l’une des notes.
Les opérations extérieures ont nourri une filière, source d’enrichissement illicite d’une certaine catégorie d’officiers de commandement des bataillons, avec en filigrane du chantage et de l’extorsion de fonds. Et ce n’est pas tout.
A ces pratiques déplorables, s’ajoute la liste des soldats imposée naguère par des autorités politico-administratives à divers niveaux. « La désignation des membres des contingents pour les opérations extérieures a permis de perpétuer une certaine injustice au sein de notre armée. Vous voyez les mêmes soldats aller en mission tout le temps sans remplir au préalable les conditions définies par la hiérarchie », s’offusque un capitaine de l’armée, approuvant les nouvelles dispositions prises aujourd’hui par l’état-major de l’Armée de terre pour rétablir l’ordre. « A plus de 15 ans de service, je n’ai bénéficié d’aucune mission à l’extérieur bien que remplissant souvent les conditions d’éligibilité. Même ceux qui ont été admis dans le corps bien après moi en ont bénéficié à plusieurs reprises. Des gens ont payé 400 000 F Cfa voire 500 000 F Cfa pour avoir cette faveur », confie, plein d’amertume, Séïdou (nom d’emprunt), un soldat du 8e Bataillon interarmes de Djougou.
Nouvel ordre
La ruée sur les missions témoigne de la volonté des personnels de l’armée à s’arroger le gain financier qui en résulte, estime le chef d’état-major de l’Armée de terre. Aujourd’hui limitées au Mali et au Tchad et réduites à 400 agents, contrairement aux 1500 éléments jadis enrôlés, ces missions ne sont pas sans des intrigues qu’elles couvent ainsi que des actes de corruption qui les jalonnent. « Les gens partaient d’une mission à une autre. On estimait qu’il fallait être d’une région ou avoir un parent au sommet pour y aller. C’est une injustice à la base de nombreuses frustrations », relève le colonel Fructueux Gbaguidi. Ce qui l’a amené à siffler la fin de la récréation. « Nous avons introduit de nouvelles conditions pour l’admission à ces missions. Même puni d’un jour d’emprisonnement ces cinq dernières années, aucun candidat ne pourrait plus y prétendre. Ce qui n’était pas le cas avec les arrangements qui se faisaient. Aujourd’hui, nous avons donné plus de liberté d’action aux chefs de corps pour qu’ils puissent désigner, puisque ce sont eux qui connaissent mieux que quiconque les éléments sous leur commandement », explique-t-il. La facilité qu’avaient certaines autorités politico-administratives à disposer d’un certain quota dans le choix des effectifs n’est plus de mise. « Ni la présidence, ni le ministre n’interfèrent plus dans la sélection », défend le chef d’état-major de l’Armée de terre.
De plus, les souscriptions réclamées aux personnels sous ordre, au terme des missions, en général pour une soi disant contribution aux diverses dépenses normalement imputables au budget de fonctionnement du corps sont depuis interdites. Aucune disposition règlementaire, en effet, selon une note signée du chef d’état-major de l’Armée de terre, n’oblige le militaire à se soumettre à de pareilles souscriptions. De telles pratiques constituant des infractions au regard des dispositions légales en vigueur, notamment la loi N° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin.
Les opérations extérieures n’ont pas que profité indument à certains chefs de l’armée. D’intrigants drames les ont marquées, à l’instar de la mort du sergent Mohamed Dangou au Camp Ghézo à Cotonou. Abattu le 6 janvier 2016 par ses pairs pour s’être opposé à la punition à lui infligée par sa hiérarchie, ce drame a alimenté la polémique. Une mort qui n’est pas sans peser dans la décision de la hiérarchie militaire de siffler la fin des déviances notées en la matière au sein de la grande muette.