Il n’est pas rare de voir déambuler dans les rues des villes et campagnes du Bénin, des personnes souffrant de troubles mentaux, cherchant leur pitance sur des tas d’immondices. On les reconnait assez facilement, parfois nus, sales, parlant souvent seuls et faisant des choses jugées anormales. Généralement ignorés par les passants, certains malades mentaux sont récupérés par des associations pour être pris en charge.
Au centre de réinsertion professionnelle d’Avrankou, à sept kilomètres de Porto-Novo, il est onze heures ce mercredi du mois d’octobre. Dans la section boulangerie, tout se met en place pour démarrer le pétrissage. Quelques dizaines de pains sucrés sortis du four tôt le matin trônent encore dans des bacs et paniers en attendant les derniers clients. De l’autre côté, les tisserands et couturiers aussi sont affairés. Tous les pensionnaires de ce centre sont des anciens malades mentaux qui ont retrouvé la joie de vivre grâce à l’association Saint Camille de Lellis.
Premier centre de l’association Saint Camille de Lellis au Bénin, le centre
d’Avrankou accueille depuis 2004, des centaines de malades mentaux et des personnes en détresse de tous horizons. Cette organisation s’est illustrée dans la zone par la recherche active de malades mentaux errants qui sont pris en charge dans le centre. A ce jour, l’association compte au Bénin quatre centres de traitement des malades mentaux à Avrankou, Bohicon, Djougou et Tokan. Dans lesdits centres, explique Innocent Amadji, directeur du centre d’Avrankou, le patient qui vient à la consultation repart avec un lot de médicaments pour un mois et paie s’il le peut, 2 000 francs Cfa comme frais de participation. Si c’est un cas à interner, le malade paye 5 000 francs Cfa pour toute la durée de son séjour dans le centre. Au-delà des soins médicaux dont bénéficient ces malades, issus pour la plupart de milieux défavorisés, ils sont nourris, logés et habillés durant leur séjour dans le centre et tout ceci, gratuitement, étant donné que beaucoup ont perdu les repères et sont souvent incapables de donner une quelconque indication sur leur famille ou milieu de provenance. Cette approche vise à redonner aux malades, leur dignité et pour y parvenir, l’association a mis en place un système assez innovant : permettre aux malades rétablis de se faire former au besoin, d’exercer un métier et s’occuper de leurs semblables.
Des anciens malades à la manœuvre
Une des particularités des centres Saint-Camille est que le personnel est constitué majoritairement de malades mentaux rétablis. A
Avrankou, trois quarts du personnel est constitué d’anciens malades rétablis. A Tokan, confie le promoteur Grégoire
Ahongbonon, « tous les infirmiers sont des anciens malades rétablis qui ont été formés pour s’occuper de leurs frères. Actuellement, sept personnes sont en formation à l’école d’infirmier au Burkina Faso et reviendront pour servir dans nos centres. C’est une main d’œuvre très importante à ne pas négliger».
Innocent Amadji explique que les traitements et soins sont prodigués aux malades sous la supervision de médecins psychiatres expatriés saisonniers. Une fois rétablis, la majorité des malades réussit à se faire réinsérer en famille, d’autres n’y arrivent pas. Certains sont victimes de stigmatisation et de discrimination parfois au sein de leur propre famille. Rejetés ou dans l’incapacité de poursuivre les traitements, faute de soutien, ils renouent avec la maladie et se retrouvent à nouveau internés dans le centre. Face à cette difficulté, l’association offre à ceux qui le désirent, l’opportunité de se faire former et de travailler. Cette approche constitue, selon les bénéficiaires, la vraie thérapie qui leur permet d’avoir une vie tout à fait normale. A en croire Innocent Amadji, les formations octroyées aux malades rétablis se font dans divers centres : au centre Songhaï à Porto-Novo pour l’élevage, chez des maîtres artisans pour la soudure, la couture, le tissage et le travail du batik. Certaines de ces formations sont sanctionnées par le certificat de qualification professionnelle (CQP) qui est un examen organisé par l’Etat béninois. Pour ce qui concerne la boulangerie et le maraichage, ils ont été formés sur place par des professionnels.
