La Nation Bénin...

José Didier Tonato : « Il fallait réhabiliter l’espace public»

Actualités
Par   Paul AMOUSSOU, le 24 juin 2017 à 11h44

Au nombre des réformes entreprises par la gouvernement, le réaménagement du cadre de vie est un chantier phare. Ce concept, nouveau sous nos cieux, n’est pas sans rendre perplexes des Béninois dont certains peinent encore à en cerner les contours. Eclairages du ministre José Tonato en charge de l’opérationalisation des projets censés transformer le cadre urbain.

 

La dénomination de Cadre de vie est nouvelle au Bénin. Qu’est-ce que cela revêt ?

 

C’est une innovation du président Patrice Talon dont nous sommes très fiers. Ce n’est pas nouveau qu’au Bénin, c’est nouveau en Afrique. J’ai reçu beaucoup d’appréciations positives de quelques ambassadeurs au Bénin qui m’ont dit ‘’pourquoi on n’y a pas pensé avant ?’’. Le cadre de vie, c’est vraiment ce qui traduit le plus la visibilité des toutes les actions d’aménagement, de construction, d’infrastructures. C’est la finalité. Ici c’est pensé comme le secteur qui met en synergie l’aménagement du territoire, le développement urbain, l’habitat, le logement et l’environnement sous toutes ses dimensions, y compris les changements climatiques, les eaux et forêts. C’est vraiment la perception dynamique de la synergie qui doit exister entre ces secteurs-là, parce que généralement et à tort, on intervient de facon parallèle dans ces secteurs alors qu’on devrait intervenir de façon croisée, c’est pour avoir une approche intégrée que le ministère du Cadre de vie a été créé.

Le cadre de vie, nous le percevons comme la visibilité de l’action gouvernementale et le ressenti que les populations en ont.  Vous conviendrez donc que ce n’est pas une mince affaire, car j’ai parlé de ressenti donc le jugement ne dépend pas que de nous. Si le cadre de vie des populations est assaini et agréable, si les populations en sont contentes et satisfaites, là nous saurons que nous avons réussi notre mission. C’est la raison d’être du cadre de vie, évidemment qui croise la dimension du développement durable, les notions de gouvernance, d’économie, et de gestion du social, de l’environnement, toute la thématique environnementale associée à l’aménagement du territoire, au développement urbain, à l’habitat…  

Le message que j’ai perçu à travers ce choix du président Talon c’est que la gouvernance doit avoir une finalité : améliorer les conditions de vie. Notre action  doit consister à améliorer notre cadre de vie, ce n’est pas gouverner pour gouverner, être ministre pour être ministre, c’est pour démontrer la nécessité d’aller vers une utilité de la gouvernance, de l’action publique. Le cadre de vie traduit bien cette utilité-là puisque les populations en ressentent l’impact, et on peut chez eux mesurer le degré de satisfaction de notre action.

 

Il en ressort un aspect écologique…

 

Ah oui, forcément ! Quand vous avez en charge l’environnement qui couvre la biodiversité, les changements climatiques, les eaux et forêts, vous êtes  ministre de l’écologie. Parce que l’écologie, c’est l’action qu’on apporte pour mieux gérer l’environnement vu dans sa dimension holistique, globale, intégrant tous les aspects de préservation de la nature.

 

Que dites vous des récriinations suite à l’opération de libération de l’espace public ?

 

D’abord, je dois dire que le gouvernement est conscient de ce que les populations dans leur chair au quotidien sont confrontées à des moments difficiles. Mais c’est à tort que la gouvernance passée  leur a laissé croire qu’elles pouvaient occuper le domaine public, qu’occuper le domaine public est un droit, est normal, que le domaine public appartient à celui qui s’en accapare le premier. Mais non ! Le domaine public à d’autres fonctions. Celle de mobilité, de service, de l’hygiène, de salubrité et de sécurité.  

Nous avions un espace public où le piéton, le plus faible était brimé, n’avait pas de place alors que les trottoirs sont faits pour eux, et non pour l’exposition de marchandises. Nous avons donc estimé qu’il faut réhabiliter la conception initiale de l’espace urbain, à savoir qu’il est d’abord dévolu aux infrastructures de service public et non aux activités commerciales.

 

Quelle en sera la phase suivante ?

