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Décryptage de l’actualité par le ministre conseiller Déou Malè: « La diplomatie a changé de visage et de stratégie »

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Gilbert Déou Malè, ministre conseiller à la Justice et aux Relations extérieures, justifie les réformes électorales Gilbert Déou Malè, ministre conseiller à la Justice et aux Relations extérieures, justifie les réformes électorales

A quelques mois des échéances électorales de 2026, le ton monte entre pouvoir et opposition. Dans cet entretien, Gilbert Déou Malè, ministre conseiller à la Justice et aux Relations extérieures, justifie les réformes électorales, pointe les « faiblesses » de ses adversaires et promet une victoire éclatante dans les urnes. Il répond sans détour aux critiques sur les relations sous-régionales, affirme la souveraineté du pays et défend une diplomatie de dignité.

Par   Arnaud DOUMANHOUN, le 20 juin 2025 à 07h20 Durée 3 min.
#Elections générales 2026 #Actualité nationale #Diplomatie

La Nation : Aux dernières nouvelles, les autorités du Niger n’entendent pas rouvrir leurs frontières avec le Bénin. Quel regard portez-vous sur cette actualité ?

Gilbert Déou Malè : Les relations entre le Bénin et ses voisins ne dépendent pas que du Bénin. L’amitié, c’est le respect mutuel. Si nous sommes voisins et que nous jouons notre partition pour maintenir de très bonnes relations, il appartient à l’autre partie de jouer la sienne. Qu’il y ait des pays africains qui aient fait l’option de se retrouver en marge de la Cedeao pour créer autre chose, c’est leur droit le plus absolu. Le Bénin respecte leur choix, et c’est une obligation pour ces pays de respecter l’option du Bénin. La Cedeao avait ordonné la fermeture des frontières suite au coup d’État militaire, et une fois les sanctions levées, le problème devait être réglé.

Qu’on aille jusqu’à nous dicter des itinéraires, des conduites à tenir, des relations à nouer avec tel ou tel pays pour avoir la paix, ce n’est pas acceptable. D’ailleurs, après avoir noué ces relations-là, ces pays en question sont-ils arrivés à bout des djihadistes ? Vous nous conseillez, par exemple, de chasser les Français et de nous mettre en accord avec tel ou tel pays. Ils l’ont fait chez eux, pourtant ils ne sont pas en sécurité, ils ne sont pas en paix avec les djihadistes. Cela signifie simplement que ce n’est pas la solution. Et pourquoi vouloir qu’on fasse cette option-là avec eux ? Le Bénin est un pays souverain. Nous entrons en relation avec tous les pays du monde, quitte simplement à préserver notre dignité. C’est l’option faite par le chef de l’État depuis 2016.

Le Bénin a prouvé par tous les moyens que nous n’abritons aucune base militaire française. Mais nous avons des bases militaires à nos frontières pour repousser les djihadistes, sécuriser notre territoire. Et personne ne peut nous en empêcher. Le Bénin ne saurait aller s’immiscer dans la politique sécuritaire de ses voisins. De la même manière, aucun pays voisin ne peut dicter à notre pays la conduite à tenir par rapport à la sécurité de ses citoyens. Tout ce qu’il convient de faire pour créer une ambiance de fraternité entre nos voisins et nous, nous l’avons fait. Donc, nous nous attendons à ce que les autres en fassent autant.

Vous parliez du nouveau visage de la diplomatie sous le président Patrice Talon. Certains observateurs notent quand même qu’il y a matière à polémique en ce qui concerne la coopération ces dernières années ?

Je l’affirme, la diplomatie a changé de visage et de stratégie. Il n’est plus question d’aller en relation avec des pays, en ignorant notre dignité, notre souveraineté, ou d’aller discuter avec une certaine complexité. Cette option paye suffisamment déjà pour notre pays. Tout ce que nous voyons comme réalisations du gouvernement avec comme boussole le Programme d’action du gouvernement (Pag) et comme leader, le chef de l’État lui-même, derrière, c’est la diplomatie.