Pour la responsable du centre de réinsertion d’Avrankou, Léocadie Aïzonnou, tout semble aller pour le mieux. Par contre, l’avènement de la Covid-19 a quelque peu plombé les activités de tissage, de couture et de production de tissu batik : « nos clients sont constitués en majorité des visiteurs étrangers mais à cause de cette maladie, nous ne recevons plus beaucoup d’étrangers ».
Des résultats
édifiants
En dehors des centres de traitement et des centres de réinsertion professionnelle des malades mentaux, l’association a mis en place 27 centres-relais. Ce sont des annexes des centres d’accueil où sont déposés des médicaments pour les malades déjà réinsérés en famille afin de réduire l’obstacle que constitue la distance. Dans ces centres opèrent des religieuses infirmières formées par l’association, qui assurent les services de soins et de distribution de médicaments.
Le rapport 2020 de l’association renseigne à suffisance sur les activités menées en matière de prise en charge des malades mentaux au cours de cette année spéciale du fait de la Covid-19. Au total : 65 037 consultations ont été effectuées dont 4455 nouveaux cas ; 1 046 cas de rechute ont été enregistrés ; 83 malades ont été récupérés dans la rue ; 261 amenés par les sapeurs-pompiers et les forces de l’ordre ; 53 amenés par le ministère des Affaires sociales et de la Microfinance ; 5455 malades ont été internés ; 4352 sont sortis (4124 réinsérés en famille ; 52 dans les centres de réinsertion de l’association ; 176 cas de décès et évasions).
« J’ai retrouvé une vie normale »
(Témoignage de Raymond, chef boulanger)
« J’ai été amené menotté dans le centre de traitement des malades mentaux d’Avrankou en 2007 par la gendarmerie. J’avais souffert de problèmes mentaux en 2004 et j’ai été soigné à Cotonou mais suite à une rechute, j’ai été amené dans le centre d’Avrankou. Au bout de quatre semaines de traitement, je me suis retrouvé. Le fondateur m’a demandé ce que j’ai appris comme métier et quand j’ai dit que je suis boulanger, il m’a demandé si je pouvais faire ce travail ici j’ai dit oui. J’ai constaté que dans le centre, les malades rétablis s’occupaient des nouveaux arrivants, j’ai décidé moi aussi d’aider le centre à former ceux qui veulent apprendre le métier de boulanger. Depuis 2007 à ce jour, j’ai déjà formé quatre boulangers qui travaillent dans d’autres centres de réinsertion de l’association et qui sont payés comme moi. Je suis arrivé ici célibataire, aujourd’hui, je suis marié et j’ai cinq enfants.
Depuis que je suis là, je n’ai plus eu de rechute et je continue de suivre mon traitement. J’ai retrouvé une vie normale. On commence le travail à onze heures par le pétrissage de la pâte. Après 12 heures de temps, on passe à la cuisson vers 3 heures du matin et déjà à quatre heures, les dames qui sont nos clientes sont là pour prendre le pain.
Je remercie le Tout-Puissant et ensuite celui qui a eu l’idée de créer ce centre car nous les malades mentaux, nous sommes des laissés-pour-compte, nous sommes ignorés alors qu’il suffit de nous soigner et quand nous sommes rétablis, nous pouvons travailler comme tout le monde. Alors, je demande à tous les malades mentaux qui ont recouvré leur santé de travailler car le travail libère l’homme. Je prie beaucoup pour le fondateur afin qu’il nous aide davantage. Les gens pensent que les malades mentaux n’ont plus d’espoir. Non; si on aide celui qui a recouvré sa santé, il va travailler ».