La Nation Bénin...
A quelques mois des échéances électorales de 2026, le ton
monte entre pouvoir et opposition. Dans cet entretien, Gilbert Déou Malè, ministre
conseiller à la Justice et aux Relations extérieures, justifie les réformes
électorales, pointe les « faiblesses » de ses adversaires et promet une
victoire éclatante dans les urnes. Il répond sans détour aux critiques sur les
relations sous-régionales, affirme la souveraineté du pays et défend une
diplomatie de dignité.
La Nation : Aux dernières nouvelles, les autorités du Niger n’entendent pas rouvrir leurs frontières avec le Bénin. Quel regard portez-vous sur cette actualité ?
Gilbert Déou Malè : Les relations entre le Bénin et ses
voisins ne dépendent pas que du Bénin. L’amitié, c’est le respect mutuel. Si
nous sommes voisins et que nous jouons notre partition pour maintenir de très
bonnes relations, il appartient à l’autre partie de jouer la sienne. Qu’il y
ait des pays africains qui aient fait l’option de se retrouver en marge de la
Cedeao pour créer autre chose, c’est leur droit le plus absolu. Le Bénin
respecte leur choix, et c’est une obligation pour ces pays de respecter
l’option du Bénin. La Cedeao avait ordonné la fermeture des frontières suite au
coup d’État militaire, et une fois les sanctions levées, le problème devait
être réglé.
Qu’on aille jusqu’à nous dicter des itinéraires, des
conduites à tenir, des relations à nouer avec tel ou tel pays pour avoir la
paix, ce n’est pas acceptable. D’ailleurs, après avoir noué ces relations-là,
ces pays en question sont-ils arrivés à bout des djihadistes ? Vous nous
conseillez, par exemple, de chasser les Français et de nous mettre en accord
avec tel ou tel pays. Ils l’ont fait chez eux, pourtant ils ne sont pas en
sécurité, ils ne sont pas en paix avec les djihadistes. Cela signifie
simplement que ce n’est pas la solution. Et pourquoi vouloir qu’on fasse cette
option-là avec eux ? Le Bénin est un pays souverain. Nous entrons en relation
avec tous les pays du monde, quitte simplement à préserver notre dignité. C’est
l’option faite par le chef de l’État depuis 2016.
Le Bénin a prouvé par tous les moyens que nous n’abritons aucune base militaire française. Mais nous avons des bases militaires à nos frontières pour repousser les djihadistes, sécuriser notre territoire. Et personne ne peut nous en empêcher. Le Bénin ne saurait aller s’immiscer dans la politique sécuritaire de ses voisins. De la même manière, aucun pays voisin ne peut dicter à notre pays la conduite à tenir par rapport à la sécurité de ses citoyens. Tout ce qu’il convient de faire pour créer une ambiance de fraternité entre nos voisins et nous, nous l’avons fait. Donc, nous nous attendons à ce que les autres en fassent autant.
Vous parliez du nouveau visage de la diplomatie sous le président Patrice Talon. Certains observateurs notent quand même qu’il y a matière à polémique en ce qui concerne la coopération ces dernières années ?
Je l’affirme, la diplomatie a changé de visage et de
stratégie. Il n’est plus question d’aller en relation avec des pays, en
ignorant notre dignité, notre souveraineté, ou d’aller discuter avec une
certaine complexité. Cette option paye suffisamment déjà pour notre pays. Tout
ce que nous voyons comme réalisations du gouvernement avec comme boussole le
Programme d’action du gouvernement (Pag) et comme leader, le chef de l’État
lui-même, derrière, c’est la diplomatie.
Lorsqu’on voit les routes se construire, les hôpitaux
s’ériger, les écoles techniques en chantier, les infrastructures
socio-économiques se multiplier, c’est que la diplomatie a travaillé. Le Bénin
produit aujourd’hui plus de 50 % de son énergie électrique, fournit de l’eau
potable à une large majorité de sa population. Et l’on se demande alors quel
est le rôle que joue la diplomatie. C’est quand la diplomatie a fini de
négocier, de discuter, de nouer les accords que les retombées vont vers les
autres ministères sectoriels pour la mise en œuvre des actions de
développement. En amont comme en aval, on retrouve toujours la diplomatie. Et
désormais, les partenaires interviennent au Bénin en tenant compte de nos
priorités. C’est cela, affirmer notre indépendance, notre dignité.
