La Cour constitutionnelle,
Saisie par requête en date à Porto-Novo du 15 mai 2023, enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro 0960/158/Rec-23, par laquelle messieurs Assan Séïbou, président du groupe parlementaire Bloc républicain (Br), et Natondé Aké, président du groupe parlementaire Union progressiste-Le Renouveau (Up-Le Renouveau), assistés de maîtres Simplice Dato et Gilbert Atindéhou, forment un recours en inconstitutionnalité du comportement des députés du groupe parlementaire Les Démocrates (Ld), représentés par le député Nourénou Atchadé, assistés de maîtres Barnabé G. Gbago, Victorien O. Fadé et Hermann Yves S. Yenonfan ;
Vu la Constitution ;
Vu la loi n° 2022-09 du 27 juin 2022 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle ;
Vu le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï monsieur Michel Adjaka en son rapport ;
Ouï les conseils des parties en leurs observations ;
Après en avoir délibéré.
Considérant qu’au soutien de leur prétention, les requérants exposent qu’à la suite de la désignation des membres des bureaux des commissions permanentes de l’Assemblée nationale, les députés du groupe parlementaire Les Démocrates ainsi que d’autres citoyens ont saisi la Cour constitutionnelle pour s’entendre déclarer contraires à la Constitution les désignations opérées au motif qu’elles violent les droits de la minorité parlementaire représentée par le groupe parlementaire Les Démocrates ;
Que par décision Dcc 23-054 du 09 mars 2023, la Cour a dit et jugé que « La composition des commissions permanentes de l’Assemblée nationale est régulière ; que la demande en attribution de postes de président et de vice-président de commissions permanentes ainsi que de trois postes de rapporteurs dans ces commissions à la minorité parlementaire n’est pas fondée ; que la non représentation de la minorité parlementaire dans les bureaux de ces commissions permanentes est contraire à la Constitution » ;
Qu’elle a, par voie de conséquence, « ordonné la reprise des élections des membres des bureaux des commissions permanentes de l’Assemblée nationale, à l’exception de celle de leur président, à l’effet de faire figurer dans chacun d’eux un député de la minorité parlementaire » ;
Qu’en exécution de cette décision, les élections ont été reprises tel qu’exigé par la Cour constitutionnelle sans parvenir à faire figurer dans les bureaux des commissions permanentes les députés membres du groupe parlementaire Les Démocrates, ceux-ci ayant refusé de postuler aux postes de secrétaires de commissions permanentes pour lesquels les groupes parlementaires Union progressiste-Le Renouveau et le Bloc républicain n’ont pas présenté de candidats ;
Que tout en condamnant cette attitude des députés du groupe parlementaire Les Démocrates, ils demandent à la Cour de la déclarer contraire à la décision Dcc 23-054 du 09 mars 2023 ainsi qu’à l’article 35 de la Constitution, de prononcer la validité des élections effectuées, de déclarer close la mise en place des organes internes de l’Assemblée nationale et de renvoyer l’institution parlementaire à l’accomplissement de sa mission constitutionnelle ;
Considérant qu’en réplique, par l’organe de ses conseils, le président du groupe parlementaire Les Démocrates développe que les 27 avril et 04 mai 2023, les députés de la 9e législature ont procédé à l’élection des membres des bureaux des commissions permanentes de l’Assemblée nationale, suite à la décision Dcc 23-054 du 09 mars 2023 ;
Qu’à l’issue de cette élection, les députés du groupe parlementaire Les Démocrates ont présenté leur candidature aux postes de président, vice-président et rapporteurs des commissions permanentes ; que contre toute attente, les députés de la majorité parlementaire à savoir, l’Union progressiste-Le Renouveau et le Bloc républicain ont également postulé à ces différents postes et profitant de leur majorité, ils ont réussi à se faire élire au mépris des droits de la minorité ; qu’ils se sont abstenus de se porter candidat au poste de secrétaire de commissions permanentes estimant qu’il appartient aux députés du groupe parlementaire Les Démocrates de l’occuper ; qu’ils se refusent à subir l’attitude discriminatoire de leurs homologues de l’Union progressiste-Le Renouveau et du Bloc républicain ;
Qu’ils font en outre observer qu’ils ne peuvent être contraints à accepter un poste qu’ils ne souhaitent pas occuper ;
Qu’en s’abstenant de postuler au poste de secrétaire de commissions permanentes à eux attribué, ils n’ont violé ni la décision de la Cour ni l’article 35 de la Constitution ;
