L’Institut des Artisans de Justice et de Paix «Le Chant d’Oiseau» (Iajp/Co) est dans la fièvre de son jubilé d’argent. Un quart de siècle pendant lequel l’institut s’est dédié à l’enseignement de la doctrine sociale de l’Eglise catholique au service du peuple. Père Arnaud Eric Aguénounon, directeur de l’Iajp et du centre de recherche et de formation «Le Chant d’oiseau», en dresse le bilan et partage les perspectives.
La Nation : L’Institut des Artisans de Justice et de Paix a 25 ans. Peut-on en savoir davantage sur son origine, sa mission et ses attributions ?
Père Eric Aguénounon : L’Institut des Artisans de Justice et de Paix est une institution catholique née sous l’inspiration de Mgr Isidore de Souza qui, au sortir de la Conférence nationale, a souhaité un institut qui réfléchisse sur les questions sociopolitiques à la lumière de la doctrine sociale de l’Eglise. La doctrine sociale de l’Eglise est cette branche de la Théologie qui traite, en général, des questions socio-politiques et économiques. Mgr de Souza a donc voulu former les acteurs politiques et surtout mettre au service de toute femme et de tout homme de bonne volonté, des armes intellectuelles leur permettant d’avoir une conscience aiguisée et un cœur ouvert à la paix et à la justice. Cette institution a alors vu le jour le 22 décembre 1997 au grand séminaire Saint Gall au cours d’un symposium. Au départ, l’institut était lié à la Commission pontificale Justice et Paix, qui aujourd’hui est confondue au grand dicastère chargé du développement durable au Vatican. Le premier directeur à qui Mgr Isidore de Souza a demandé de créer cet institut, c’est le père Raymond Goudjo. C’est lui qui a été le pionnier et qui a bâti cet institut. C’est un prêtre qui, envoyé aux Etudes, savait déjà ce à quoi il était destiné à son retour: fonder un institut ! Arrivé donc en Allemagne, il a présenté son projet pour le Bénin et l’Afrique de l’Ouest et cela a convaincu de nombreuses personnes, de sorte qu’il a pu obtenir le soutien d’amis et bienfaiteurs qui ont financé la construction de cet édifice ainsi que la promotion de la doctrine sociale de l’Eglise catholique au Bénin. Et depuis 25 ans, nous existons.
En 25 ans d’existence, avez-vous l’assurance que l’Iajp s’est véritablement inscrit dans sa mission ?
Bien-sûr ! L’institut a atteint son but et continue de jouer fidèlement son rôle. Au long des années et à travers ses différents programmes, l’institut est resté dans la droite ligne de sa vision et de sa mission. Nous avons essentiellement trois programmes. Le programme phare, c’est la promotion de la doctrine sociale de l’Eglise dans l’enseignement catholique. Dans le cadre de ce programme, nous intervenons dans 193 écoles sur tout le territoire béninois. C’est un programme qui a impacté 47 mille jeunes parmi lesquels des élèves, des collégiens et lycéens. Nous fournissons aux enseignants des outils pédagogiques pouvant les aider à former les élèves en matière de valeurs chrétiennes et citoyennes, les conduisant à être de bons citoyens. Nous avons de bons retours chaque fois que nous passons faire l’évaluation sur le terrain. Le deuxième programme, c’est la formation des agents pastoraux et acteurs sociaux: prêtres, religieux, laïcs et tout acteur du monde social. Par promotion, ils sont 30 à 40 personnes et c’est une formation triennale à raison de quatre semaines l’année. Il y a des centaines de personnes qui sont passées dans cet institut et qui ont été formées au titre de ce programme. Il s’agit d’une formation en renforcement de capacités qui a un impact certain. Depuis qu’ils sont formés, je puis vous dire qu’ils restent attachés à l’institut et sont de véritables artisans de paix et de justice; ils sont imprégnés de la doctrine sociale de l’Eglise catholique. Avec la doctrine de la foi, on apprend qui est Jésus, qui est Marie, le Credo, la résurrection, l’incarnation… Mais ce que l’Eglise pense du monde économique et social, de la sphère politique, de la culture, de l’environnement et de la cité, c’est avec la doctrine sociale qu’on l’apprend. Il s’agit entre autres de questions touchant aux concepts tels que le bien commun, la destination finale des ressources, la subsidiarité, les droits de l’homme, la gouvernance, le développement, la justice, l’Etat de droit, le travail, la démocratie… L’Eglise se prononce aussi sur ces matières et a une doctrine sur ces questions. C’est louable que plusieurs personnes s’intéressent à ce programme de formation et quand elles viennent s’abreuver, elles continuent d’en vivre. Enfin, notre troisième programme, est certainement le plus connu, c’est l’organisation de conférences sociales, sept fois dans l’année, et d’un symposium par an. L’intérêt du public autour de ces conférences et symposium est manifeste et s’accroît au fil des éditions. Aujourd’hui nous voulons aller plus loin.
