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Sandrine Platteau à propos de la coopération entre le Bénin et la Belgique: « Les relations me semblent tout à fait au beau fixe »

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Sandrine Platteau Sandrine Platteau

Derrière la diplomatie et les grandes signatures d'accords, il y a des hommes et des femmes qui œuvrent au quotidien pour tisser des liens durables entre les peuples. Pour mieux comprendre la vision de la Belgique et les perspectives de la coopération avec le Bénin, Sandrine Platteau, ambassadrice du royaume de Belgique près le Bénin, a été reçue à la rédaction du quotidien La Nation. Un entretien exclusif au cours duquel elle a abordé les aspects majeurs du partenariat bilatéral entre la Belgique et le Bénin, notamment dans les domaines de la coopération militaire, économique, culturelle. 

Par   Propos recueillis par Babylas ATINKPAHOUN & Abdul Fataï SANNI, le 09 oct. 2025 à 08h41 Durée 3 min.
#Coopération

La Nation : Quelles sont vos impressions sur le Bénin depuis que vous êtes là en qualité d’ambassadrice ?

Sandrine Platteau : L'impression que j'ai du Bénin est que c’est un pays très accueillant et chaleureux. Évidemment, nous avons la langue française en commun qui nous permet d'échanger très facilement. Et puis nous avons aussi des similitudes parce que nous avons des deux côtés des groupes culturels et linguistiques différents, mais qui sont unis dans leur diversité. C'est un peu à l'image de notre devise nationale « L'union fait la force» en Belgique. Et puis ici de la jarre trouée, j'aime beaucoup cette image, que toutes les forces viennent ensemble pour soutenir le développement du pays. Et puis au fil des années, ce dont je me rends vraiment compte, c'est à quel point le Bénin est autant ancré dans son histoire et ses traditions, entre autres le Vodoun par exemple, mais aussi tourné vers l'avenir et la modernité. On le voit avec d'énormes chantiers en cours. Ce qu'on ne voit pas aussi mais qui bouge assez, par exemple la digitalisation qui est déjà très avancée, mais aussi des politiques très progressistes par exemple en matière de droits des femmes, qui sont très impressionnantes.

Comment se portent les relations entre la Belgique et le Bénin aujourd'hui ?

Les relations me semblent tout à fait au beau fixe. Et c'est l'avantage pour nos pays d'avoir déjà plus de 25 ans de partenariat dans de nombreux domaines. Il y a vraiment une confiance qui existe entre nous, qui nous permet de travailler main dans la main, dans un esprit de co-construction, de co-responsabilité. Ce n'est pas des slogans, c'est une réalité au quotidien. Et ça nous permet de renforcer notre coopération dans des domaines où on est déjà présent depuis assez longtemps, à la demande des autorités béninoises que sont l'agriculture et la santé. Mais aussi depuis quelques années, nous avons lancé de nouvelles coopérations dans des domaines qui intéressent en particulier le Bénin, où la Belgique a une certaine expertise, comme par exemple la réforme de la police et sa fusion avec la gendarmerie. Un processus que la Belgique a aussi mené, il y a quelques dizaines d'années, et pour lequel on est ravi de pouvoir appuyer le Bénin également via notre agence belge de coopération internationale Enabel. Aussi dans le domaine portuaire, un domaine d'expertise belge assez connu et qui bénéficie depuis quelques années au port de Cotonou, via également Enabel, mais aussi le port d'Anvers. Puis au niveau politique, je dirais qu'on a des relations très proches aussi. Nos ministres se voient régulièrement. Et puis au niveau international, nous restons très proches. Par exemple, au niveau du Conseil des droits de l'homme, nous siégeons côte à côte, le Bénin et la Belgique, de par le nom de nos pays. Et nous collaborons très étroitement, par exemple en ce moment, sur une résolution contre la peine de mort qui nous tient tous les deux à cœur. De manière générale, nous partageons des valeurs communes, qui sont la défense du droit international, de la justice internationale et du multilatéralisme.

Plusieurs programmes éducatifs de coopération se sont succédé depuis plusieurs années. Que recèle cette coopération au profit des deux pays, et plus particulièrement des jeunes et des femmes ?

