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Méré Konigui Baira sur les conflits agropastoraux: « Notre diversité est une richesse et non une menace »

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Méré Konigui Baira, chef d’arrondissement de Brignamaro,  appelle à l’unité entre les peuples Méré Konigui Baira, chef d’arrondissement de Brignamaro, appelle à l’unité entre les peuples

Méré Konigui Baira, chef d’arrondissement de Brignamaro dans la commune de Kérou, décrit la réalité des conflits agropastoraux qui minent sa localité. Pour lui, la cohésion sociale reste le ciment indispensable pour surmonter ces tensions et accompagner le développement local.

 

Par   Babylas ATINKPAHOUN, le 19 sept. 2025 à 09h09 Durée 3 min.
#Conflits agropastoraux

La Nation : Quelle est la valeur de l’agriculture et de l’élevage dans votre localité ?

Méré Konigui Baira : L’agriculture et l’élevage sont fondamentaux et contribuent au développement économique et social de l’arrondissement. Elles représentent la principale source de revenus pour la majorité des habitants. Même si le commerce existe, ce sont bien l’agriculture et l’élevage qui forment l’ossature de notre économie locale. Elles soutiennent nos familles et, au-delà, elles contribuent à nourrir la nation tout entière.

En plus, elles favorisent la création d’emplois pour les jeunes et permettent à beaucoup de ménages de subvenir à leurs besoins essentiels : scolariser les enfants, se soigner, investir dans l’habitat. Quand ces activités se portent bien, c’est tout le tissu social qui se stabilise. C’est pour cela que nous devons veiller à préserver ces secteurs malgré les défis, notamment les conflits, pour que notre localité continue de vivre de ses atouts naturels et humains.

Comment apprécier l’état actuel de l’activité agropastorale dans votre arrondissement ?

Aujourd’hui, l’activité agropastorale traverse une phase délicate au Bénin et mon arrondissement n’est pas épargné. Si je le dis, c’est parce que nous faisons face à un nombre croissant de conflits. Ils sont particulièrement fréquents en saison pluvieuse. Pratiquement chaque jour, nous devons gérer des crises. Les plus connus sont ceux entre éleveurs et agriculteurs, mais il y a aussi des conflits entre agriculteurs eux-mêmes, ou entre éleveurs. Dans mes onze villages administratifs, tous sont touchés, car ils ont tous un fort potentiel agricole et pastoral. Notre commune est à 97 % agricole, donc ces tensions impactent presque tout le monde.

D’où viennent exactement ces tensions entre agriculteurs et éleveurs ?

Les conflits entre agriculteurs se produisent souvent à cause des problèmes de terres. Chez nous, les terres se transmettent par héritage ou sont vendues. Il arrive qu’un enfant, absent au moment d’une vente, revienne des années plus tard pour revendiquer la propriété. Naturellement, cela déclenche des querelles, parfois très difficiles à résoudre. Ces situations sont fréquentes, surtout lorsque la transmission des terres n’a pas été bien encadrée ou quand il n’y a pas de preuves écrites.

Concernant les conflits entre éleveurs, beaucoup pensent que l’élevage se limite aux gros troupeaux de bœufs, mais ce n’est pas le cas. Même quelques moutons ou des poules à la maison relèvent de l’élevage. Et donc, pour ouvrir un couloir de passage, certains petits éleveurs estiment qu’ils ne sont pas concernés, car ils n’ont que deux têtes de bœuf. Mais en réalité, ces couloirs concernent tout le monde. Le manque de compréhension crée des blocages. À cela s’ajoutent les problèmes lors de la transhumance. Quand un troupeau cause des dégâts dans un champ, il arrive qu’un autre éleveur, qui n’y est pour rien, soit tenu pour responsable parce que, peut-être, il s’est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Ces confusions alimentent la méfiance.

Quels sont les facteurs qui alimentent les conflits entre agriculteurs et éleveurs ?

