Le Conseil des ministres en sa séance du mercredi 1er février a adopté le décret portant révocation de Joseph Kploca du corps de la magistrature béninoise, pour faute disciplinaire d’une extrême gravité. Cela amène à s’interroger sur les motifs probables d’une sanction si lourde à l’encontre d’un membre d’une profession si honorable.
Dans la forme, la radiation d’un magistrat est prononcée par le même moyen que sa nomination. Pour rappel, « le magistrats sont nommés par décret du président de la République, sur proposition du Garde des Sceaux, ministre chargé de la Justice, après avis conforme du Conseil supérieur de la Magistrature », stipule l’article 3 de la loi N°2001-35 du 21 février 2003 portant statut de la Magistrature, modifiée et complétée par la loi N°2019-12 du 25 février 2019. Dans la logique du parallélisme des formes, l’article 81 de la même loi dispose : « Dans tous les cas…, la révocation est prononcée par décret pris en conseil des ministres, sur rapport du garde des sceaux, ministre chargé de la justice après avis conforme du Conseil supérieur de la Magistrature ».
Pour ce qui est du fond, il convient de se référer au chapitre II du titre V de la loi portant statut de la Magistrature en République du Bénin, qui est entièrement consacré à la cessation définitive des fonctions d’un magistrat.
Comment cela advient-il ?
L’article 78 de ladite loi expose les trois causes de la perte de la qualité de magistrat. « La cessation définitive des fonctions entraînant radiation du corps de la magistrature résulte de la démission, de la révocation, du décès ». Voilà qui est précis ! Le même article introduit la nuance selon laquelle un magistrat admis à la retraite cesse également ses fonctions mais, a contrario, il demeure rattaché au corps de la magistrature et conserve, à ce titre, sa qualité de magistrat. Revenant aux trois causes prévues, si le décès n’est plus une cause à élucider, faisant partie des causes ordinaires d’extinction du droit ; l’article 79 prend le soin de décrire la procédure de la démission. « La démission ne peut résulter que d’une demande expresse de l’intéressé marquant sa volonté non équivoque de quitter le corps de la magistrature. Elle ne vaut qu’autant qu’elle est acceptée par l’autorité investie du pouvoir de nomination et prend effet à compter de la date fixée par cette autorité. L’acceptation de la démission la rend irrévocable ». Il s’ensuit que la démission d’un magistrat n’est pas actée sous le coup d’un caprice. Le magistrat manifeste explicitement sa volonté de démissionner, par écrit, et cette demande est sans effet jusqu’à ce qu’elle soit acceptée par l’autorité qui a pouvoir de nomination, le chef de l’Etat en l’espèce, qui précise la date d’effet. Une fois acceptée par l’autorité, la démission est sans appel ! Le dernier alinéa de l’article 79 précise que la démission acceptée, ne fait pas obstacle à l’exercice d’une probable action disciplinaire au cas où des faits préjudiciables seraient révélés après l’acceptation.
Révoqué pour quels motifs ?
Selon l’article 80 de la loi portant Statut de la Magistrature, la révocation peut être prononcée pour l’un des motifs suivants : la perte de nationalité ou des droits civiques ; le manquement grave aux obligations professionnelles; le fait de ne pas rejoindre son poste d’affectation et/ou de ne pas prendre service sans motif valable, après mise en demeure. Dans ce dernier cas, sont considérés comme motifs valables, le défaut de notification de l’acte d’affectation ; la maladie dûment constatée par un médecin ; la non mise à disposition des frais ou moyens de transport ; le cas de force majeure.
