La Nation Bénin...
L’organisation
du volet culturel des Vodun Days a été méticuleuse, notamment pour la beauté,
la finesse et la qualité des tableaux artistiques proposés par les vodunsi. A
cet égard, des innovations ont été apportées par rapport à l’édition
précédente. Professeur Mahougnon Kakpo, président du Comité des rites vodun,
revient ici sur lesdites innovations et donne des précisions utiles.
La Nation : Professeur Mahougnon Kakpo, rappelez-nous le rôle du Comité des rites vodun dans l’organisation des Vodun Days.
Mahougnon
Kakpo : Le Comité des rites vodun du Bénin n’est pas un Comité pour les
Vodun Days seulement. C’est un Comité permanent qui apprécie les actions autour
du vodun, qui donne des conseils sur la façon dont le vodun doit être présenté.
Il conseille également sur les actions à poser pour que le vodun soit
positionné dans le tourisme religieux. L’objectif, c’est de faire la promotion du
tourisme autour du vodun. Cela s’appelle le tourisme religieux.
Le
Bénin n’est pas le premier pays à initier cela. Cela existe autour des autres
religions. Vous connaissez le pèlerinage à la Mecque, en Chine vous connaissez
plusieurs sites où on organise le même événement. Mais au niveau du Bénin, là
où c’est authentique, c’est que cela se passe autour du vodun qui est la
religion authentique des peuples qui se situent dans le golfe de Guinée. Quand
je dis religion authentique, c’est la religion originelle. Ce n’est pas une
religion révélée. Le vodun n’est pas une religion révélée. C’est une religion
authentique des peuples de cette aire culturelle.
Donc, en tant qu’identité remarquable de ces peuples, il est nécessaire d’organiser un événement fondamental autour du vodun, vu déjà que le pays dispose d’une loi organisant la fête annuelle des religions traditionnelles. Pour aller plus loin, cette loi a été modifiée pour accorder davantage de jours de célébration autour de cette fête. Ceci, parce que l’engouement que suscite la participation aux activités autour du vodun est grand, pas pour que les gens s’initient au vodun, mais pour découvrir davantage ce qu’est le vodun. Donc, le gouvernement se situe dans un couloir culturel et non cultuel, le pays étant un pays absolument laïc. Donc, se situant dans ce couloir culturel, il est nécessaire de montrer le vodun d’une façon précise. C’est cet engouement que, aussi bien les Béninoises et Béninois que les citoyens du monde entier développent autour du vodun qui amène à mieux organiser la manifestation que l’on appelle la fête des religions traditionnelles béninoises et à inscrire au sein de cette fête le format nouveau appelé les Vodun Days.
Quelles sont les innovations que vous apportez aux Vodun Days cette année ?
En
termes d’innovations au niveau de l’organisation de la fête, il y a la révision
de la loi qui institue les fêtes ou la fête des religions traditionnelles. Nous
avions une première loi qui date de 1997. Cette loi a fixé l’organisation de
cette fête au 10 janvier de chaque année. Mais vu l’engouement que suscite le
vodun aujourd’hui, on a compris que quelqu’un qui quitte le Brésil, la
Louisiane, Haïti, les Caraïbes pour venir participer à la fête du vodun et qui
n’a qu’un seul jour qui est le 10 janvier, cela est absolument insuffisant. Les
communautés vodun elles-mêmes ont demandé que les jours soient augmentés pour
la célébration du vodun. Par conséquent, il y a eu un projet de loi envoyé par
le gouvernement à l’Assemblée nationale et qui propose deux jours et fixe
désormais la fête au deuxième vendredi de janvier. Avant ce vendredi, le jeudi
qui le précède est également chômé. C’est déjà une réforme au niveau de la loi.
Quand on vient au niveau des activités, il y a plusieurs choses. Vous avez parlé
de la première édition, mais nous, nous considérons ce qui s’est passé l’année
dernière comme l’édition zéro ou même l’édition test. Au cours de cette édition
test, les vodun que vous aviez vus étaient des vodun de la ville de Ouidah.
C’était l’option première. Mais après ce test, nous avons dit qu’il faut
l’élargir à tout le territoire national. Par conséquent, il y a des vodun qui
ont été sollicités d’un peu partout du territoire national.
Ensuite,
il y a eu une augmentation des places d’animation pour le vodun. L’année
dernière, on en avait eu à peu près cinq. Pour l’édition de cette année, nous
en avons environ sept. Les deux nouvelles places sont le Sato
(l’esplanade) du couvent Sakpata de Zoungbodji qui va servir de place
d’animation pour le vodun Sakpata, et l’Arène culturelle qui occupe une place
fondamentale dans le dispositif de l’organisation des Vodun Days.