Lorsqu’on voit les routes se construire, les hôpitaux s’ériger, les écoles techniques en chantier, les infrastructures socio-économiques se multiplier, c’est que la diplomatie a travaillé. Le Bénin produit aujourd’hui plus de 50 % de son énergie électrique, fournit de l’eau potable à une large majorité de sa population. Et l’on se demande alors quel est le rôle que joue la diplomatie. C’est quand la diplomatie a fini de négocier, de discuter, de nouer les accords que les retombées vont vers les autres ministères sectoriels pour la mise en œuvre des actions de développement. En amont comme en aval, on retrouve toujours la diplomatie. Et désormais, les partenaires interviennent au Bénin en tenant compte de nos priorités. C’est cela, affirmer notre indépendance, notre dignité.

Il n’est plus question, par exemple, d’organiser des élections dans notre pays en se référant aux ressources extérieures, ce qui était le cas jusqu’au régime passé, où pour toutes nos élections on allait chercher de l’argent à l’extérieur. Lorsque vous tendez la main à un pays, ce dernier peut vous imposer des candidats. Où se trouvent alors votre liberté, votre indépendance et votre dignité ? Notre pays est en tête par rapport à ce vent de panafricanisme qui souffle sur le continent. Un panafricanisme qui, tout en nous affirmant, ne rejette pas le contact avec les autres peuples, ni le fait de tirer profit de ce qu’ils ont, dans un partenariat gagnant-gagnant. Et si les Africains doivent se mettre ensemble, ce n’est pas en faisant défection des grands ensembles qui réunissent les Africains. Il y a une sorte de contradiction dans une telle démarche. Par exemple, le Bénin a autorisé les citoyens de la Cedeao à venir sur son territoire sans visa. C’est cela le vrai panafricanisme, parce que les frontières sont artificielles et les colons qui les ont érigées, l’ont fait à dessein.

Dans cette même dynamique, le Bénin a fait l’option d’un retour de nos parents qui ont été déportés, les Afro-Brésiliens, en leur permettant de revenir au bercail, de s’installer, d’acquérir la nationalité et de pouvoir investir. Cela participe à l’unité africaine. Nos biens culturels, spoliés pendant la colonisation, ont été ramenés grâce à la diplomatie. Et d’autres pays africains nous emboîtent aujourd’hui le pas. Cela veut dire que nous sommes en tête par rapport à ce vent de panafricanisme, qui réclame la dignité africaine dans un développement soutenu sans rejeter les autres. C’est vous dire que le Bénin est ouvert à tous les autres pays du monde, pourvu que notre dignité, notre plan de développement soient respectés. Voilà pourquoi aujourd’hui la diplomatie se porte très bien au Bénin, et notre pays est vu avec respect de par le monde.

Le Bénin reste ouvert aux autres pays, mais les paysans se plaignent notamment de ne pouvoir vendre, par exemple, leur soja à qui ils veulent. Qu’en dites-vous ?

Le Bénin a amorcé son industrialisation pour booster son économie. Le gouvernement estime que nous avons des industries qui peuvent absorber ces produits-là. Les autres pays se sont développés en misant sur leur industrie. Aujourd’hui, la Chine talonne les États-Unis, pour ne pas dire les dépasse, pour avoir vite compris cela, en les ayant obligés à investir et à créer des industries en Chine.

Ce qui se fait à la zone industrielle de Glo-Djigbé est inédit : c’est un début d’industrialisation très robuste. C’est pourquoi ceux qui n’ont pas intérêt à voir l’Afrique se développer sur le plan industriel se positionnent dans les pays limitrophes pour payer cher le produit et nous asphyxier. Ils ont les industries mais n’ont pas la matière première. Lorsqu’ils savent que, par exemple, le kilo est à 300 F ou 400 F, ils sont prêts à y mettre 1000 F pour freiner l’industrialisation du Bénin. Mais à l’intérieur du pays, quel comportement devrait-on avoir ? Lorsqu’on s’échine à expliquer le bien-fondé de la politique de l’État, il y a l’opposition qui s’acharne à embrouiller les esprits au niveau de ces paysans, juste parce qu’elle est obnubilée par la prise du pouvoir, aveuglée par ses ambitions.

