La Nation Bénin...

Akhsamiya Martial au sujet de la reconnaissance de la nationalité aux Afro-descendants: « Le Bénin a ouvert la voie et a su marquer l´histoire des réparations »

Actualités
Akhsamiya Martial Akhsamiya Martial

Au cours de sa séance du mercredi 8 mai dernier, le Conseil des ministres a décidé de la transmission à l’Assemblée nationale, pour examen et vote, du projet de loi relatif à la reconnaissance de la nationalité béninoise aux Afro-descendants en République du Bénin. Présidente de ‘’Médiation internationale pour les réparations’’, Akhsamiya Martial donne son appréciation sur cette décision et décline les opportunités qu’offre cette loi aux Afro-descendants. 

Par   Isidore GOZO, le 30 mai 2024 à 06h36 Durée 3 min.
#reconnaissance de la nationalité aux Afro-descendants

A la faveur du Conseil des ministres du mercredi 8 mai dernier, l’Etat béninois a décidé d’offrir la nationalité béninoise aux Afro-descendants qui la sollicitent. En votre qualité de présidente de ‘’Médiation internationale pour les réparations’’, peut-on dire que le gouvernement  béninois a entendu votre cri du cœur ?

 Je dirais oui ! Le gouvernement du Bénin avec à sa tête le président Patrice Talon a enfin entendu notre cri du cœur. Nous exprimons à leur égard toute notre gratitude et notre immense joie. C'est aussi le fruit d'une lutte de neuf ans, car c'est d'abord le bâtonnier de Martinique, Maître Georges Emmanuel Germany, prince d'Allada Dah Milèkô qui a entrepris cette démarche auprès des autorités béninoises. L’association ‘’Médiation internationale pour les réparations de l’esclavage transatlantique au Bénin’’ (Mir-Bénin) a poursuivi cette tâche, l'a étendue et a maintenu la flamme. Nous avons adressé de nombreux plaidoyers aux autorités béninoises et nous avons pu en début d'année 2024, rencontrer le Chef de l'État et ses ministres concernés avec les pionniers (Me Germany et la famille Jah) ainsi que d'autres représentants des Afro-descendants de Martinique, Guadeloupe et Guyane. Cette reconnaissance de nationalité béninoise aux Afro-descendants répond à un besoin profond de la plupart d'entre nous qui souhaitons avant tout retrouver la nationalité que nos ancêtres nous auraient transmise s'ils n'avaient pas été déportés.

En quoi cette décision du gouvernement est-elle importante pour les Afro-descendants ?

 Cette décision du gouvernement béninois est historique et d'une importance capitale pour encourager et faciliter le retour des Afro-descendants en terre béninoise. Cette décision facilitera l'intégration des Afro-descendants dans le tissu socio-économique, professionnel et foncier du Bénin. Chaque Afro-descendant naturalisé pourra plus aisément mettre ses compétences au service du Bénin et participer ainsi au développement et au rayonnement de la cité. D'autre part, c'est pour nous, descendants d'Africains déportés et mis en esclavage, une importante réparation de la part du gouvernement béninois en notre faveur. Nous le vivons comme une auto-réparation identitaire, une restitution d'un bien perdu malgré nous, et surtout un rétablissement pour nos ancêtres déportés à travers leurs descendants que nous sommes. De plus, cette reconnaissance de nationalité aux Afro-descendants s'inscrit dans le cadre du droit au retour qui consiste à replacer la victime là où elle serait si les dommages des déportations et de l'esclavage n'avaient pas eu lieu. C'est un retour dans la nationalité auquel aspire tout Afro-descendant conscient et fier de son africanité, attaché à ses ancêtres. C'est donc une grande satisfaction et une victoire que nous voulons voir s'étendre sur tout le continent africain. Le Bénin a ouvert la voie et a su marquer hautement une page de l'histoire des réparations.

 D’après le projet de loi, pour bénéficier de la nationalité béninoise, les Afro-descendants doivent démontrer leur lien d’ascendance. Quelle lecture faites-vous des conditions proposées par ledit projet ?

 La preuve de l'Afro-descendance, à mon avis, c’est le grand témoin qu’est l'histoire. Nous connaissons les terres des déportations et ce besoin intrinsèque et viscéral qu'éprouvent la plupart des Afro-descendants de ce retour en terre africaine ou de ce rattachement à l'Afrique. Plus qu'un cri du cœur, c'est le cri des ancêtres qui a marqué nos gènes et notre sang. Aujourd'hui, nous en sommes l'écho. Les traumatismes se transmettent dans nos gènes et y restent. C'est prouvé scientifiquement. Par conséquent, chaque Afro-descendant qui ressent ce besoin et qui le manifeste en adhérant à la démarche et qui est prêt à en payer le prix comme par exemple tout quitter pour s'installer sur la terre de ses aïeux devrait avoir la nationalité béninoise de droit.