Que par ailleurs, le Président du groupe parlementaire Les Démocrates explique que l’attitude des députés de la majorité parlementaire est condamnable et viole l’article 36 de la Constitution ;
Qu'il sollicite de la Cour de la déclarer contraire à la Constitution ;
Qu’il précise enfin que le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, notamment en son article 33.1, exige qu’il soit pourvu à tous les postes au sein des commissions permanentes ; que les députés de la majorité parlementaire, en ce qu’ils n’ont pas permis l’élection à tous ces postes, ont méconnu l’article 34 de la Constitution ;
Considérant que pour sa part, le président de l’Assemblée nationale a fait verser au dossier les procès-verbaux des réunions des commissions permanentes consacrées à la reprise de l’élection des membres des bureaux desdites commissions ; qu’il fait observer qu’à l’occasion de la reprise de cette élection, les députés du groupe parlementaire Les Démocrates ont persisté dans leur attitude tendant à occuper certains postes spécifiques au sein des commissions permanentes sans y parvenir ;
Qu’il sollicite dès lors de la Cour d’examiner favorablement la requête des groupes parlementaires Union progressiste-Le Renouveau et Bloc républicain ;
Vu les articles 34, 35, 36 et 114 de la Constitution, 32 du règlement intérieur de la Cour constitutionnelle, 33 et 35 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale ;
Sur la violation par les députés Les Démocrates de l’article 35 de la Constitution et de l’autorité de la décision de la Cour
Considérant que les articles 35 et 124 alinéas 2 et 3 de la Constitution disposent respectivement que « Les citoyens chargés d'une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l'accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l'intérêt et le respect du bien commun ; « Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles »
d'aucun recours.
Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles » ; que ces dispositions imposent à tout citoyen, d’une part, un devoir de conscience, de probité et de loyauté dans l'exercice des fonctions publiques à eux confiées, d'autre part, une obligation de se soumettre à l'autorité des décisions de la Cour constitutionnelle ;
Que dans le cas d'espèce, par décision Dcc 23-054 du 09 mars 2023, la Cour constitutionnelle, en vue du respect des droits de la minorité parlementaire a ordonné la reprise des élections ayant conduit à la désignation des membres des bureaux des commissions permanentes de l'Assemblée nationale ; qu'à la reprise de ces élections, les députés du groupe parlementaire Les Démocrates se sont abstenus de postuler au poste de secrétaire de commissions permanentes à eux réservé par les députés de l’Union progressiste-Le Renouveau et du Bloc républicain ; que cette attitude des députés du groupe parlementaire Les Démocrates est assimilable à une renonciation au droit d'être représenté dans les bureaux des commissions permanentes ;
que cet abandon de droit ne peut être considéré comme une violation du devoir imposé à tout citoyen chargé d'une fonction publique ou élu à une fonction politique au terme de l'article 35 sus-cité de la Constitution encore moins en une méconnaissance de l'autorité attachée à la décision Dcc 23-054 du 09 mars 2023 ;
Qu’il convient de dire et juger qu'il n'y a pas violation des articles 35 et 124 alinéas 2 et 3 de la Constitution ;
Sur la violation par les députés des groupes parlementaires Union progressiste-Le Renouveau et Bloc Républicain des articles 34 et 36 de la Constitution.
Considérant que l’article 34 de la Constitution impose à tout citoyen de respecter, en toutes circonstances, la Constitution et l'ordre constitutionnel établi, ainsi que les lois et règlements de la République ; que l'article 36 de la Constitution prescrit de respecter et de considérer son semblable sans discrimination aucune et d'entretenir avec les autres des relations qui permettent de sauvegarder, renforcer et promouvoir le respect, le dialogue et la tolérance réciproque en vue de la paix et de la cohésion nationale ;
Considérant qu'aux termes de l'article 33.1 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale : « Chaque commission, après sa constitution, est convoquée par le président de l’Assemblée nationale à l’effet d’élire en son sein son bureau composé :
- d'un président ;
- d'un vice-président ;
- d'un premier rapporteur ;
- d’un deuxième rapporteur ;
-d'un secrétaire.