Aller plus loin ! Avec quels perspectives et défis ?
Nous avons deux défis majeurs: le défi de l’originalité et le défi de la continuité. Il est question de rester original, avec de nouvelles idées, perspectives et défis ; mais aussi de toujours garder la sève originale. Comme je le disais, nous organisons déjà des conférences sociales mais aujourd’hui nous pensons à des activités intellectuelles autour d’un thème trimestriel. Au premier mois, une conférence délivrée par un spécialiste ; au deuxième mois, un panel avec trois spécialistes sur le même thème pour un débat contradictoire; au troisième mois, des carrefours de discussions avec les participants sous l’égide d’un présidium composé du président et du rapporteur. Cela permettra de mieux développer les idées et d’aller vers un conseil scientifique. L’autre perspective qui nous tient à cœur, est relative à notre programme d’enseignement des valeurs chrétiennes et citoyennes. L’ambition, c’est d’arriver à mettre en place la formation par les pairs. Que les enfants eux-mêmes puissent se former, qu’ils soient responsables et travaillent à la formation de leurs pairs. Cela va se faire à travers des cercles de réflexions constitués par les enfants et pour les enfants.

Père Arnaud Eric Aguénounon
Parlant du jubilé, quelles sont les activités prévues dans le cadre de la célébration des 25 ans de l’Iajp ?
Nous avons eu une soirée culturelle avec deux concerts le jeudi 5 janvier dernier et la projection d’un documentaire produit dans le cadre des 25 ans de l’institut. Le vendredi 6 janvier, il y a eu la messe solennelle avec les évêques du Bénin, messe inscrite à l’agenda de leur session épiscopale de janvier et qui a justement consacré la clôture de la deuxième session ordinaire de la Conférence épiscopale du Bénin. Tout au long de l’année, nous allons poursuivre avec une série de conférences et d’activités pour lesquelles nous invitons d’ores et déjà les populations.
L’Iajp célèbre 25 ans dans un climat électoral où les acteurs sont appelés à être des artisans de paix. Que dire de la démocratie, de la justice et de la paix au Bénin ?
Comme plusieurs autres pays africains, le Bénin est en fondation de la démocratie. Quand on observe les vieilles démocraties, on constate que leurs peuples n’en sont pas si satisfaits que ça. Nous avons vu les «gilets jaunes» en France, nous avons vu l’invasion du Capitole aux Etats-Unis après l’échec de Donald Trump… Ce que ces peuples revendiquent ou ce qu’ils contestent, nous, nous ne l’avons même pas encore. C’est pour dire que nous sommes encore à une étape de fondation de la démocratie. Et la question qui me taraude l’esprit est celle-ci: comment peut-on constituer la démocratie si dans notre esprit, on ne désire pas la liberté, le respect des droits de l’homme, l’égalité, l’éthique et le patriotisme. Il faut désirer ces valeurs ! La démocratie vient d’abord d’un désir interne et intrinsèque à l’homme. Quand on n’a pas ce désir, on transgresse les normes juridiques et sociales. Quand vous prenez un pays comme la France où nous avons nos compatriotes et certains ont même la bi-nationalité ; ces compatriotes ne se comportent pas en France comme nous nous comportons ici. Le niveau de démocratie est autre ! Tout Français respire cette démocratie parce qu’ils ont connu aussi des moments de monarchie, ils ont connu la révolution française, ils ont destitué la noblesse et se sont affranchis du clergé. Et donc, ils sont pétris de cet élan de liberté, de rationalité et de revendication. Mais nous, dans notre contexte endogène, où nous avons la féodalité, la culture, les religions traditionnelles…, la démocratie a besoin d’être inculturée et c’est là le deuxième niveau : partir d’un désir et ensuite inculturer la démocratie. Puis, comprendre que c’est le peuple qui est au cœur de la démocratie et par conséquent, former le peuple, priser l’enseignement à tous les niveaux. Et à partir de là, on pourra semer des graines d’espérance. La démocratie ne s’arrête pas à l’organisation des élections. La démocratie, c’est un désir qui devient culture, une culture qui devient habitude et la culture qui devient habitude est au rang de vertu. Mais nous sommes bien loin de là.
Un mot sur le déroulement des dernières élections législatives ?
Les élections législatives se sont déroulées dans le calme. Toutefois, on sent à travers le faible taux de participation l’inquiétude et le désintérêt du peuple. En général, en Afrique, le pouvoir politique travaille du chapeau pour des résultats d’élections qui sortent du chapeau et certains portent leur chapeau ou avalent leur chapeau. De toutes les façons, les élections sont passées et nous sommes désormais dans la période post-électorale. En cette période, j’invite tous les acteurs de la société à demeurer des artisans de paix et de justice et à ne pas être des vecteurs de haine et de violence. La violence, on sait quand ça commence mais on ne sait pas quand ça s’achève. En plus, la violence ne profite à personne.