 

L’espace public est dédié aux infrastructures d’assainissement, de voirie, à l’éclairage public, au mobilier urbain, bref c’est un espace de circulation, c’est idéalement un poumon d’aération dans la ville. Donc, ceux qui se demandent ce qu’adviendra de l’espace libéré doivent savoir que l’espace public doit par essence être un espace totalement libéré de toute occupation. Dans tous les pays du monde, c’est comme cela. Maintenant que nous avons libéré l’espace public, il faut sauvegarder les aménagements existant, et aménager là où il n’y avait pas d’infrastructures. Voyez-vous, sur nos terres-pleins, des arbres plantés depuis des années n’ont jamais prospéré. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’à côté, on vend du riz, et quand on lave les plats, on verse l’eau usagée composée de savon et d’huile.

Mais sur tout autre plan, ceux qui occupaient l’espace public subissaient une double peine. Ils payaient à la ville qui percevait indument des taxes, j’insiste là-dessus, et ils payaient encore aux personnes dont ils occupaient la devanture. Pendant ce temps, d’autres ont loué des boutiques régulièrement, mais se voient ravir la vedette par ceux qui se sont installés dans le domaine public, car on ne voit pas leurs boutiques. Face à un tel désordre, il fallait réhabiliter l’espace public, mais ensuite travailler pour l’attractivité de nos villes.

Et quand je parle d’attractivité, je ne parle pas d’esthétique seulement, je parle aussi d’économie, car pour qu’un investisseur décide de venir chez nous il faut que la ville lui plaise. C’est pourquoi le gouvernement a prévu une série d’aménagement qui va intervenir dans les mois à venir. Vous avez déjà sans doute entendu parler de l’opération asphaltage, la réhabilitation par le bitumage et l’assainissement de l’essentiel de la voirie urbaine, de la voirie primaire, de la voirie secondaire. Donc l’opération de libération de l’espace public, ce n’est pas une brimade, et ceux qui ont suivi la présentation du Programme d’action du gouvernement se sont rendu compte qu’il y a de l’aménagement qui vient derrière. Pour la première fois, depuis quarante ans, on va par exemple géréer de façon globale l’assainissement de la ville de Cotonou, le Bénin va désormais s’occuper de façon moderne de la gestion des déchets. La finalité est de moderniser et de donner la priorité aux emplois durables, car avec tous les travaux d’aménagement en vue c’est des emplois sur les cinq années à venir.

 

Il est reproché au gouvernement malgré ses belles intentions de ne pas avoir prévu de mesures d’accompagnement. Qu’en dites-vous ?

 

C’est le volet sur lequel je parle moins, car nous avons un projet tellement bien pensé. Et les mois à venir édifieront à ce propos. Mais parlant de mesures d’accompagnement, savez-vous que dans Cotonou sur la vingtaine de marchés secondaires que nous avons, moins de 40% des places sont occupées ? Et ce, pour la simple raison que devant les marchés, les mêmes autorités qui louent les places autorisent d’autres à s’installer pour vendre les mêmes produits que ceux de l’intérieur ! Résultat, tout le monde veut s’installer dehors sur l’espace public. Il a manqué un minimum de rigueur dans la gestion. 

Quant aux solutions envisagées, il y a l’installation des gens déplacés dans ces marchés. Le maire de Cotonou a parlé de 1000 places, mais il y en a plus. Comme autres mesures d’accompagnement, nous allons travailler sur la réahabilitation des marchés. Et dans le même temps, nous avons identifié des espaces qui seront réaménagés et où, ceux qui ont été amenés à libérer l’espace public, seront installés.

 

Concrètement, en quoi va consister la réhabilitation ?

 

La réhabilitation va consister au réaménagement des installations des marchés. Les hangars vont être reconstruits, les espaces sanitaires seront modernisés. Imaginez-vous que les gens viennent rester dans les marchés 12 heures par jour, ils n’ont pas un espace sanitaire convenable ou se mettre à l’aise, les infrastrutures sont dans un état lamentable, pourtant les bonnes femmes ont régulièrement payé leurs droits et taxes. Vous remarquerez qu’il y a une cohérence dans les projets : modernisation du marché Dantokpa, aménagement des berges, contournement de Cotonou, libération de l’espace public, opération d’asphaltage, modernisation de la gestion des déchets, etc. Voilà le dispositif dans lequel on est, ce n’est pas des projets coup par coup, mais des projets bien conçus pour que d’ici cinq ans, nos villes aient une autre image et que nous gagnions en attractivité.