Il n’est plus question, par exemple, d’organiser des
élections dans notre pays en se référant aux ressources extérieures, ce qui
était le cas jusqu’au régime passé, où pour toutes nos élections on allait
chercher de l’argent à l’extérieur. Lorsque vous tendez la main à un pays, ce
dernier peut vous imposer des candidats. Où se trouvent alors votre liberté,
votre indépendance et votre dignité ? Notre pays est en tête par rapport à ce
vent de panafricanisme qui souffle sur le continent. Un panafricanisme qui,
tout en nous affirmant, ne rejette pas le contact avec les autres peuples, ni
le fait de tirer profit de ce qu’ils ont, dans un partenariat gagnant-gagnant.
Et si les Africains doivent se mettre ensemble, ce n’est pas en faisant
défection des grands ensembles qui réunissent les Africains. Il y a une sorte
de contradiction dans une telle démarche. Par exemple, le Bénin a autorisé les
citoyens de la Cedeao à venir sur son territoire sans visa. C’est cela le vrai
panafricanisme, parce que les frontières sont artificielles et les colons qui
les ont érigées, l’ont fait à dessein.
Dans cette même dynamique, le Bénin a fait l’option d’un retour de nos parents qui ont été déportés, les Afro-Brésiliens, en leur permettant de revenir au bercail, de s’installer, d’acquérir la nationalité et de pouvoir investir. Cela participe à l’unité africaine. Nos biens culturels, spoliés pendant la colonisation, ont été ramenés grâce à la diplomatie. Et d’autres pays africains nous emboîtent aujourd’hui le pas. Cela veut dire que nous sommes en tête par rapport à ce vent de panafricanisme, qui réclame la dignité africaine dans un développement soutenu sans rejeter les autres. C’est vous dire que le Bénin est ouvert à tous les autres pays du monde, pourvu que notre dignité, notre plan de développement soient respectés. Voilà pourquoi aujourd’hui la diplomatie se porte très bien au Bénin, et notre pays est vu avec respect de par le monde.
Le Bénin reste ouvert aux autres pays, mais les paysans se plaignent notamment de ne pouvoir vendre, par exemple, leur soja à qui ils veulent. Qu’en dites-vous ?
Le Bénin a amorcé son industrialisation pour booster son
économie. Le gouvernement estime que nous avons des industries qui peuvent
absorber ces produits-là. Les autres pays se sont développés en misant sur leur
industrie. Aujourd’hui, la Chine talonne les États-Unis, pour ne pas dire les
dépasse, pour avoir vite compris cela, en les ayant obligés à investir et à
créer des industries en Chine.
Ce qui se fait à la zone industrielle de Glo-Djigbé est
inédit : c’est un début d’industrialisation très robuste. C’est pourquoi ceux
qui n’ont pas intérêt à voir l’Afrique se développer sur le plan industriel se
positionnent dans les pays limitrophes pour payer cher le produit et nous
asphyxier. Ils ont les industries mais n’ont pas la matière première.
Lorsqu’ils savent que, par exemple, le kilo est à 300 F ou 400 F, ils sont
prêts à y mettre 1000 F pour freiner l’industrialisation du Bénin. Mais à
l’intérieur du pays, quel comportement devrait-on avoir ? Lorsqu’on s’échine à
expliquer le bien-fondé de la politique de l’État, il y a l’opposition qui
s’acharne à embrouiller les esprits au niveau de ces paysans, juste parce
qu’elle est obnubilée par la prise du pouvoir, aveuglée par ses ambitions.
Les travailleurs sont plus nombreux dans le secteur
primaire. Mais seuls ceux du secteur tertiaire et autres de l’administration
paient l’impôt tous les jours. Les paysans, les plus nombreux, ne paient pas.
Et c’est grâce à la contribution de la minorité qu’on développe le pays, qu’on
construit des routes, des écoles, des centres de santé, etc. Mais ils en
profitent, n’est-ce pas ? Il y a injustice. Le fait d’avoir accepté vendre son
cajou ou son soja à Glo-Djigbé est une manière de contribuer au développement
du pays. Prenons l’exemple d’un paysan qui aurait vendu ses produits aux
expatriés et arrive à faire une économie d’un million dans l’année. Cela lui
suffira-t-il pour voyager et aller se soigner ou soigner sa famille, et envoyer
ses enfants à l’école, dans le pays de l’expatrié ? Mieux, il utilise les
engrais subventionnés par l’État béninois, grâce aux impôts des autres, pour
vendre ensuite le produit à cet expatrié. Est-ce normal ?
