J’ai été député pour la première fois en 1999 et j’en suis à mon 4e mandat non consécutif. Alors, vous devinez qu’au sein de cette Assemblée, j’ai eu la faveur divine d’être alternativement, mouvancier minoritaire, mouvancier majoritaire, opposant, sous les régimes de trois présidents : Mathieu
Kérékou, Boni Yayi et Patrice Talon. Et à ce titre, autant à l’Assemblée que sur la scène politique en général, j’ai eu la chance de voir un peu de toutes sortes, concernant les négociations et les compromis politiques. J’ai donc jugé utile, au regard de ma modeste expérience, de faire ce partage personnel avec l’opinion nationale et internationale avant même que l’Assemblée ne se penche sur cette proposition de loi d’amnistie.
Les circonstances d’introduction de la loi
Qu’il nous souvienne qu’au Bénin, ce n’est pas la première fois que l’Assemblée est appelée à voter une loi d’amnistie ; c’est sans doute pour cela qu’on aime à y recourir.
Sur décision de la Conférence nationale de février 1990, une loi d’amnistie a été votée par le Haut Conseil de la République (Hcr), sous la présidence de Monseigneur Isidore de Souza, pour amnistier tous les actes politiques de la période révolutionnaire, sous le régime du président Mathieu Kérékou. Une telle décision a été prise à l’unanimité par toutes les forces vives de la nation réunies en conférence nationale souveraine. Ont été concernés, tous les opposants et tous les soutiens, autorités ou agents du pouvoir du régime Kérékou de 1972 à 1990.
La seconde loi d’amnistie a été votée le 31 octobre 2019, par la 8e législature de l’Assemblée nationale dirigée par Louis
Gbèhounou Vlavonou, sous le régime du président Patrice Talon. Elle constituait la mise en œuvre d’une décision du dialogue politique qui a regroupé au Palais des congrès, tous les partis politiques officiellement reconnus. Cette amnistie concerne toutes les personnes, sans distinction, impliquées dans les violences électorales du 28 avril 2019.
Comme on doit le constater : l’initiative de chacune de ces lois d’amnistie est soutenue par une assise ou concertation de toutes les forces politiques de la nation qui prennent la décision unanime d’amnistier. Il faut rappeler à ce sujet qu’en 2019, le principal parti de l’opposition du moment, le parti Forces Cauris pour un Bénin Emergent (Fcbe), qui avait porté cette doléance, l’a posée dans le cadre du dialogue politique tenu du 10 au 12 octobre 2019 qui en a décidé. La représentation nationale n’a eu d’autre choix que de l’appliquer.
Les lois d’amnistie ne portent pas de nom d’individu, mais de faits dans lesquels les individus se reconnaissent, sans distinction d’appartenance politique ou sociale.
Alors je me pose la question de savoir pourquoi, tout en connaissant ces conditions nécessaires, la proposition de la loi d’amnistie sortie de la gibecière du parti Les Démocrates (LD), un parti d’opposition, a été introduite directement et furtivement à l’Assemblée sans concertation avec aucune autre force politique.
Est-ce que ce n’est pas peut-être une ignorance ou une méconnaissance de la nature et des implications du contenu de l’objet même de la proposition de loi d’amnistie ?
La nature et l’implication de la loi d’amnistie
Tous nos juristes et tous les Béninois qui s’intéressent à cette question nous enseigneront que la loi d’amnistie que vote l’Assemblée dépénalise les infractions commises. En français facile, elle efface les fautes de tous ceux qui sont concernés par des faits retenus ou susceptibles de l’être, contre eux, à une période donnée. Ces fautes sont rayées du casier judiciaire, c’est-à-dire du livre des condamnations des personnes concernées. Dès lors, pour le bien de la loi, il est indispensable que les faits soient clairs et précis. De même, dans une loi d’amnistie, les faits sont communs et identiques pour tous les concernés, quels que soient leurs bords politiques et leurs conditions sociales.
