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Le partenariat entre le port de Cotonou et le port d’Anvers est-il générateur de plus-value pour l’économie béninoise ? Au-delà de toute polémique, qui s’avère stérile, en l’occurrence pour peu qu’on creuse la question, le port de Cotonou a besoin de l’expertise de sa ‘’grand- sœur’’ d’Anvers à plusieurs égards. Une visite largement guidée par des responsables du port d’Anvers, faite du 5 au 9 octobre dernier conforte une telle conviction.
Mince donc, pourquoi avoir fait recours à des compétences extérieures pour tenir le gouvernail du port de Cotonou ? Cette interrogation a fini de tarauder les Béninois les plus tatillons. Aussi sceptiques qu’ils soient, ils ne sont pas sans savoir ce que représente le port d’Anvers depuis que le chef de l’Etat lui-même s’en est expliqué. Avoir une information juste à cet effet a valeur pédagogique, pour pouvoir sérieusement opiner et juger de la pertinence du choix du gouvernement actuel à jeter son dévolu sur cette entité belge.
Sous l’éclairage de plusieurs responsables du port d’Anvers, il a été loisible d’en apprendre à foison, du 5 au 9 octobre dernier, sur les potentiels (immenses) du 2e port d’Europe, les dynamiques qui y sont pratiquées et d’en faire aisément les déductions sur ses expertises bénéfiques au port de Cotonou.
Le port d’Anvers est, en effet, un carrefour des chaînes d’approvisionnement mondiales. Pour transporter les marchandises de manière rapide, économique et flexible, il propose une large gamme de solutions maritimes et logistiques intégrées.
Deuxième port d’Europe en termes de volume, il a développé un leadership inégalé en matière de réalisation de plus-value, c’est-à-dire de gains générés par les opérations portuaires, fort de 12 067 hectares de surface portuaire et d’une ressource humaine évaluée à 142 654 employés qui assurent le fonctionnement quotidien efficace et sûr du port, qu’il s’agisse du service de gestion du trafic maritime de l’Autorité portuaire, des acteurs des services techniques nautiques, de la sécurité et de la planification, à savoir les contrôleurs de trafic et maîtres dockers, etc.
Le port de Cotonou ne peut que tirer profit de ce savoir-faire résilient, pour tenir en respect ses rivaux que sont Lomé, Abidjan ou encore port Harcourt (Nigeria). Et de cela, le partenaire anversois du port de Cotonou en est convaincu. Notamment, par la valorisation des zones franches dédiées par le port de Cotonou aux pays de l’hinterland, ses 11 postes à quai et son unique poste pétrolier, etc.
Vu les chiffres, on se rend à l’évidence de ce que le port de Cotonou a beaucoup à tirer de sa grand-sœur d’Anvers qui pèse nettement plus lourd et a davantage d’expériences que lui.
Des chiffres qui parlent
224 millions de tonnes ! Tel est le volume annuel de fret maritime international réalisé par le port d’Anvers qui dispose de 16 terminaux de vracs liquides, 5 terminaux en haute mer pour les conteneurs, 15 terminaux de marchandises diverses, 12 terminaux de vracs secs, 7,2 millions m2 de stockage en citerne, 6,3 millions m3 de stockage couvert, 680 000 m3 de stockage en silos pour les polymères. Loin devant sa grande rivale Rotterdam, ses chiffres superlatifs ne sont pas sans donner le tournis. Mais surtout, ils en sont pour quelque chose dans le choix des gouvernants béninois à faire confiance à Anvers, dans leur ambition de faire du port de Cotonou, réputé poumon national, un hub international. Cela est possible, si un investissement conséquent est fait, ne serait-ce qu’en termes de matériels et d’infrastructures adéquats comme envisagé aujourd’hui. Dans la juste mesure des ambitions et perspectives du port de Cotonou, lui aussi fort avec, modestement, 60 ha de plan d’eau, une aire opérationnelle de 200 ha, des magasins et entrepôts de 100 ha, des parcs à conteneurs de 120 ha. Car, toute proportion gardée, le tout ne suffit pas d’avoir de grandes dimensions, il faut, comme le port d’Anvers, savoir capitaliser ses atouts et en tirer un maximum de profit. Ce qui n’a pas été jusqu’à récemment le cas au point que l’Exécutif béninois juge opportun de faire appel à l’expertise extérieure, en l’occurrence Anvers qui a de la ressource à revendre à cette fin.
