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D’Athiémé à Bopa: Le crincrin béninois ou la mine d’or du Mono

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Le crincrin procure des revenus réguliers pour les petits producteurs Le crincrin procure des revenus réguliers pour les petits producteurs

Lentement mais sûrement, les feuilles de crincrin commencent par s’imposer comme un levier économique stratégique dans le département du Mono. D’Athiémé à Bopa en passant par bien d’autres communes de ce département, le crincrin est roi dans la chaîne alimentaire. Avec une production florissante, des filières féminisées et un potentiel d’exportation encore sous-exploité, cette plante gluante trace discrètement son sillon dans l’économie rurale béninoise.

Par   Valentin SOVIDE, AR/Mono-Couffo, le 27 août 2025 à 15h16 Durée 3 min.
#levier économique #Mono

Dans les sillons fertiles du département du Mono, une feuille a le vent en poupe. Le crincrin – ou Corchorus olitorius L. sous son appellation scientifique.

Connue sous le nom de "Ninnouwi" en fon ou "Adémè" en mina, cette plante aux feuilles mucilagineuses nourrit le corps, soigne les maux, mais surtout, fait vivre des milliers de foyers grâce à son potentiel économique. Pourtant, sous ses allures de succès agricole, la filière crincrin vacille, victime de ses failles structurelles et des vents contraires du marché.

Du bord du fleuve Mono aux champs de Grand-Popo, Comè, Houéyogbé, Lokossa, Bopa ou encore Athiémé, la culture du crincrin est une affaire de savoir-faire ancestral, enracinée dans les terres noires et irriguée par des sources souterraines. Résiliente, écologique, peu gourmande en intrants chimiques, cette plante s’adapte aux saisons comme aux sècheresses. Ses vertus culinaires et médicinales en font un ingrédient incontournable des marmites béninoises.

Cependant, ce trésor agroalimentaire n’est pas qu’une simple verdure : c’est un levier économique vital pour les femmes, les jeunes, les producteurs indépendants et les coopératives maraichères qui l’exploitent avec passion, bien que souvent sans mécanisation, sans stockage moderne, ni organisation marchande efficiente.

Entre abondance et précarité

Selon les données de la direction départementale en charge de l’Agriculture du Mono, la production régionale de crincrin atteignait, à elle seule, près de 12 000 tonnes en 2024, soit environ 30 % de la production nationale. Un record porté par les sols fertiles et humides, mais aussi par une organisation paysanne informelle mais redoutablement efficace.

Le crincrin procure des revenus réguliers pour les petits producteurs. Contrairement aux spéculations saisonnières comme le maïs ou le manioc, le crincrin offre jusqu’à trois cycles de récolte par an. Sur un hectare, un producteur peut générer entre 350 000 et 500 000 F Cfa de bénéfices nets par saison, avec des coûts de production relativement faible. «Ici, quand rien d’autre ne pousse, le crincrin pousse encore. Il résiste à tout, même à l’oubli des politiques », confie Clément Akouété, producteur à Dogbo.

Une filière bien féminine, il faut le reconnaître. En effet, la transformation du crincrin dans le Mono est majoritairement assurée par des groupements de femmes, organisées autour de petites unités ou coopératives de récolte, de conditionnement et de commercialisation. À Bopa, le groupement Les Mères Vertes emploie une cinquantaine de femmes. Elles transforment les feuilles en poudre ou en pâte, destinées au marché urbain et surtout à la diaspora. Conditionnées dans des emballages artisanaux, les poudres de crincrin commencent à faire leur apparition dans certaines surfaces de grande distribution.

« Grâce au crincrin, j’ai pu scolariser mes enfants et nourrir ma famille. C’est ma seule source de revenus et j’en suis très fière», confie Elisabeth Aballovi  S., transformatrice de crincrin depuis 13 ans.

Les marchés locaux – Comè, Lokossa, Grand-Popo – écoulent quotidiennement plusieurs tonnes de feuilles fraîches de crincrin. Mais le produit se vend également bien à Cotonou, Porto-Novo et dans la sous-région, notamment au Nigeria et au Togo, où la demande ne cesse d’augmenter.

A y voir de plus près, la filière crincrin du Mono recèle de paradoxes. Production abondante mais instable, commercialisation active mais chaotique, demande forte mais revenus faibles. Le diagnostic est sans appel. En clair, la chaîne de valeur est fragmentée. Les producteurs vendent aux collecteurs, souvent à la merci d'intermédiaires dominants comme les conducteurs de taxi-motos devenus barons de la feuille verte, qui arpentent les champs pour acheter à vil prix. En période d’abondance, 30 kilos de crincrin peuvent être achetés à 500 F Cfa à peine, au moment où  en période creuse, ils valent dix fois plus.

Le principal souci de cette filière est le défaut de moyens logistiques. Le produit ne survit que 48 heures après récolte, condamnant les producteurs à vite le liquider et souvent à perte. Le transport reste archaïque, l’absence de chambres froides ruine la conservation, et les prix s’effondrent dès que les paniers débordent. 

Pour un souffle nouveau

La fragilité ne s’arrête pas au marché. Les variétés locales dégénèrent, les semences améliorées sont rares, et l’usage excessif d’engrais chimiques (notamment l’urée) nuit à la qualité gustative du produit. Dans certaines communes comme Lokossa, l’agrochimie règne, tandis qu’à Grand-Popo, des poches de résistance agroécologique tentent de préserver des pratiques durables.

Les insecticides, souvent importés du Togo voisin, s’appliquent sans encadrement. Résultat : pollution des sols, résidus douteux sur les feuilles, et risques sanitaires latents.

Un rôle clé pour les femmes, mais sans terres ni crédits. Les femmes sont les piliers de cette filière. Elles sèment, sarclent, récoltent et vendent. Mais elles n’ont que rarement la terre, encore moins les financements. Le déséquilibre genre dans l’accès aux ressources freine l’autonomisation et limite le développement équitable de la filière.

Le potentiel est immense puisque la demande nationale est forte, les recettes sont variées, la diaspora africaine est friande de cette plante. Des programmes comme Padmar ou Delta Mono existent, mais peinent à structurer l’écosystème. La menace des inondations, du bétail errant et de l’anarchie foncière plane.

À l’heure où le Bénin rêve d’une agriculture durable et d’exportations conquérantes, le crincrin doit sortir de sa marginalité ou de sa précarité. Ce n’est pas une simple herbe potagère, c’est un pilier économique et alimentaire à solidifier.

Il est temps d’investir dans la structuration de la filière, de former les producteurs, de valoriser les pratiques agroécologiques, de créer des systèmes de fixation des prix et d’offrir aux femmes et jeunes un véritable accès aux leviers de production. Le crincrin peut devenir l’or vert du Bénin. Mais pour cela, plus qu’un arrosoir, il faut une vision. Longtemps perçu comme un simple légume traditionnel, le crincrin s’impose aujourd'hui comme un levier économique stratégique dans tout le département du Mono. Avec une production florissante, des filières féminisées et un potentiel d’exportation encore sous-exploité, cette plante glissante trace discrètement, progressivement mais sûrement son sillon dans l’économie rurale béninoise.

Le crincrin du Mono en chiffres (2024)

Superficie cultivée : env. 6 800 hectares

Production annuelle : ~12 000 tonnes

Emplois directs générés : > 9 000

Revenus nets moyens/ha/saison : 350 000 à 500 000 F Cfa

Taux de transformation locale: env. 15 %

Principaux marchés : Cotonou, Lomé, Lagos