Les travailleurs sont plus nombreux dans le secteur primaire. Mais seuls ceux du secteur tertiaire et autres de l’administration paient l’impôt tous les jours. Les paysans, les plus nombreux, ne paient pas. Et c’est grâce à la contribution de la minorité qu’on développe le pays, qu’on construit des routes, des écoles, des centres de santé, etc. Mais ils en profitent, n’est-ce pas ? Il y a injustice. Le fait d’avoir accepté vendre son cajou ou son soja à Glo-Djigbé est une manière de contribuer au développement du pays. Prenons l’exemple d’un paysan qui aurait vendu ses produits aux expatriés et arrive à faire une économie d’un million dans l’année. Cela lui suffira-t-il pour voyager et aller se soigner ou soigner sa famille, et envoyer ses enfants à l’école, dans le pays de l’expatrié ? Mieux, il utilise les engrais subventionnés par l’État béninois, grâce aux impôts des autres, pour vendre ensuite le produit à cet expatrié. Est-ce normal ?

Pour transporter son coton, son soja et autres, il emprunte la route construite avec les impôts et il n’y contribue pas. Pour dire que chacun doit donner un peu à la cagnotte pour que les petits ruisseaux puissent faire de grands fleuves. Au moment où nous expliquons ces choses, les opposants qui se font passer pour les amis du peuple viennent intoxiquer, parce qu’ils savent que c’est la vérité. Et même si, par miracle, ils arrivaient à prendre le pouvoir, ils feront pire, parce qu’ils seront obligés de refaire tout ce qu’ils ont détruit sciemment avant d’amorcer le développement.

Nous allons aborder la question du code électoral, jugé crisogène par l’opposition et une frange de la société civile. Quel est votre avis sur le sujet ?

Il faut que l’opposition et la frange de la société civile qui la soutient comprennent qu'il y a une différence entre la charte des partis politiques et le code électoral, parce qu’elles font une confusion. La charte est le document qui fixe les conditions à remplir pour créer un parti politique. Vous ne verrez pas dans ce document une limitation du nombre de partis politiques. Nous avons fait l’option, en 1990, d’un multipartisme intégral, et aucune loi n’interdit à ce jour la création de partis politiques. Quant au code électoral, pendant que la charte donne la liberté aux citoyens de créer des partis politiques, il vient réglementer, réguler les conditions pour accéder au pouvoir. On ne peut quand même pas permettre que 100 partis politiques aillent au gouvernement. On assisterait à du désordre, à un cafouillage. Le code électoral est venu réduire, donc exclure les micro-partis, discipliner les partis politiques qui aspirent à diriger, à former de grands ensembles, pour qu’à la fin, nous ayons peut-être trois ou quatre grands partis d’envergure nationale.

Depuis 1990, le Bénin a fait l'option, à travers sa Constitution, que le pays est un et indivisible. Mais au lendemain de cela, on a assisté à une floraison de leaders politiques, au point où, à chaque élection, on assistait à un carnage. Pour régler le problème, nos parents d'alors sont arrivés à créer le monstre à trois têtes, formé par trois leaders : Apithy, Ahomadégbé, Maga. Le général Mathieu Kérékou est venu mettre un terme à ce désordre avec les armes, parce que cela ne garantissait aucune paix, et sans la paix, il n’y a pas de développement. C’est pourquoi la Constitution a insisté sur le fait que le Bénin est un et indivisible. Et les articles incriminés aujourd’hui dans le code électoral concourent à cela.

Je prends le cas des 20 % des suffrages à obtenir par circonscription électorale pour obtenir des sièges aux élections législatives. Pourquoi une telle option, surtout qu’aux élections passées, les gens ont obtenu difficilement les 10 % sur le plan national ? Pour montrer que le Bénin est un et indivisible et que les partis politiques ne sont pas des partis de camp, de département ou de région, il faut donner la preuve suffisante que vous avez des militants dans toutes les circonscriptions électorales.

Auparavant, cette loi existait, mais de manière voilée : pour aller aux législatives, vous deviez positionner des candidats partout. Les gens prenaient des inconnus qu'ils envoyaient dans les départements et, sur le papier, ils couvraient tout le Bénin, alors que c’était du remplissage.

Et ils mettaient les vrais candidats là où ils étaient forts, pour les faire élire là. C'est de la tricherie. La question des 20 % est venue régler cela. Il faut être honnête désormais.

Lorsqu’on parle de 20 %, c’est pour sceller l’unité nationale, que chaque parti affirme sa présence dans les 24 circonscriptions électorales pour se prévaloir d’une envergure nationale. Vous n'allez plus entendre quelqu’un, élu président de la République, dire : « Laissez-les venir, je ferai venir les miens du Nord pour qu’ils s'affrontent. » Le législateur a pleinement raison de dire qu'il faut mettre les garde-fous pour qu’un président ne vienne plus dire cela. Et on ne parle pas de 20 % de ceux qui ont réellement exprimé leurs suffrages. En quoi est-ce compliqué ? Ce n’est pas avoir 20 % le vrai problème. La difficulté, c’est comment faire sortir ses partisans pour qu’à la fin du vote, on puisse atteindre ce niveau d’exigence. 