Selon les chiffres communiqués par l’autorité portuaire, lors des trois premiers trimestres 2018, le port d’Anvers a déjà traité plus de 177 millions de tonnes de marchandises, ce qui représente une hausse de 6% par rapport à la même période de l’année précédente ; le trafic de conteneurs a progressé de 7,1%, à près de 98,5 millions de tonnes. Au 1er semestre 2018, le port d’Anvers a enregistré 2080 tankers, 670 RO-RO conteneurs, 2205 conteneurs de poissons, 1312 cargos poissonniers, etc. C’est le fruit d’un travail méticuleux et de l’ingéniosité anversoise qui a mis d’accord tous les armateurs, grâce à la coopération efficace entre les entreprises privées, l’Autorité portuaire, les organisations et les autorités concernées, a expliqué Marc Paelinck, directeur de Port d’Anvers International (PAI). Un tel savoir-faire, le Bénin peut en tirer largement profit.
Développant, en effet, des solutions globales pour la chaîne d’approvisionnement, ce sont 900 entreprises qui sont installées dans le port d’Anvers, qu’il s’agisse des expéditeurs, des compagnies de transport maritime, des agents de bord, les transitaires ou les prestataires de services logistiques, etc. Cotonou peut implémenter une telle réussite. Chose qu’en dix ans, 17 directeurs généraux successifs, sous le régime défunt, n’ont pu réaliser !
Loin de la mer et près des destinations
En effet, avec un trafic portant sur plus de 800 destinations, selon les explications d’Edouard Jourdain, consultant senior du Port d’Anvers International, la particularité de ce port belge reste qu’il est un port d’écluse, c’est-à-dire un port non pas ouvert directement sur la mer, mais basé sur un ouvrage hydraulique implanté dans un canal, ou un cours d’eau, pour le rendre navigable et permettre aux bateaux de franchir des dénivellations sans anicroche. Par ce canal, les marchandises arrivent rapidement et en toute sécurité à Anvers et partent à leur prochaine destination via les écluses, notamment du fleuve Escaut, explique-t-il. Là réside le génie du port d’Anvers par rapport aux autres ports, lequel dispose de la plus grande écluse au monde favorisant une pénétration de 80 km à l’intérieur des terres, renseigne Marc Paelinck de PAI. Ce qui lui permet de traiter des millions de tonnes de fret et d’offrir une entrée plus rapide avec l’arrière-pays et les pays voisins. Car, avec sa position géographique unique à 80 kilomètres à l’intérieur des terres, les plus grands navires au monde naviguent presque jusqu’au cœur de la ville d’Anvers. Des produits comme les fruits, l’acier et le café sont ainsi acheminés vers l’arrière-pays européen de manière rapide.
Avec le Nokoué à partir de Cotonou et les nombreux cours d’eau qui s’interconnectent sur l’ensemble du pays, le Bénin a tout à gagner de l’exemple d’Anvers avec qui il présente quelques similitudes.
Ses clients privilégiés étant d’ailleurs les pays de l’hinterland, de qui il se rapprocherait ainsi, insiste du reste Marc Paelinck qui avoue ne pas perdre de vue cette possibilité dans le cadre de la coopération de PAI avec le Bénin. Le choix fait par l’Exécutif béninois de prendre attache avec les Belges n’apparait que plus avisé.
