La Nation Bénin...
Réunis à Cotonou pour célébrer les 30 ans de la Haute
autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac), régulateurs africains,
experts et responsables institutionnels ont confronté leurs expériences et
interrogations face à la révolution numérique et à l’irruption de
l’intelligence artificielle. Deux jours d’échanges qui ont débouché sur des
pistes concrètes et un appel fort à moderniser les outils de régulation de
manière efficace et équilibrée, notamment en période électorale.
Entre la célébration d’un parcours institutionnel devenu
incontournable au Bénin et la réflexion sur l’avenir, la rencontre de Cotonou a
surtout servi de cadre à une introspection collective et à un dialogue franc
sur les limites actuelles des dispositifs de régulation, à l’heure où les
médias traditionnels coexistent avec de puissantes plateformes numériques, et
où l’IA redéfinit le métier même de journaliste. En ouverture des travaux jeudi
dernier, la communication inaugurale intitulée « 30 ans de régulation des
médias : la Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication et les
mutations du numérique » a planté le décor : celui d’une institution qui, depuis
sa création, a su imposer le respect du pluralisme et de l’éthique dans le
paysage médiatique béninois, mais qui doit désormais se réinventer pour
demeurer pertinente. Les échanges ont été structurés autour de six sous-thèmes
majeurs, abordant des questions à la fois techniques, juridiques et éthiques.
Parmi eux, la réflexion sur le rôle et les responsabilités du régulateur des
médias à l’ère du numérique a permis de mesurer l’ampleur des défis communs aux
instances africaines. Le cadre juridique de régulation des médias face à
l’intelligence artificielle a également suscité un débat nourri, enrichi par la
présentation d’expériences concrètes issues de différents pays du continent.
L’impact du numérique sur la transparence des processus électoraux et la place
qu’y prend l’intelligence artificielle ont fait l’objet d’une attention
particulière. La question de la lutte contre la désinformation à l’ère de l’IA,
et le rôle essentiel que peuvent y jouer les acteurs de la société civile et
les journalistes, ont également occupé une large part des discussions. Enfin,
le monitoring des médias grâce aux outils technologiques, afin de détecter plus
rapidement les dérives, a été abordé comme une nécessité absolue pour préserver
la crédibilité et la confiance du public.
Plusieurs pistes
Au terme de ces deux jours d’échanges interactifs et
souvent passionnés, les participants ont formulé six recommandations fortes,
traduisant leur volonté de bâtir une régulation moderne et efficace, à la
hauteur des nouveaux défis. La première recommande le renforcement et
l’harmonisation des réglementations en matière de numérique et d’intelligence
artificielle, au sein du Réseau des instances africaines de régulation de la
communication (Riarc). La deuxième plaide pour une convergence réglementaire au
niveau continental, via l’Union africaine, afin de mieux encadrer les contenus
transnationaux. La troisième recommandation porte sur la création, au sein de
chaque instance de régulation, d’unités spécialisées dans la surveillance des
contenus numériques pendant les périodes électorales, afin de détecter et
contrer plus efficacement la désinformation et les contenus trompeurs générés
par l’IA. Les participants ont également appelé à la formation continue des
journalistes pour qu’ils fassent un usage responsable et éthique des outils
d’intelligence artificielle, tout en gardant leur sens critique et leur
indépendance éditoriale. Autre piste évoquée par les participants, le
renforcement du dialogue et de la collaboration avec les plateformes
numériques. L’objectif serait d’établir des protocoles spécifiques pour les
périodes électorales, garantissant notamment plus de transparence sur le
fonctionnement des algorithmes et la diffusion des contenus sponsorisés. Enfin,
la dernière recommandation concerne la mise en place de mécanismes de suivi des
publicités politiques en ligne, afin de prévenir d’éventuelles manipulations
orchestrées par des acteurs locaux ou étrangers.
Dans son mot de clôture, Édouard Loko, président de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication, a exprimé sa gratitude pour la forte mobilisation observée. « C’est vous dire combien votre présence massive nous a honorés… C’est un joli cadeau pour nos noces de perle », a-t-il lâché. Rappelant le rôle central de la Haac au Bénin, il a insisté sur le fait que l’institution exerce un pouvoir déterminant qui est celui de proposer la nomination des responsables des médias de service public, de délivrer les cartes de presse, mais aussi d’autoriser ou de suspendre les médias privés. « Même à l’ère du numérique, si nous jugeons que c’est un média, nous le régulons et nous pouvons le couper », a-t-il souligné, en assumant cette responsabilité comme un garde-fou nécessaire au respect de l’ordre démocratique et du pluralisme. Le président de la Haac a néanmoins reconnu que ces prérogatives doivent désormais s’adapter aux réalités du numérique et de l’intelligence artificielle, qui bousculent les frontières traditionnelles des médias et redéfinissent le métier de journaliste. Selon lui, le véritable enjeu n’est pas tant d’apporter des solutions toutes faites, mais de s’interroger collectivement sur la meilleure manière de continuer à protéger l’espace public, alors même que celui-ci devient de plus en plus fragmenté et difficile à réguler. « Ce ne sont pas les solutions qui sont les plus importantes, mais les bonnes questions », a-t-il martelé, saluant la qualité des débats et la richesse des échanges qui ont marqué ces deux jours. Édouard Loko a aussi salué un colloque qu’il qualifie de « grand succès ». Il a tenu à rendre hommage à tous les participants et experts qui, par leurs contributions, ont permis de dresser un état des lieux complet et sans complaisance. « C’est votre succès. C’est le meilleur cadeau que vous puissiez nous faire », a-t-il déclaré, visiblement ému.
Au cœur des enjeux mondiaux
Au nom du Réseau des instances africaines de régulation
de la communication (Riarc), Halimé Assadya Ali a exprimé la reconnaissance des
membres du réseau à la Haac et aux autorités béninoises. Elle a relevé la
pertinence de ce colloque à Cotonou. «
Nous avons ensemble eu à débattre du développement de la technologie et de
l’avènement de l’intelligence artificielle, qui impacte fortement la production
médiatique et nos missions de régulation », a-t-elle résumé. Elle a mis
l’accent sur l’importance d’une régulation « appelée désormais à s’adapter et à
se mettre à l’école du numérique », surtout en période électorale, lorsque la
rapidité et la viralité de l’information peuvent menacer la sérénité du débat
démocratique. La vice-présidente du Riarc a également insisté sur la nécessité,
pour les régulateurs africains, de travailler main dans la main avec les
chercheurs et institutions spécialisées afin de concevoir des outils réellement
adaptés à la régulation du numérique. « Le choix des intervenants et des
thématiques nous a permis de mieux cerner les défis, mais aussi les
opportunités offertes par l’intelligence artificielle », a-t-elle précisé.
En définitive, ce colloque aura permis de rappeler qu’à l’heure du numérique et de l’intelligence artificielle, la régulation des médias doit évoluer, sans jamais perdre de vue sa mission essentielle. Celle de garantir un espace public pluraliste, responsable et respectueux de la liberté d’expression. Un défi que les régulateurs africains semblent prêts à relever collectivement.
Haac Bénin