Parcours des 26 œuvres restituées : de la témérité aux émotions…

Par Josué F. MEHOUENOU,

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Retour triomphal des oeuvres sous le regard admiratif des autorités politico-administrativesRetour triomphal des oeuvres sous le regard admiratif des autorités politico-administratives

Le palais de la présidence de la République accueille, dans les jours à venir, une exposition d’œuvres royales restituées par la France en novembre dernier. Cette exposition inédite pour laquelle l’on prophétise un succès certain est l’une des ultimes étapes d’un long processus entamé depuis l’avènement au pouvoir du président Patrice Talon.

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« Il est regrettable que cet acte de restitution, si appréciable, ne soit pas de portée à nous donner entièrement satisfaction ». Sur le perron de l’Elysée, alors qu’il venait de rencontrer son homologue français avec qui, entre autres, il a eu des échanges sur les 26 trésors royaux du Bénin en route pour revenir au pays, le président de la République ne s’est pas empêché d’exprimer son amertume. «Comment voulez-vous qu’à mon départ d’ici avec les 26 œuvres, mon enthousiasme soit total pendant que le dieu Gou, œuvre emblématique représentant le dieu des métaux et de la forge, la tablette du fâ, œuvre mythique de divination du célèbre devin Guèdègbé, et beaucoup d’autres continuent d’être retenus ici en France, au grand dam de leurs ayants droit ? » s’est interrogé le chef de l’Etat. Il dit tout de même garder espoir qu’à l’instar des œuvres en rapatriement au pays, ces autres biens finiront par l’être aussi. « L’espoir de leur retour au pays est désormais permis grâce à vous. C’est extraordinaire », a-t-il indiqué.
Toute l’histoire de cette restitution n’est d’ailleurs qu’espoir. Espoir entretenu dès l’entame et renouvelé malgré un premier refus de la France de restituer ces objets royaux. En juillet 2016, trois mois à peine après son investiture, le nouveau président élu du Bénin, Patrice Talon, adresse une demande de restitution à Paris au sujet des biens culturels et artefacts royaux saisis lors du sac effectué par les soldats français dans l’ex-royaume de Danxomè en 1892. Mais cette première demande se heurte au refus. Le ministère des Affaires étrangères du gouvernement de François Hollande lui oppose une fin de non-recevoir, au nom du principe dit « d’inaliénabilité des collections nationales ». Ce principe est brandi par la France pour protéger les biens conservés dans les établissements culturels français. La réaction de Paris divise. Certains s’indignent. D’aucuns y voient une manière de protéger les biens de la France. La proposition de prêt à longue durée est avancée pour que la France ne perde pas son droit de propriété sur les œuvres.

Le discours d’espoir de Ouagadougou

Il n’y a plus de politique africaine de la France ! Ces mots du président français, Emmanuel Macron, font partie intégrante du discours de Ouagadougou. En visite au Burkina Faso, le 28 novembre 2017, le président de la République française, à l’université Ki-Zerbo, à
Ouagadougou, devant 800 étudiants, avait eu une longue adresse face à la jeunesse africaine en général pour exposer les nouveaux rapports entre les deux parties. « Il y a une politique que nous pouvons conduire, il y a des amis, il y a des gens avec qui on est d’accord, d’autres non. Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face », soulignait-il. Le discours de Ouagadougou a surtout le mérite de proposer la culture comme remède à certains maux.
« Je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France. Il y a des explications historiques à cela mais il n’y a pas de justification valable, durable et inconditionnelle, le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. Le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou, ce sera une de mes priorités. Je veux que d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », soulignait-il. Cela supposera, poursuit-il, un grand travail et un partenariat scientifique, muséographique « parce que, ne vous trompez pas, dans beaucoup de pays d’Afrique, ce sont parfois des conservateurs africains qui ont organisé le trafic et ce sont parfois des conservateurs européens ou des collectionneurs qui ont sauvé ces œuvres d’art africaines pour l’Afrique en les soustrayant à des trafiquants africains, notre histoire mutuelle est plus complexe que nos réflexes parfois ». Le meilleur hommage que je peux rendre non seulement à ces artistes mais à ces Africains ou ces Européens qui se sont battus pour sauvegarder ces œuvres, c’est de tout faire pour qu’elles reviennent. C’est de tout faire aussi pour qu’il y ait la sécurité, le soin qui soit en Afrique pour protéger ces œuvres.
Depuis lors, les choses sont allées un peu plus vite. À la suite de ce discours, le président français commande un rapport à Felwine Sarr, professeur à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis, au Sénégal et Bénédicte Savoy, professeure à la Technische Universität de Berlin. « Le périmètre de la spoliation engloberait les biens pillés, volés, butins de guerre, mais aussi ceux, très nombreux, acquis à des prix dérisoires, sans commune mesure avec le marché de l’époque, par les marchands, militaires, missionnaires, voyageurs… », indique le rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine africain. Les deux professeurs suggèrent une modification du Code du patrimoine, avec l’introduction d’un article qui stipulerait que des restitutions d’objets africains transférés pendant la période coloniale française pourraient être prévues dans le cadre d’un « accord bilatéral de coopération culturelle » entre « l’État français et un État africain ». Pour les auteurs du rapport, la démarche s’inscrit dans le cadre d’une « réparation symbolique ». Il n’est pas question de vider les collections des musées français. Les collections privées ne sont pas visées. Cette approche équilibrée ouvre la voie à un retour de ces œuvres. Ce retour passera par le vote d’une loi. Fin 2020, une loi spéciale a été votée afin de mettre fin au principe d’inaliénabilité, invoqué par le gouvernement français en 2016 et qui pesait toujours sur ces objets.