Nous avons, dans l’organisation des vodun Days, une grande activité qu’on appelle la grande cérémonie vodun. Cette grande cérémonie vodun se déroule sur un géant podium érigé à la plage et qui accueille près de 15 000 personnes. Cette activité montre le déroulement en plusieurs étapes de plusieurs autres activités, tout comme l’année dernière. Il y a eu la présentation de la théologie vodun, la consultation du Bénin Tôfa de l’année, la procession de plusieurs vodun. Mais cette année, il y aura ce que nous appelons la grande bénédiction œcuménique, c’est-à-dire une grande prière qui sera dite sur tout le monde entier pour bénir et demander le don de la sagesse, la santé, la sécurité, la clairvoyance sur aussi bien les participants présents et non présents, les Béninois que tous les humains du monde entier. C’est un rituel spécifique qui est conçu à cet effet. Vous aurez l’occasion d’apprécier la beauté, la magnificence de ce que l’on appelle le vodun. Vous allez apprécier, vous allez aimer le vodun. On ne vous demande pas de vous initier forcément au vodun parce que le vodun étant une religion, et la religion étant une affaire personnelle, une démarche individuelle, vous aurez l’occasion de prendre votre décision.
Le Bénin veut s’ouvrir au monde entier à travers le vodun, mais il y a quelques critiques qui reviennent de manière insistante comme par exemple les immolations, la vue du sang et certaines scènes que des personnes disent ne pas supporter. Qu’en dites-vous, Professeur ?
Le vodun est une pratique authentique des peuples de l’aire culturelle que nous partageons avec d’autres. Donc, c’est une religion de base. Et cette religion avait des pratiques spécifiques. Aujourd’hui, le monde évolue. Il y a des sensibilités. À partir de ce moment, il y a des pratiques qu’on peut bannir ou qu’on peut réduire pour les rendre au goût du jour sans pour autant porter atteinte à l’efficacité du rituel. Le vodun n’aura pas été le premier à offrir cette démarche méthodologique. Cela a existé ou existe dans la plupart des religions. Je connais des religions où, au départ, c’était du sang. On mettait une sorte de torche dans le sang et on aspergeait un peu partout. Aujourd’hui, les gens ont arrêté ça. Pourquoi ? Parce que la vue du sang est devenue quelque chose de très sensible pour les hommes. Vous allez même observer que vous journalistes, on vous interdit de montrer des cadavres, de montrer des accidents avec du sang. Vous pouvez en parler, vous pouvez évoquer cela, mais on vous interdit de le montrer. C’est parce que les hommes sont devenus de plus en plus sensibles. Or, un élément fondamental dans le vodun, c’est le sang. Parce que le sang est considéré comme un principe actif, un principe vivifiant. Mais il s’agit du sang des animaux. Vu que les humains deviennent de plus en plus sensibles à cet élément, à cette vue, il est proposé que l’on puisse aller à des réformes. Vous allez constater que, de plus en plus, il n’y a plus d’immolation. Mais cela ne signifie peut-être pas qu’il n’y en a plus. Nous sommes dans un processus de réduction ou de bannissement des immolations. S’agissant des offrandes, nous sommes en train de voir quel type de réforme on peut apporter aux éléments qui doivent servir d’offrandes. Ceci, parce qu’il y a certains éléments qui rentrent dans les offrandes et qui, quelques heures après, commencent à se décomposer, à pourrir et à donner des exhalations nauséeuses. Nous ne pouvons pas continuer avec ça. Donc, nous sommes en train de travailler pour qu’on puisse réduire, si possible bannir ces éléments des offrandes pour les vodun.
Aujourd’hui, les Vodun Days suscitent un grand engouement. La religion vodun également. Est-ce qu’on peut dire que les Béninois commencent à s’accepter ou à accepter cette religion comme la leur ?
Les
Béninois ont toujours accepté le vodun comme étant leur religion première.
Seulement, il y avait trop d’hypocrisie parce que le colonisateur avait fait
croire que le vodun, c’était la méchanceté, c’était la sorcellerie, c’était la
damnation. Par conséquent, pour quelqu’un qui a besoin du vodun, ou des
services du vodun, pour qu’il puisse aller vers le vodun, il se cache. Mais
pour aller, par exemple, à l’église ou à la mosquée, il se montre
gaillardement. Il souhaite même qu’on le photographie, qu’on le filme au moment
où il va à l’église, etc. Alors que de l’autre côté, c’est la nuit. Mais
aujourd’hui, cela change de plus en plus. Regardez comment les fidèles vodun se
manifestent aujourd’hui, sans crainte, sans gêne, sans peur. Alors qu’avant, ce
n’était pas le même comportement. Cela signifie que les préjugés sont en train
de partir. Ils sont même déjà partis et les Béninois ont compris qu’ils doivent
continuer à montrer leur religion. Pour ceux qui pratiquent le vodun, c’est
leur religion, ils montrent ça. Pour ceux qui ne sont pas dans la religion
vodun, ils pratiquent la religion de leur choix. Nous sommes dans un pays laïc,
un pays de pluralité religieuse, et chacun doit accepter la religion de son
prochain, sans l’obliger à venir vers sa religion. Vous savez que le vodun
n’est pas une religion expansionniste, le vodun n’est pas une religion
impérialiste, parce que c’est une philosophie, c’est la religion de base. Quel
que soit ce que vous faites, si vous êtes dans la culture, vous allez pratiquer
le vodun, d’une façon ou d’une autre, consciemment ou inconsciemment.