Notre peau et nos traits sont aussi des preuves. Certains, malgré les métissages, ont heureusement pour eux gardé leur nom d'origine africaine comme "Holo"  "Zocly"  "Béhanzin" "Dahomey" "Mabadika" et tant d'autres. Nombreux sont ceux parmi les Afro-descendants qui ont fait des tests d’Adn et qui ont les preuves de leur origine africaine. Cependant, certains n'ont pas les moyens de faire des tests Adn, ou ont perdu leur nom d'origine. Certains ne retrouvent pas forcément le matricule de leur ancêtre déporté et malgré tout, ressentent ce besoin ontologique moral, profond, sincère et conscient de se rattacher à leur terre-mère, ne serait-ce que par une nationalité africaine qui est une façon pour eux de se réapproprier une identité africaine sans forcément fouler le continent souvent par faute de moyens.

 Que proposez-vous alors ?

 Peut-être une contribution de l'Etat pour financer leurs recherches Adn ou généalogiques. Il leur faut une réponse. Néanmoins, ces conditions fixées par le gouvernement pour obtenir la nationalité béninoise par reconnaissance sont aussi l'occasion de mieux se connaître en tant qu'Afro-descendants, en nous "obligeant" à faire des recherches génétiques ou généalogiques sur nous-mêmes et pour nous-mêmes. Ce qui reste à mon sens plus enrichissant et formateur que de remplir des formalités longues, coûteuses et contraignantes. Certains Afro-descendants se sentent offensés quand on leur demande de fournir la preuve de leur Afro-descendance. Pour eux, c'est comme si on demandait à un Noir s’il a des parents noirs.

Le métissage étant cependant très présent dans cette population afro-descendante, cela peut être légitime d'objectiver les origines pour lever les doutes dans tous les cas. Après, c'est aussi une question de cœur et de conscience. Attention au "peau noire...masque blanc". Pour d'autres, ils ne sont pas nés en Afrique mais l'Afrique est née en eux. La Communauté internationale, en proclamant la décennie internationale des personnes d'ascendance africaine entre 2015 et 2024 a invité les pays à prendre des mesures concrètes afin de favoriser la pleine intégration et l’inclusion sociale, culturelle et politique des personnes d'ascendance africaine en tant que citoyens à part entière exerçant leurs droits à tous les niveaux. Par rapport à cela, nous pouvons dire que le gouvernement du président Patrice Talon a emboîté le pas et nous l'en félicitons. Nous espérons que le reste viendra par la suite. Il s'agit peut-être d'épurer la démarche qui s'inscrit avant tout dans une reconnexion identitaire et culturelle. Ceci doit être la motivation prédominante. La demande de nationalité béninoise par les Afro-descendants ne devrait pas être avant tout à des fins politiques ou professionnelles mais à des fins plus ontologiques et personnelles puisque la loi se base sur l'histoire de l'esclavage et des déportations et dans une optique de réparation des préjudices de ces faits malheureux.

 Quelles dispositions envisagez-vous de prendre pour vulgariser cette décision du Bénin si entre-temps, la loi est votée puis promulguée par le chef de l’Etat ?

 Ce projet de loi est déjà vulgarisé depuis que nous avons commencé la démarche puisque c’est nous-mêmes qui avons demandé qu’une telle loi soit adoptée au Bénin. La population Afro-descendante dans la zone Caraïbes est dans l’attente depuis neuf ans. En 2019, maître Georges Germany est venu au Bénin avec une quarantaine de personnes pour rencontrer le porte-parole du gouvernement en la personne de Alain Orounla et le ministre de la Justice d’alors, Sévérin Quenum pour leur faire part de la forte attente qu’avait la population afro-descendante par rapport à l’obtention de droit à la nationalité béninoise. De notre côté, nous sommes en contact avec tous les Antillais qui attendent la nationalité béninoise. Il y a des réunions qui sont organisées pour mieux échanger avec les Afro-descendants au sujet de ce projet de loi. Il y a aussi des voyages qui sont prévus pour que ceux qui sont de l’autre côté, viennent au Bénin pour rencontrer les autorités, faire de l’immersion culturelle et découvrir le pays dans lequel, ils seront désormais de nouveaux citoyens.

 Heureux aboutissement donc !

 Je vais dire que le gouvernement béninois a marqué un tournant décisif pour la communauté afro-descendante, consciente de son africanité et désireuse de se reconnecter avec sa terre mère. Nous sommes fiers en tant que descendants d’Africains déportés et mis en esclavage, que notre génération d’aujourd’hui puisse porter très haut cet étendard du retour de l’identité africaine de nos ancêtres. Nous sommes aussi très fiers de le faire pour nos ancêtres. Je crois qu’ils seront apaisés et très contents là où ils sont et ils sauront récompenser tous ceux qui ont ouvert cette voie de liberté. Nous pouvons librement circuler chez nous au Bénin. C’est un grand soulagement pour nous. Nous espérons aussi que cette loi sera majoritairement adoptée par les députés à l’Assemblée nationale.