 

Autre écueil relevé, la coopération entre le pouvoir central et les mairies. Qu’en est-il concrètement ?

 

Je ne suis pas un spécialiste de la décentralisation, mais je connais les textes de la décentralisation. En l’occurrence, les collectivités détiennent un pouvoir délégué du pouvoir central. Nous sommes dans une opération qui implique une quinzaine de villes. Combien sont-ils de maires à se plaindre ? Le gouvernement n’empiète sur les plates bandes d’aucune mairie. Lorsque le gouvernement signe un accord de financement avec les bailleurs de fonds qui profite aux collectivités locales, je n’entends pas dire qu’il empiète sur les plates bandes de personne, ce faisant. Mais lorsqu’on décide d’aider les mairies sur un terrain où ils sont visiblement en difficulté, on parle de plates bandes. On a nettoyé les plages, est-ce des prérogatives du pouvoir central ? Moi je vois plutôt un accompagnement des communes dans la réussite de leurs missions. Pour éviter tout malentendu, le chef de l’Etat a même pris langue avec les maires pour leur faire part de ce qu’il est sensible à leurs difficultés y compris politiques et leur a demandé de dire aux populations que c’est lui et non eux les maires qui sont responsables des opérations. Moi-même j’ai discuté avec les maires et les préfets pour expliquer les buts de l’opération. Je ne vois donc pas de raison qui justifie la polémique que vous évoquez.  Ailleurs comme en Côte d’Ivoire, il y a eu la même opération sans la moindre mesure de sensibilisation qui a duré six mois chez nous. Nous avons même marqué les lieux pour prévenir les concernés et leur indiquer ce que nous n’acceptons pas, afin qu’il n’y ait pas de malentendu. Quelle autre mesure prendre? L’Etat central n’a-t-il pas suffisamment à faire que d’aller encore se mêler des affaires des collectivités locales ? On ne peut pas réussir cette opération sans les collectvités locales et pérenniser les réalisations si les autorités locales ne sont pas impliquées, nous avons l’obligation de les impliquer. Toutefois, s’il y en a qui ont des préoccupations particulières, qu’ils les mettent sur la table pour que nous en discutions.

Le ministère du Cadre de vie est le ministère par définition du partenariat avec les collectivités locales. Toutes ces interventions, en plus de changer nos cadres de vie, sont pourvoyeuses d’emplois. Si je prends, ne serait-ce que l’opération d’assinissement des plages, elle a mobilisé plus de 4 000 jeunes. C’est autant d’aspects positifs que nous ne devons pas perdre de vue, et donc prioriser la synergie d’action.

 

On vous reproche également de vouloir transformer Cotonou en Paris du jour au lendemain…

 

Je sais que tous les Cotonois rêvent de voir Cotonou transformé en Paris. Nous avons libéré, déblayé, puis rendre propre avant d’aménager selon le planning retenu. Et quand je parle d’aménagement, c’est l’assainissement des caniveaux, l’asphaltage, l’éclairage solaire, l’installation de banquettes et poubelles, le reboisement, etc. A terme, avec toutes ces mesures, nous envisageons de disputer le titre de ville la plus propre d’Afrique à Kigali. Mais en plus, il y aura des orodateurs, nous allons mettre en place des systèmes de gestion des parkings, gratuits et payants…. Nous allons revenir sur les fondamentaux de gouvernance en matière d’urbanisme dans le seul but d’améliorer notre cadre de vie. Vous savez, quand le baron Haussmann a décidé de tailler dans Paris pour la transformer, ce fut le tollé général, si on avait pu le pendre, ses détracteurs n’auraient pas hésité. Mais les résultats sont là, aujourd’hui tout le monde ne jure que par Haussmann.

 

Seriez-vous le Haussmann du Bénin ou diriez-vous comme Churchill qu’il y aura larmes et sang ?

 

Il n’y aura ni larmes ni sang. Et je me fie à la capacité d’adaptation et de résilience des Béninois.

 

PS : interview réalisée en mars dernier pour La Nation Magazine. Mais toujours prégnante!