Les principales causes sont bien connues. C’est le manque de couloirs de passage et d’aires de pâturage aménagés. Quand ces espaces n’existent pas ou sont bouchés, les troupeaux sont obligés de passer par les champs cultivés. Cela entraîne des dégâts, et parfois, la moindre altercation peut dégénérer. Malgré les efforts du gouvernement, il faut reconnaître que certaines personnes s’opposent encore à la mise en place de ces couloirs, ce qui complique la tâche.

Pour corriger le tir, d’abord, nous multiplions les sensibilisations, aussi bien du côté des éleveurs que des agriculteurs. Nous insistons sur l’importance de respecter les couloirs de passage et de préserver la paix.

Ensuite, nous travaillons à la réouverture de certains couloirs fermés depuis des années, selon les instructions du gouvernement. Nous identifions aussi des espaces de pâturage pour que les animaux puissent circuler et se nourrir sans envahir les champs. Bien entendu, nous restons ouverts au dialogue pour trouver, à chaque fois, la solution la plus adaptée.

Existe-t-il une complémentarité dans le travail entre l’administration locale, les organisations de la société civile et les institutions de l’Etat ?

Les organisations de la société civile et les institutions de l’Etat jouent un rôle déterminant aux côtés de l’administration locale dans la gestion de ces conflits. Seul, nous ne pouvons rien faire. Nous avons l’obligation de travailler main dans la main avec elles. Souvent, ce sont ces organisations qui détectent les problèmes sur le terrain et qui nous alertent. En tant que chef d’arrondissement, je dois être à leur écoute et disponible pour faciliter la médiation. Beaucoup de conflits se règlent à l’amiable grâce à ces comités locaux. Mais quand il y a blessure ou, pire encore, mort d’homme, nous devons transmettre le dossier aux autorités compétentes, comme le commissariat ou la justice. Notre rôle est surtout de prévenir, d’apaiser les tensions et de promouvoir le dialogue.

Que faire pour consolider la cohésion entre les communautés sur le long terme ?

La cohésion repose sur plusieurs éléments : le respect mutuel, la compréhension et le pardon. Chez nous, la plupart des éleveurs sont Peulhs et beaucoup d’agriculteurs sont Bariba ou d’autres ethnies bien entendu. Ils vivent ensemble depuis longtemps, mais cela demande des efforts quotidiens. Et c’est ce qu’on s’attelle à faire chaque jour. Lorsque les conflits éclatent, notre premier réflexe est le règlement à l’amiable. On s’assoit avec les protagonistes et on s’entend sur un point. Celui qui a causé le dommage procède à une indemnisation mais des fois, juste le pardon suffit pour calmer les ardeurs.  Les mariages entre communautés peuvent aussi contribuer à apaiser les tensions. Un Peulh, qui épouse une femme Bariba par exemple, fait un pas vers l’autre et facilite la gestion des incompréhensions. C’est un facteur de brassage culturel qu’il faut encourager. Nous devons apprendre à vivre ensemble malgré nos différences, parce que notre diversité est une richesse et non une menace.

Notre plan de développement communal prend en compte ces questions. Mais planifier ne suffit pas, il faut pouvoir mettre en œuvre. La sédentarisation du bétail, par exemple, pourrait apporter une solution durable pour prévenir les conflits, mais pour l’instant, nous faisons face à des obstacles fonciers qui ralentissent ce projet. C’est pourquoi, j’appelle l’État central, le Haut-Commissariat à la sédentarisation des éleveurs et nos partenaires financiers à continuer de nous soutenir, à descendre sur le terrain pour bien cerner la réalité et nous aider à agir efficacement.

Je demande également à la population de rester disponibles, de respecter les recommandations et de maintenir le dialogue. Nous sommes fiers des efforts déjà consentis. Nous avons la ferme ambition de parvenir un jour à une situation où il n’y aura plus aucun conflit entre éleveurs et agriculteurs, ni entre éleveurs eux-mêmes, ni entre agriculteurs. Mais cela ne sera possible qu’avec l’implication de tous. La cohésion, c’est le ciment qui permettra à nos communautés de continuer à se développer dans la paix.