Pour transporter son coton, son soja et autres, il emprunte la route construite avec les impôts et il n’y contribue pas. Pour dire que chacun doit donner un peu à la cagnotte pour que les petits ruisseaux puissent faire de grands fleuves. Au moment où nous expliquons ces choses, les opposants qui se font passer pour les amis du peuple viennent intoxiquer, parce qu’ils savent que c’est la vérité. Et même si, par miracle, ils arrivaient à prendre le pouvoir, ils feront pire, parce qu’ils seront obligés de refaire tout ce qu’ils ont détruit sciemment avant d’amorcer le développement.
Nous allons aborder la question du code électoral, jugé crisogène par l’opposition et une frange de la société civile. Quel est votre avis sur le sujet ?
Il faut que l’opposition et la frange de la société
civile qui la soutient comprennent qu'il y a une différence entre la charte des
partis politiques et le code électoral, parce qu’elles font une confusion. La
charte est le document qui fixe les conditions à remplir pour créer un parti
politique. Vous ne verrez pas dans ce document une limitation du nombre de
partis politiques. Nous avons fait l’option, en 1990, d’un multipartisme
intégral, et aucune loi n’interdit à ce jour la création de partis politiques.
Quant au code électoral, pendant que la charte donne la liberté aux citoyens de
créer des partis politiques, il vient réglementer, réguler les conditions pour
accéder au pouvoir. On ne peut quand même pas permettre que 100 partis
politiques aillent au gouvernement. On assisterait à du désordre, à un
cafouillage. Le code électoral est venu réduire, donc exclure les micro-partis,
discipliner les partis politiques qui aspirent à diriger, à former de grands
ensembles, pour qu’à la fin, nous ayons peut-être trois ou quatre grands partis
d’envergure nationale.
Depuis 1990, le Bénin a fait l'option, à travers sa
Constitution, que le pays est un et indivisible. Mais au lendemain de cela, on
a assisté à une floraison de leaders politiques, au point où, à chaque
élection, on assistait à un carnage. Pour régler le problème, nos parents
d'alors sont arrivés à créer le monstre à trois têtes, formé par trois leaders
: Apithy, Ahomadégbé, Maga. Le général Mathieu Kérékou est venu mettre un terme
à ce désordre avec les armes, parce que cela ne garantissait aucune paix, et
sans la paix, il n’y a pas de développement. C’est pourquoi la Constitution a
insisté sur le fait que le Bénin est un et indivisible. Et les articles
incriminés aujourd’hui dans le code électoral concourent à cela.
Je prends le cas des 20 % des suffrages à obtenir par
circonscription électorale pour obtenir des sièges aux élections législatives.
Pourquoi une telle option, surtout qu’aux élections passées, les gens ont
obtenu difficilement les 10 % sur le plan national ? Pour montrer que le Bénin
est un et indivisible et que les partis politiques ne sont pas des partis de
camp, de département ou de région, il faut donner la preuve suffisante que vous
avez des militants dans toutes les circonscriptions électorales.
Auparavant, cette loi existait, mais de manière voilée :
pour aller aux législatives, vous deviez positionner des candidats partout. Les
gens prenaient des inconnus qu'ils envoyaient dans les départements et, sur le
papier, ils couvraient tout le Bénin, alors que c’était du remplissage.
Et ils mettaient les vrais candidats là où ils étaient
forts, pour les faire élire là. C'est de la tricherie. La question des 20 % est
venue régler cela. Il faut être honnête désormais.
Lorsqu’on parle de 20 %, c’est pour sceller l’unité
nationale, que chaque parti affirme sa présence dans les 24 circonscriptions
électorales pour se prévaloir d’une envergure nationale. Vous n'allez plus
entendre quelqu’un, élu président de la République, dire : « Laissez-les venir,
je ferai venir les miens du Nord pour qu’ils s'affrontent. » Le législateur a
pleinement raison de dire qu'il faut mettre les garde-fous pour qu’un président
ne vienne plus dire cela. Et on ne parle pas de 20 % de ceux qui ont réellement
exprimé leurs suffrages. En quoi est-ce compliqué ? Ce n’est pas avoir 20 % le
vrai problème. La difficulté, c’est comment faire sortir ses partisans pour
qu’à la fin du vote, on puisse atteindre ce niveau d’exigence.