Outre la révocation, il existe plusieurs autres sanctions auxquelles sont soumis les magistrats en cas de manquements. Ces sanctions sont prévues au chapitre premier du titre IV de la loi portant Statut de la Magistrature, qui traite de la discipline. L’article 57 énonce : « Tout manquement par un magistrat aux convenances de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire. Cette faute disciplinaire est appréciée par le Conseil supérieur de la Magistrature ». En cas de manquement, il existe deux degrés de sanctions applicables aux magistrats ainsi qu’il est prévu à l’article 58 de la loi. Les sanctions du premier degré sont : l’avertissement écrit, le blâme, le déplacement d’office, le blocage d’avancement d’échelon pour un an, la suspension sans traitement pour une durée ne pouvant excéder 30 jours et au sommet de ce degré de sanction, la radiation du tableau d’avancement. Les sanctions du deuxième degré, par ordre de gravité, sont: l’exclusion temporaire des fonctions pour une période ne pouvant excéder six mois, l’abaissement d’échelon, la rétrogradation, la mise à la retraite d’office, et en dernier ressort la révocation sans suspension des droits à la pension. L’article 59 apporte une clarification au cas où un magistrat est poursuivi en même temps pour plusieurs faits. Il ressort que dans un tel cas, il ne pourrait être prononcé contre ce magistrat, que l’une des sanctions prévues dans les deux degrés. Une faute disciplinaire ne peut donner lieu qu’à une seule des sanctions. Toutefois, la radiation du tableau d’avancement, l’abaissement d’échelon et la rétrogradation, peuvent être assortis du déplacement d’office. Même en détachement dans d’autres services, ce pouvoir disciplinaire est exercé à l’égard des magistrats, par le Conseil supérieur de la Magistrature.
La procédure
La sanction à l’encontre d’un magistrat. Elle suit une procédure qui peut faire intervenir une enquête. Le garde des sceaux, ministre chargé de la Justice, saisi d’une plainte ou informé de faits paraissant de nature à entraîner des poursuites disciplinaires contre un magistrat, saisit le Conseil supérieur de la Magistrature qui, s’il y a urgence, et sur proposition des chefs hiérarchiques, peut interdire au magistrat l’exercice de ses fonctions jusqu’à décision définitive sur l’action disciplinaire. Plus spécifiquement, en cas de manquement, le garde des sceaux dénonce au Conseil supérieur de la Magistrature les faits motivant la poursuite disciplinaire. Le Conseil supérieur de la Magistrature désigne un rapporteur parmi ses membres et le charge, s’il y a lieu, de procéder à une enquête. Il peut interdire au magistrat incriminé l’exercice de ses fonctions jusqu’à décision définitive qui doit intervenir dans un délai de trois mois. A défaut, le mis en cause reprend d’office le service. Cette réintégration n’interrompt pas la procédure disciplinaire. L’interdiction d’exercice ne comporte pas privation du droit au traitement et la décision d’interdiction prise dans l’intérêt du service ne peut être rendue publique.
Pour ce qui concerne la conduite de l’enquête, l’article 63 et suivant prévoient : « Au cours de l’enquête, le rapporteur entend ou fait entendre l’intéressé par un magistrat d’un rang au moins égal et s’il y a lieu, les plaignants et les témoins. Il accomplit tous actes d’investigation utiles. Dans tous les cas, le magistrat est appelé à comparaître devant le Conseil supérieur de la Magistrature ». Le magistrat convoqué est tenu de comparaître en personne. Il peut se faire assister et, en cas de maladie ou d’empêchement reconnu et justifié, se faire représenter par l’un de ses pairs ou par un avocat inscrit au barreau. Pour bien préparer sa défense, le magistrat et son conseil ont droit à la communication de son dossier, de toutes les pièces de l’enquête et du rapport établi par le rapporteur, quinze jours au moins avant sa comparution devant le Conseil supérieur de la Magistrature. Conformément à l’article 67, au jour fixé pour la comparution et après lecture du rapport, le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et ses moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés. Si le magistrat est assisté d’un avocat, ce conseil est invité à présenter des observations.
S’agissant de la délibération, l’article 68 de la loi portant statut de la Magistrature stipule : « Le Conseil supérieur de la Magistrature statue à huis clos. Sa décision qui doit être motivée, n’est susceptible d’aucun recours sauf en cas de violation des droits de la personne humaine et des libertés publiques. Le recours est porté devant la Cour Constitutionnelle ». Le Conseil supérieur de la Magistrature statue dans les 30 jours de sa saisine.