Raynald Ballo, spécialiste de mobilité durable: «Il faut mettre fin au désordre»

Par Fulbert Adjimehossou,

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Raynald Ballo

La tragédie survenue à Dassa-Zoumè a relancé le débat sur la nécessité de réformer le secteur des transports au Bénin. En tant que spécialiste de mobilité durable et concepteur de R-Mobility, Raynald Ballo identifie des faiblesses et fait des suggestions.

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La Nation : Comment avez-vous accueilli la nouvelle de la tragédie en tant que spécialiste de mobilité durable ?

Raynald Ballo : J’ai accueilli la nouvelle avec un cœur meurtri, ce lundi matin. Cette situation catastrophique déchire les cœurs. Je tiens à présenter mes sincères condoléances aux personnes touchées. Il est important de noter que le Centre national de sécurité routière a constaté depuis 2016 que, selon les bulletins annuels des accidents, les accidents de la route causent officiellement la mort de 700 personnes chaque année au Bénin, soit en moyenne deux personnes par jour. La situation peut être justifiée par plusieurs raisons, telles que l’imprudence pendant la conduite, le non-respect du code de la route et l’état des véhicules. Il faut également noter que cette problématique est assez systémique et que chaque problème en entraîne un autre. C’est un peu comme le serpent qui se mord la queue. Nous avons connu une situation similaire au Sénégal l’année dernière, impliquant encore les autocars de transport en commun sur de longues distances.

Quelle analyse faites-vous de ces drames récurrents ?

En premier lieu, il faudrait s’inquiéter de l’état des véhicules utilisés pour le transport en commun. Ceux-ci sont souvent des véhicules d’occasion importés et, même quand certains sont neufs, l’état de nos routes ne permet pas de les maintenir en bon état. Il est aussi important de vérifier l’état des véhicules via un contrôle technique adéquat. Le système actuel semble défaillant, avec le constat que j’ai fait lors d’une visite technique à Ouidah. Des contrôles plus rigoureux révéleraient sans doute que beaucoup de véhicules ne sont pas aptes à circuler car ils représentent un danger public. La condition d’archivage des documents de contrôle technique, avec ce que j’ai constaté récemment, doit également être examinée. Il ne faut pas oublier que nous sommes quand même à l’ère de la digitalisation.
Ensuite, interrogeons-nous sur les vraies questions de sécurité routière. Les issues de secours servent dans de pareilles situations à s’échapper. Mais le drame montre à quel point quand les passagers sont à bord des transports en commun au Bénin, on ne leur explique pas les consignes de sécurité, comme dans un avion. Dans les autocars, les gens ne portent même pas de ceinture de sécurité. On s’en fout.
Enfin, je voudrais attirer l’attention de tous sur les temps de conduite imposés aux conducteurs, ils sont souvent trop longs, ce qui peut les fatiguer et compromettre leur capacité à contrôler leur véhicule. De Cotonou à Malanville, il faut compter 742 km. Avec l’état de la route, il faut prévoir tout au moins dix heures de conduite. Même sur l’axe Cotonou- Parakou faisant environ 450 km, il faut tout au moins deux conducteurs qui doivent se relayer pour assurer tout le trajet. Puisque les gens veulent optimiser le coût de l’exploitation, c’est généralement un seul conducteur qui fait tout l’axe, même de Cotonou à Malanville. Le conducteur peut être amené à faire l’aller le matin et le retour le soir. Imaginez son état, puisqu’il n’est pas un robot. Il faut un maximum de 4 heures 30 min de conduite, y compris les temps de repos pour se faire relayer par un autre conducteur.

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Que suggérez-vous aux autorités ?

Honnêtement, je sais que le chef de l’État va prendre des mesures pour faire face à ce drame. Mais, il risque de se mettre à dos le peuple car ces mesures seront sévères. Par exemple, il y a la décision prise par un préfet à Cotonou de réorganiser la circulation urbaine. Malheureusement, les gens ne comprennent pas toujours que ces mesures sont prises pour leur sécurité collective. Et lorsqu’un tel drame se produit, le peuple se lamente. Alors, je voudrais faire des propositions un peu plus cartésiennes.
Premièrement, les structures actuelles chargées de la surveillance routière sont défaillantes. Il est donc nécessaire de créer une structure spécialisée pour contrôler et veiller aux interdictions grâce à un outil spécialisé de pointage et de surveillance des heures de conduites. Nous pouvons proposer cet outil au gouvernement car c’est fondamental pour réduire les risques. Deuxièmement, en ce qui concerne l’état des véhicules, il faut limiter les années d’exploitation des autocars mis en circulation. Par exemple, un véhicule vieux de plus de dix ans ne sera plus autorisé à transporter des passagers. La sécurité humaine ne peut pas être mise en danger pour des raisons commerciales. Cette restriction peut être élargie aux véhicules de transport de marchandises et même aux véhicules de particulier concernant les importations. Ainsi, nous aurons des moyens de transport de qualité sur la route.
Troisièmement, il est nécessaire de durcir le contrôle technique pour les compagnies de transport et, pourquoi pas, de le rendre gratuit. Il faut également veiller à ce qu’il y ait un réseau de services de contrôle bien équipés dans chaque département ou grande ville, de sorte qu’il n’y ait plus d’excuses et que les amendes soient élevées pour les compagnies qui ne respectent pas la réglementation.
Quatrièmement, Il faut également interdire l’importation de pneus d’occasion pour les poids lourds, car le taux d’usure des pneus peut rendre un véhicule incapable de freiner correctement. En réduisant l’importation de pneus d’occasion, les gens pourront utiliser des pneus relativement neufs, que le service de contrôle routier pourra vérifier lors des contrôles inopinés. Enfin, il est important de réfléchir sérieusement à la limitation de la vitesse à 90 km/h en installant des radars, comme la Côte d’Ivoire l’expérimente dans le grand Abidjan. Nous devrions en tirer inspiration pour le Grand Nokoué afin de réduire les accidents de la route.

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Le covoiturage peut-il limiter les dégâts dans de telles situations ?

Les véhicules particuliers sont généralement mieux entretenus que les véhicules commerciaux en circulation. Actuellement, les particuliers se déplacent souvent avec des places vides. Même si des passagers sont ajoutés, l’impact en cas d’accident sera moindre comparé aux récents accidents. Nous pouvons également encourager le covoiturage entre les passagers et les conducteurs comme une alternative sécurisée, économique, sociale et durable. De cette façon, les compagnies de transport pourraient également utiliser la même application de covoiturage pour leurs activités commerciales, ce qui permettrait une traçabilité des voyageurs inscrits. Les citoyens peuvent également faire leur part en encourageant le covoiturage et en privilégiant des alternatives aux autocars. Dans un véhicule personnel, ils bénéficient d’une assurance, contrairement aux autocars, qui généralement n’assurent que le matériel roulant. C’est ici également l’occasion d’interpeler les compagnies d’assurance sur cette problématique de couverture de passagers en cas d’accident en covoiturage ou en transport en commun classique. Imaginons un instant que les taxis populaires « Tokpa-Tokpa » soient à l’origine d’une situation similaire en centre urbain…