Dans ces conditions, je me pose la question de savoir : pourquoi dans toutes leurs communications, les LD doigtent seulement les opposants, même quand ils parlent des exilés ; si les faits reprochés à Reckya Madougou, à Aïvo, à Komi Koutché, Léhady Soglo ou à Ajavon sont les mêmes. Si on devrait assimiler des faits différents, c’est-à- dire que les crimes de tentative d’assassinat, de détournement de deniers publics, et autres sont une même chose, il faudra alors par décence et parallélisme de forme, qu’on invoque dans le cadre de cette loi les cas de Jean-Baptiste Hounguè, Antoine Dayori, etc., qui sont aussi des personnalités politiques et qui pourraient voir soulager leurs casiers judiciaires de leurs fautes.
Pourquoi cette loi ne vise que les fautes individualisées des hommes politiques, du moins dans la communication, alors que pour une amnistie, tous les agents impliqués et les franges du peuple devraient être concernés.
En dehors des insuffisances ou doutes juridiques évoqués tantôt, c’est l’approche politique dans ce dossier politisé, qui crée le plus de problème.
L’attitude politique des initiateurs
Depuis le début de la législature en février 2023, l’attitude des initiateurs de la loi d’amnistie dans la conduite des dossiers à l’Assemblée, est pour le moins curieuse. Examinons quelques points de cette attitude.
Comme annoncé plus haut, les conditions de l’initiation d’une loi d’amnistie, se réalisent à l’issue d’une démarche consensuelle, par la concertation, la négociation et le compromis politiques. Et parce qu’elle est une loi, donc relevant du peuple représenté par l’Assemblée nationale à travers les courants politiques en son sein, l’approche politique recommande l’ouverture et le rapprochement des forces en présence sur la question. C’est dire que la loi d’amnistie ne devrait pas être une victoire revendiquée d’un groupe, mais celle de toutes les forces représentant les différentes sensibilités de l’Assemblée nationale.
A propos de la loi d’amnistie figurant en ce moment dans le pipeline de l’Assemblée, nous aurons tous noté que : durant la campagne des législatives et à la session inaugurale de la 9e législature, la question de libération de certains détenus, en l’occurrence Reckya Madougou et Joël Aïvo, a été clamée et montée en épingle comme un point d’agenda et de revendication du parti LD. C’est sans surprise que la proposition de loi a été déposée sur fond de défi, apparaissant comme une condition sine qua non pour la paix dans le pays ; aucun des deux autres groupes parlementaires des partis présents à l’Assemblée (Bloc Républicain/BR et Union Progressiste le Renouveau/UP le Renouveau) n’a été, à ce jour, approché pour concertation sur le sujet. C’est sûrement en commission, loin des organes dirigeants de ces partis et des mécanismes de fonctionnement de ceux-ci, que le débat va se faire. C’est à croire que pour enlever son trophée que constitue cette loi, le Parti LD campe sur une position contraignante pour les autres partis, sur laquelle elle compte ; le parti Les Démocrates a, depuis le début de la présente législature, gardé une position de principe vis-à-vis de toute question évoquée à l’Assemblée et ne rate aucune circonstance pour montrer sa fermeture politique. Tous les votes sur les dossiers à allure consensuelle, sont « contrés » ou boycottés. Même le budget de l’Assemblée concocté avec leur participation active, est rejeté. Ne parlons pas du Budget de l’Etat exercice 2024, rejeté en bloc par les LD malgré toutes les concessions obtenues. C’est une position radicale qui exclut toute concession. Et le discours, lui, n’autorise aucune négociation, à plus forte raison le soutien commun d’une loi qui n’est que leur initiative et l’expression d’une victoire annoncée sur le pouvoir actuel. Le mot d’ordre est apparemment, « aucune concession» … « tout rejeter ». L’attitude « belliciste» ainsi affichée, est contraire à leur aspiration à atteindre une décision consensuelle, comme une loi d’amnistie, au regard de leur situation minoritaire.
Dans ces conditions, au-delà même de la question de régularité juridique de leurs prétentions, l’attitude radicale de l’opposition actuelle, ne peut appeler de la part des autres députés, que le principe de réciprocité, celle de rejeter en retour toute initiative provenant d’eux. Ils le savent bien et, apparemment, ils s’y attendent, tout en faisant semblant du contraire. Personne n’est dupe de leurs simagrées.