Quand on sait qu’aux dernières législatives, aucun parti politique n’a obtenu 20 % dans toutes les circonscriptions électorales, les craintes ne sont-elles pas fondées ?
Voilà pourquoi le législateur a estimé que les partis en lice peuvent nouer des accords parlementaires. Pourquoi ne pas se mettre ensemble avec d’autres partis ? Lorsqu'on prend la décision de tamiser, on met toujours des critères. Il appartient aux partis de s’organiser pour remplir les conditions. Mieux, il y a eu des élections, et les partis politiques savent à quels endroits ils sont faibles. Il suffit de mettre le paquet à ces niveaux-là pour atteindre les 20 %, ou de se mettre en accord avec un parti politique qui y est mieux implanté. Encore que le code n’a pas interdit qu’un parti de l'opposition fasse un accord parlementaire avec un parti de la mouvance. Le code n’est même pas encore éprouvé et déjà, les gens y trouvent ce qui peut troubler les élections. Leur objectif, c’est de créer le problème. Même l’Union progressiste le Renouveau (Upr) et le Bloc républicain (Br), deux partis politiques de la mouvance que vous connaissez, se combattent suffisamment sur le terrain. L'opposition au Bénin n'est tout simplement pas constructive parce que ses acteurs sont conscients de leurs faiblesses, de ce qu’ils vont échouer. Pourquoi ne se mettent-ils pas ensemble avec d'autres partis de la même obédience ? Pourquoi ne veulent-ils pas sentir la Fcbe, qui est aussi de l’opposition et qui a des maires ? Ils font de l’extrémisme politique.
Qu’en est-il de la question du parrainage, où les élus ne sont pas libres de choisir selon leur conviction ?
Dans un passé récent, sous le régime défunt, nous avions
des députés qui, une fois élus, prenaient de l'argent chez des gouvernants pour
voter des lois contre les orientations de leurs partis politiques. Lorsque les
responsables de ces partis les interpellaient, ils démissionnaient. C’est cela
qu’on a appelé transhumance. Nous avons réglé ce problème parce qu’il faut que
désormais le politicien soit quelqu’un de référence, de respecté. En quoi
permettre aux chefs de partis de cautionner les parrainages, c'est restreindre
la liberté des élus ? C’est pour les amener à respecter leur engagement, à ne
plus tricher. Vous prenez les biens du parti, vous jouissez du soutien des
militants pour vous faire élire et, une fois élu, vous tournez le dos au parti
et à la population. C’est de la trahison. Si, grâce à un parti, vous allez à
l’Assemblée nationale, et qu’à un moment donné vous ne vous entendez plus au
sein du parti, vous restez jusqu'à la fin du mandat, et vous quittez. Mais vous
ne pouvez pas, en plein mandat, démissionner pour parler de transhumance. C'est
de la trahison.
Nous allons nous battre comme il se doit dans les urnes pour gagner les élections à venir.
Autant de convictions, pourtant vous n’arrivez pas encore à désigner votre candidat pour la présidentielle de 2026 ?
Vous ne pouvez pas déclarer que nous avons des
difficultés à sortir un candidat. Nous nous organisons parce que les ambitions
sont telles qu’il faut pouvoir les régler progressivement. On n’étouffe pas les
ambitions. On discute entre nous, on arrive à convaincre d'autres pour dire :
« Bon, pour telle raison, il faut laisser tomber et soutenir l’autre», parce que s'il laisse tomber sans soutenir, c’est qu’il y a un problème. Nous sommes dans cette démarche-là, et quand on aura fini, l'opinion le saura. Nous voulons une continuité. On ne veut pas que quelqu’un sorte du néant pour venir remettre en cause tout ce qui a été fait. Le président Patrice Talon a donné un élan économique à notre pays, et il ne faut pas permettre que n'importe qui vienne mettre tout cela à mal. Voilà pourquoi nous réfléchissons, faisons les conciliabules nécessaires pour qu'à la fin, ce soit un candidat consensuel qui pourra faire le jeu.