Quand on sait qu’aux dernières législatives, aucun parti politique n’a obtenu 20 % dans toutes les circonscriptions électorales, les craintes ne sont-elles pas fondées ?

Voilà pourquoi le législateur a estimé que les partis en lice peuvent nouer des accords parlementaires. Pourquoi ne pas se mettre ensemble avec d’autres partis ? Lorsqu'on prend la décision de tamiser, on met toujours des critères. Il appartient aux partis de s’organiser pour remplir les conditions. Mieux, il y a eu des élections, et les partis politiques savent à quels endroits ils sont faibles. Il suffit de mettre le paquet à ces niveaux-là pour atteindre les 20 %, ou de se mettre en accord avec un parti politique qui y est mieux implanté. Encore que le code n’a pas interdit qu’un parti de l'opposition fasse un accord parlementaire avec un parti de la mouvance. Le code n’est même pas encore éprouvé et déjà, les gens y trouvent ce qui peut troubler les élections. Leur objectif, c’est de créer le problème. Même l’Union progressiste le Renouveau (Upr) et le Bloc républicain (Br), deux partis politiques de la mouvance que vous connaissez, se combattent suffisamment sur le terrain. L'opposition au Bénin n'est tout simplement pas constructive parce que ses acteurs sont conscients de leurs faiblesses, de ce qu’ils vont échouer. Pourquoi ne se mettent-ils pas ensemble avec d'autres partis de la même obédience ? Pourquoi ne veulent-ils pas sentir la Fcbe, qui est aussi de l’opposition et qui a des maires ? Ils font de l’extrémisme politique.

Qu’en est-il de la question du parrainage, où les élus ne sont pas libres de choisir selon leur conviction ?

Dans un passé récent, sous le régime défunt, nous avions des députés qui, une fois élus, prenaient de l'argent chez des gouvernants pour voter des lois contre les orientations de leurs partis politiques. Lorsque les responsables de ces partis les interpellaient, ils démissionnaient. C’est cela qu’on a appelé transhumance. Nous avons réglé ce problème parce qu’il faut que désormais le politicien soit quelqu’un de référence, de respecté. En quoi permettre aux chefs de partis de cautionner les parrainages, c'est restreindre la liberté des élus ? C’est pour les amener à respecter leur engagement, à ne plus tricher. Vous prenez les biens du parti, vous jouissez du soutien des militants pour vous faire élire et, une fois élu, vous tournez le dos au parti et à la population. C’est de la trahison. Si, grâce à un parti, vous allez à l’Assemblée nationale, et qu’à un moment donné vous ne vous entendez plus au sein du parti, vous restez jusqu'à la fin du mandat, et vous quittez. Mais vous ne pouvez pas, en plein mandat, démissionner pour parler de transhumance. C'est de la trahison.

Nous allons nous battre comme il se doit dans les urnes pour gagner les élections à venir.

Autant de convictions, pourtant vous n’arrivez pas encore à désigner votre candidat pour la présidentielle de 2026 ?

Vous ne pouvez pas déclarer que nous avons des difficultés à sortir un candidat. Nous nous organisons parce que les ambitions sont telles qu’il faut pouvoir les régler progressivement. On n’étouffe pas les ambitions. On discute entre nous, on arrive à convaincre d'autres pour dire :

« Bon, pour telle raison, il faut laisser tomber et soutenir l’autre», parce que s'il laisse tomber sans soutenir, c’est qu’il y a un problème. Nous sommes dans cette démarche-là, et quand on aura fini, l'opinion le saura. Nous voulons une continuité. On ne veut pas que quelqu’un sorte du néant pour venir remettre en cause tout ce qui a été fait. Le président Patrice Talon a donné un élan économique à notre pays, et il ne faut pas permettre que n'importe qui vienne mettre tout cela à mal. Voilà pourquoi nous réfléchissons, faisons les conciliabules nécessaires pour qu'à la fin, ce soit un candidat consensuel qui pourra faire le jeu.