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Ultimes moments

En concertation avec le Bénin, le musée du Quai Branly propose une exposition inédite de 26 œuvres de l’ancien royaume du Dahomey, avant leur restitution. L’activité connut un franc succès. Autour de cette exposition, une semaine culturelle inédite est organisée avec, au programme, des colloques sur le patrimoine du Bénin, des concerts, des rencontres ainsi qu’un cycle de cinéma. L’objectif est de faire de cet événement un temps fort symbolique et historique pour les deux pays. Ces œuvres « seront la fierté du Bénin. Et parce que restituer des œuvres à l’Afrique, c’est rendre accessible à la jeunesse africaine sa culture, ces restitutions seront aussi la fierté de la France», avait annoncé, enthousiaste, Emmanuel Macron. « Les 26 œuvres nous plongent dans un récit à diverses vocations ou fonctions, notamment éducative (nos ancêtres ont fait le juste combat que nous devons nous approprier et poursuivre); scientifique (des savoirs sont enchâssés dans l’histoire de ces œuvres et nous avions besoin de renouveler notre connaissance du passé) et sociale (la restitution des œuvres est porteuse d’une réconciliation avec notre passé et un potentiel levier de cohésion sociale) », a fait savoir le ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts, Jean-Michel Abimbola. Des milliers de Français, de Béninois et d’Africains plus généralement font leurs adieux aux œuvres, le temps de cette restitution, avant leur emballage. Direction, Cotonou.

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… Retour à Cotonou

L’ambiance était festive dans les rues de Cotonou, ce mercredi, pour le retour des biens. Pour contenir la foule en liesse, un important dispositif policier a été déployé sur les artères qui ont été toutes décorées d’affiches présentant le trône de Guézo ou les statues anthropomorphes des trois derniers rois. Cette ambiance va durer le temps pour la foule d’apercevoir la cavalerie royale qui escorte les trésors culturels en direction du palais de la Marina. Certains n’ont pu contenir leur émotion. Moment rêvé il y a peu, la restitution des 26 trésors royaux pillés à Abomey lors des razzias colonialistes est désormais une réalité, mercredi 10 novembre, ils ont fait leur entrée en territoire béninois avant d’être convoyés à la présidence de la République pour une cérémonie de réception, mais aussi d’hommage.
Pendant que les tambours résonnent ponctués de chants et danses le long du trajet aéroport-présidence de la République, le cargo contenant les biens ne tardera pas à faire son apparition dans le ciel béninois. Peu après 15 h heures, le Boeing 737 spécialement affrété par le gouvernement béninois s’immobilise sur la base aérienne de Cotonou à la grande satisfaction des autorités et du personnel manutentionnaire. Les premiers colis contenant les œuvres se font visibles en présence du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, Aurélien Agbénonci, et de son collègue en charge du Tourisme, Jean-Michel Abimbola. Les opérations de manutention durent un peu plus d’une heure sous le regard avisé d’experts divers commis à la tâche par le gouvernement.
L’accueil des trésors du Bénin s’est déroulé dans les locaux de la présidence de la République, en présence du chef de l’Etat, Patrice Talon. Les 26 œuvres ont eu droit à une cérémonie de réception mais aussi d’hommage sur place. Le chef de l’Etat a fait son entrée sur les lieux, alors que les trois camions contenant les œuvres poursuivaient leur marche à l’intérieur de la présidence de la République, avant de s’immobiliser au niveau de l’espace verdoyant qui borde les lieux. Quelque deux cents invités (peut-être un peu plus) y ont été conviés. Présidents d’institutions de la République, rois et familles royales, acteurs politiques de tous bords, personnalités diverses et en invités spéciaux les deux experts et universitaires français et sénégalais, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr à qui Emmanuel Macron avait confié le soin de procéder à de vastes consultations et d’en déduire un rapport sur des possibilités de restitution d’œuvres aux anciennes colonies.
C’est donc devant ce parterre de personnalités que le rituel d’accueil des œuvres a été exécuté avec des coups de canon. Le trône du roi Ghézo, seul trésor sorti du camion pour une exposition de quelques minutes, recevra même des honneurs militaires. Suivra l’exécution des danses royales un peu comme pour rendre hommage à ces biens qui, jadis, côtoyèrent l’univers et le quotidien des souverains. Le conservatoire des danses royales d’Abomey dont les pensionnaires se sont joints au ballet national et une troupe d’enfants ont tour tour, sous le regard admiratif du président de la République, présenté un tableau de Houngan, de Tèkè, d’Adjogan puis l’hymne national en langue locale fongbé. Le Bénin peut se vanter d’être le premier pays africain à rapatrier sur son territoire une partie de ses trésors culturels détenus par les ex-puissances colonialistes. Beaucoup n’y croyaient sans doute pas, mais le rêve est devenu réalité?