La confusion et l’affiche inquiétante
Manifestement, il y a une confusion introduite exprès dans l’opinion, entre la grâce présidentielle et l’amnistie. De nombreux communicateurs de l’opposition sur les fora et autres canaux de médias, montrent que la loi d’amnistie est pour libérer
Reckya Madougou et Joël Aïvo. Les députés qui vont s’y opposer, sont présentés comme des gens qui sont contre ces deux. Il est même diffusé discrètement, des menaces sur les ressortissants de leurs régions en cas de rejet de cette loi. Cette défiance est dangereuse, car nul n’a le monopole de la violence, et cette attitude donne plutôt du courage à ces derniers qui ont, devant l’histoire et leurs fils, le défi de montrer leur courage en s’y opposant. On assiste, sans aucun doute, à l’estampillage d’un cachet régionaliste sur un problème qui, selon les exigences d’une amnistie, devait mobiliser toute la nation.
Cependant un événement nous a édifié sur le fait que les juristes du parti LD se seraient réveillés, car avant que l’Assemblée nationale n’appelle cette question au débat, les dirigeants LD ont opéré rapidement le choix conséquent de rechercher plutôt la grâce présidentielle. Ainsi, lors de la dernière audience accordée par le président de la République Patrice Talon aux représentants de LD, le président de ce parti, Monsieur Boni Yayi a demandé pardon au président Talon, au nom de Reckya Madougou et autres. La réponse du président Talon nous a tous permis de comprendre qu’il cherchait une grâce présidentielle. Il a certainement compris que les conditions d’une loi d’amnistie ne sont pas réunies, car les faits reprochés à cette dernière relèvent du droit commun, c’est-à-dire de la justice. Ici encore, même si cela était normal, il n’était apparemment pas chargé par toutes les personnes, de le faire; sinon la demande écrite de grâce de chacun attestant de son consentement, devrait appuyer la requête du porte-parole circonstanciel. Manifestement, le parti LD et son président se sont égarés en forêt, avant de commencer à rechercher la voie qu’ils devraient emprunter pour aller à destination.
Conclusion
Au regard des incohérences notées dans ce dossier de loi d’amnistie, on ne saurait faire une insulte aux LD en présumant qu’ils manquent de conseils juridiques !!! J’ai plusieurs fois vu des avocats de renom à leurs côtés, à la Cour Constitutionnelle. Ce sont donc des sachants qui choisissent exprès, de poser des montagnes dans la cour de la politique et du Droit. Et la raison de la faute volontaire qu’ils commettent est simple : au fond, ils ne veulent pas une amnistie. Ils veulent autre chose.
Il faut éviter de s’étonner que le mendiant chante à haute voix des litanies injurieuses devant la maison de son bienfaiteur ; il n’attend pas de don ; il a sans doute un plan. Le parti LD et le président Yayi Boni, au regard de leurs attitudes à l’Assemblée et en dehors, n’attendent pas de collaboration, ni de concession de la part de la mouvance sur une quelconque loi d’amnistie. C’est clair !!! Dès lors, l’introduction de la loi d’amnistie ne peut être que soit une simple provocation, soit une poudre aux yeux. Mais la démarche ne vise pas à obtenir une amnistie pour qui que ce soit, ni même une grâce (le président Talon lors de leur audience, a rappelé qu’il avait déjà tranché cette question).
Il parait donc évident, que toute cette mise en scène ne vise qu’à stigmatiser le gouvernement et des groupes cibles, pour rechercher des soulèvements ou des troubles. C’est pour cela que des voies de discussion entre acteurs politiques ne sont pas envisagées par eux.
Dans ces conditions et pour tout ce qui précède, il est indéniable que les députés du parti Les Démocrates ont adopté une attitude et une procédure qu’ils savaient pertinemment vouées à l’échec parce qu’en vérité ils ne visent pas la libération ni l’amnistie de Reckya Madougou, Joël Aïvo et autres. Ce sont en réalité des instruments qu’ils utilisent pour d’autres objectifs politiques. L’étude favorable de cette loi d’amnistie va nécessiter un changement d’attitude politique des LD et une reprise de la voie normale indiquée ; sinon, au regard de ce qui se passe actuellement, ils sont leur propre problème.
Député à l'Assemblée nationale