Des personnalités comme vous, travaillent à ce qu’il y ait une restructuration du discours, des éléments de langage autour de la religion vodun. Quel est l’intérêt d’une démarche comme celle-là ?
Cette
démarche contribue à la déconstruction du narratif autour du vodun, parce que
le vodun a connu des assauts par le passé. Le vodun a été montré comme quelque
chose qui est mauvais, comme quelque chose qu’il faut fuir. Vous qui allez vers
ce qui est mauvais, ou ce qu’on a qualifié de mauvais, on vous taxe de ceci ou
de cela. Par conséquent, les Béninois eux-mêmes, ils sont réservés. Ils deviennent
hypocrites, parce qu’ils ne peuvent pas se départir des pratiques culturelles
du vodun.
Quelqu’un qui veut se rendre chez le prête du fâ, pour y aller, il va se cacher. Il va garer son véhicule plus loin et il marche parce qu’il ne souhaiterait pas que les gens le voient avec cette personne, même si cette personne est un parent à lui. C’était avant ça. Aujourd’hui, il y a des cabinets qui sont ouverts, qui donnent des services dans le cadre culturel, initiatique et dans le cadre des pratiques du vodun. Et cela est légion dans le pays. Je crois que c’est une bonne démarche qui permet aux Béninois d’être décomplexés dans la pratique du vodun ou dans l’observance même des pratiques du vodun.
Au regard du programme établi, est-ce que vous pouvez donner l’assurance que les dignitaires, les fidèles vodun sont prêts à combler les attentes ?
Ils le font déjà, parce que c’est eux-mêmes qui souhaitent ça, ils étaient à l’étroit dans leur pratique. Aujourd’hui, ça se fait de façon manifeste et décomplexée. Je crois que tout le monde est content aujourd’hui du vodun. Tout le monde est content aujourd’hui que le vodun soit hissé à ce niveau-là, et que l’on ait un nouveau visage, une nouvelle façon de voir et d’apprécier le vodun aussi bien sur le plan national que sur le plan international.
Le vodun est à la fois culturel et cultuel. Les Vodun Days sont là avec tout l’engouement autour ; comment le profane peut-il faire la démarcation ?
Il va faire la démarcation parce qu’il n’y a rien de cultuel qui soit proposé dans les Vodun days. La démarche est culturelle. Montrer ce que le vodun a comme valeur, comme authenticité, parce que lorsque vous n’avez pas vu vous-même ce qu’est le vodun, vous ne pouvez pas continuer de croire que le vodun est un élément bienfaiteur pour l’être humain. C’est pour cela qu’il est nécessaire que le gouvernement fasse voir le vodun dans sa nature pour que les uns et les autres puissent faire leur propre opinion du vodun et quitter les préjugés qui sont collés au vodun. Je crois que ces préjugés sont en train de s’effacer définitivement pour que le vodun soit regardé d’une nouvelle façon.
On entend dire que le vodun s’arrête à la partie méridionale de notre pays et que la partie septentrionale ne se sent pas vraiment concernée, notamment par tout ce qui se fait aujourd’hui dans le cadre des Vodun Days.
Quand
on dit vodun, c’est une terminologie qu’on utilise pour désigner une pratique
qui est multiple, selon les peuples. Le Bénin est constitué de plusieurs
peuples et chaque peuple a sa façon de pratiquer le vodun et de nommer ce que
nous, ici, nous appelons le vodun. La pratique est presque la même dans toutes
les contrées. Mais le mot pour désigner la pratique n’est pas le même parce que
tout le monde ne parle pas la même langue dans le pays. Nous avons plusieurs
langues dans le pays et la réforme post-alphabétique des langues a prévu six
langues. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a que six langues au Bénin. Il y
en a plusieurs dizaines dans le pays.
Lorsque nous restons au niveau de ces six langues seulement, la façon dont on nomme la pratique appelée ici vodun, est différente. Mais nous avons choisi de retenir la terminologie vodun pour tout englober parce que c’est cette terminologie qui est la plus usitée aujourd’hui, aussi bien à l’interne qu’à l’externe. C’est pour cela que nous utilisons le terme vodun comme un terme générique pour désigner les pratiques culturelles ou cultuelles authentiques de nos peuples.