Réformes en marche
L’entité Port d’Anvers International (PAI) s’évertue à cette fin, en même temps qu’elle œuvre à remettre le port de Cotonou à flot , depuis qu’il a signé le 8 janvier 2018 un accord avec le port de Cotonou sous la houlette du chef de l’Exécutif béninois qui est convaincu de ce que c’est la voie royale de prospérité pour le secteur portuaire béninois. Ce contrat de gestion acte la performance de la plateforme portuaire du Bénin, un tournant décisif pour la modernisation du port, à travers l’organisation, le renouvellement des infrastructures, l’informatisation, le renforcement des capacités de l’équipe locale ainsi préparée grâce au transfert de compétences à prendre le relai afin que les acquis se pérennisent. « Nous voulons de l’expertise pour gérer notre bien commun avec compétence et efficacité », a indiqué le président Talon.
Chose dont témoigne déjà le rapport d’étape du directeur général du Port autonome de Cotonou, Joris Thys, du début du management belge jusqu’au 30 septembre 2018. Ses chantiers ont porté sur les finances, la capitainerie, la sécurité-sûreté, l’amélioration du plateau technique, du fonctionnement de l’administration en interne et des services offerts notamment sur le corridor béninois. Très sourcilleux des avancées, le chef de l’Etat, à travers son conseiller spécial Johannes Dagnon, suit d’ailleurs de près les réformes et veille comme sur sa prunelle, confie-t-on au sein de l’administration portuaire, sur les intérêts du Bénin, en qualité de président du Comité de suivi.
Au plan financier, outre l’apurement des comptes, la mise à jour de la base de données des clients, notamment des consignataires dont les capacités sont renforcées et la réorganisation de la procédure des factures fournisseurs, sont enclenchés. Une planification suivant la dynamique porteuse du port d’Anvers a été implémentée à travers des supports informatiques nouvellement installés, du réseau interne au déploiement de la fibre optique. Aussi, l’e-banking et l’e-commerce ont-t-ils été lancés.
Au niveau de la capitainerie, les capacités d’intervention sont renforcées à travers l’amélioration des prestations du service pilotage (tracking) des navires. Ce qui permet d’attirer les grands armateurs vers le port de Cotonou. Notamment, Maersk Lines à travers son terminal de manutention Coman peut faire désormais venir à Cotonou des navires avec un tirant d’eau admissible égal à 11 mètres. Une avancée. Une nouvelle pilotine est également présente au port de Cotonou depuis le 29 août 2018 ainsi que deux groupes électrogènes de meilleures performances fonctionnels depuis le 19 septembre dernier. Point névralgique de tout port digne du nom, comme on a pu le constater à Anvers, la sécurité n’est pas du reste des interventions du nouveau management au port de Cotonou. A cet effet, les agents de sûreté des installations portuaires ont été formés du 2 au 4 juillet 2018 par une structure réputée en la matière, à savoir G4S. La formation des formateurs au code ISPS (Code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires), du 2 au 4 juillet 2018 répond à la même problématique, de même que la visite des gardes côtes américains du 6 au 8 août 2018. Autres actions confortatives de la sécurité, la clôture douanière est réhabilitée par endroits et la clôture grillagée achevée, les procédures de contrôle des accès élaborées et mises en application. Ce préalable a pu donner un aperçu du dispositif sécuritaire du port de Cotonou à l’Organisme de Sûreté Reconnu (OSR/RSO) lors de ses travaux, du 3 au 7 septembre dernier, d’évaluation de sûreté des installations portuaires, en vue de l’élaboration des Plans de sûreté du port de Cotonou.
Loin d’être exhaustives, toutes ces réformes, portées par des cadres d’une entité, port d’Anvers, réputée pour son expertise, sont autant d’actions nécessaires pour rendre performante la plate-forme portuaire cotonoise. Un travail de longue haleine qui ne vient que de commencer pour booster le poumon de l’économie nationale dont le potentiel est laissé jusque-là quasiment en jachère.