33.2 : L'élection a lieu au sein de la commission, conformément aux dispositions de l'article 15 ci-dessus » ;
Que l’article 15 sus-visé dispose en ses points 1-a, alinéa 2-a et 2-b que « Le président de l'Assemblée nationale est élu au scrutin uninominal secret et à la tribune.
Les autres membres du Bureau sont élus poste par poste, dans les mêmes conditions, au cours de la même séance.
L'élection des deux vice-présidents, des deux questeurs et des deux secrétaires parlementaires a lieu, en s'efforçant autant que possible de reproduire au sein du Bureau, la configuration politique de l'Assemblée nationale. » ;
Qu’il résulte de la lecture combinée et croisée de ces dispositions que les membres des bureaux des commissions permanentes de l’Assemblée nationale sont élus, autant que faire se peut, en tenant compte de la configuration politique de l’Assemblée nationale ;
Que tel que disposé, le respect de la configuration politique de l’Assemblée nationale s’analyse comme une obligation de moyen et non une obligation de résultat ;
Attendu qu'en l’espèce, il est constant et acquis au dossier que les députés des groupes parlementaires Union progressiste-Le Renouveau et Bloc républicain se sont évertués, sans succès, à faire figurer au sein du bureau des commissions permanentes des députés du groupe parlementaire Les Démocrates ; que la Cour n’ayant pas imposé à l’Assemblée nationale d’accorder certains postes spécifiques aux députés du groupe parlementaire Les Démocrates, l’attitude des députés des groupes parlementaires Union progressiste-Le Renouveau et Bloc républicain n’est nullement discriminatoire et ne viole donc pas le règlement intérieur de l’Assemblée nationale ;
Qu’il s’ensuit qu’elle n’est pas contraire aux articles 34 et 36 de la Constitution ;
Sur l’urgence à pourvoir au poste de secrétaire de commissions permanentes vacant
Considérant que l’article 114 in fine de la Constitution, en faisant de la Cour constitutionnelle l'organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics », lui accorde ainsi le pouvoir de suppléer, par des mesures propres à remédier, aux dysfonctionnements des institutions ainsi que de tous autres pouvoirs publics ;
Qu'il ressort du dossier que l'élection des membres du bureau des commissions permanentes n'a pas permis de pourvoir au poste de secrétaire de commissions permanentes, faute de présentation de candidats à ce poste par le groupe parlementaire Les Démocrates ; que cette situation s'analyse comme un dysfonctionnement auquel la Cour doit prescrire dans un délai à déterminer des mesures propres à y remédier ;
En conséquence,
Article 1er - Dit que la renonciation du groupe parlementaire Les Démocrates à se porter candidat au poste de secrétaire des bureaux des commissions permanentes n'est pas contraire à la Constitution.
Article 2. - Dit que l'attitude des députés Union progressiste-Le Renouveau et Bloc républicain ayant consisté à concéder exclusivement le poste de secrétaire des bureaux des commissions permanentes aux députés du groupe parlementaire Les démocrates n'est pas contraire à la Constitution.
Article 3. - Ordonne la poursuite des élections au sein des commissions permanentes au plus tard le 20 juillet 2023 à minuit.
Article 4. - Dit qu'à défaut de candidature des députés du groupe parlementaire Les Démocrates au poste de secrétaire des bureaux des commissions permanentes, les députés des groupes parlementaires Union Progressiste-Le Renouveau et Bloc Républicain doivent pourvoir à ce poste, au plus tard, le 27 juillet 2023 à minuit.
La présente décision sera notifiée à messieurs Assan Séïbou, président du groupe parlementaire Bloc républicain, Natondé Aké, président du groupe parlementaire Union Progressiste-Le Renouveau, Nourénou Atchadé, président du groupe parlementaire Les Démocrates, à monsieur le Président de l'Assemblée nationale et publiée au Journal officiel ?
Ont siégé à Cotonou, le treize juillet deux mille vingt-trois.
Messieurs Cossi Dorothé SOSSA Président
Nicolas Luc. A. ASSOGBA Vice-Président
Mathieu Gbèblodo ADJOVl Membre
Mesdames Dandi GNAMOU Membre
Aleyya Gouda Baco Membre
Messieurs Michel Adjaka Membre
Vincent Codjo ACAKPO Membre
Le rapporteur Le président
Michel Adjaka Cossi Dorothé SOSSA