L’objectif central de notre programme de coopération, c'est de renforcer le capital humain et aussi la résilience des groupes les plus vulnérables, dont les jeunes et les femmes. C'est un axe transversal de notre programme. Comme je l'ai indiqué avec Enabel, en matière de coopération bilatérale, nous sommes actifs dans les domaines de l'agriculture, la santé, l'appui à la police républicaine et au port de Cotonou. Dans ces différents domaines, nous mettons en œuvre cet aspect. Au niveau agricole, nous soutenons les coopératives, les exploitations familiales, donc aussi celles des jeunes et des femmes. Nous essayons de renforcer celles-ci pour qu'elles puissent contribuer à la sécurité alimentaire, la transition agroécologique. Au niveau de la santé, nous avons un focus sur le renforcement et la modernisation du système de santé avec les autorités béninoises pour réduire les inégalités de genre qui existeraient à ce niveau, principalement sur les droits et la santé sexuelle et reproductive qui concernent les jeunes et les femmes en premier lieu.

Que dites-vous de la question de l'amélioration de l’accès à des services socioéconomiques de base de qualité ?

Le socle de notre coopération avec les autorités béninoises, c'est ce renforcement du capital humain. C'est vraiment la base pour le développement d'un pays. Si on n'a pas une population qui est bien nourrie, en bonne santé, qui est bien éduquée, ce sera très difficile d'aller au-delà et de permettre à tous d'avoir des activités économiques, de pouvoir contribuer au développement du pays. C'est un système qu'on a connu aussi en Belgique, avec des services sociaux de base renforcés qui permettent aussi de faire face de la meilleure façon aux chocs, qu'ils soient économiques, environnementaux, sécuritaires ou autres. Donc, renforcer cette résilience, ce sont des dimensions que nous soutenons de manière générale dans nos programmes de coopération.

Quel point peut-on également faire sur la question de la digitalisation et l'innovation ?

Les dimensions que vous avez évoquées, en fait, chez nous, on les appelle des dimensions transversales, parce que ce sont des objectifs communs, globaux, qui doivent être pris en compte dans tous nos programmes. Donc on essaie de les inclure dans nos différentes actions. Par exemple, au niveau environnemental, nous sommes actifs dans l'agriculture. On essaie de faire cette transition agroécologique qui permet d'avoir une meilleure résistance d'exploitation des cultures. Au niveau du port, par exemple, on essaie aussi de soutenir les performances environnementales du port de Cotonou. Ils ont d'ailleurs obtenu, il y a quelque temps, le label EcoPort, qui est très renommé. Les dimensions de genre sont évidemment prises en compte aussi. Par exemple, les actes d’exploitation des femmes. De manière générale, dans ces programmes,  on essaie avec les autorités béninoises de renforcer l'accès des femmes à des métiers, parfois encore vus comme des métiers d'hommes, que ce soit au port ou dans l'agriculture, ou même dans d'autres domaines, comme la police. Il faut, que tous les citoyens du pays puissent contribuer avec tous leurs talents au développement de celui-ci. 

Est-ce qu'aujourd'hui, il y a des développements nouveaux en ce qui concerne les domaines de la logistique portuaire, de la technologie agricole, mais également de l’énergie, que vous avez enclenchés avec le Bénin ?

De manière générale, l'évaluation de nos programmes est faite avec les autorités béninoises, en ce sens que c'est un programme bilatéral qui est co-construit et pour lequel nous sommes co-responsables. Cest au terme de ce programme, en 2028, un programme de 45 millions d'euros, je le rappelle, que nous ferons le bilan, que nous verrons quels seront les engagements que nous pourrons prendre par la suite. De manière générale, les dimensions évoquées sont prises en compte dans nos programmes. Je mentionne en particulier ce travail qui nous tient très à cœur, qu'on essaye aussi de mettre en œuvre via nos programmes dans le domaine agricole, par exemple, avec des pratiques qui sont durables au niveau de l'agriculture, au niveau du port de Cotonou. Il s'agit d'améliorer les conditions de travail et renforcer tout ce qui est sécurité sociale pour le personnel. Et puis, de manière générale, soutenir l'entrepreneuriat, je pense que c'est un secteur porteur au Bénin, l'auto-emploi, aussi nous avons également des programmes avec Wallonie-Bruxelles internationale en matière d'entrepreneuriat féminin, avec l'Adpme, entre autres, au niveau des industries culturelles et créatives.

En dehors du secteur agricole qui retient l'attention, est-ce qu'il y a d'autres secteurs économiques béninois qui sont susceptibles d'intéresser les investisseurs belges et vice versa ?

Nous sentons un enthousiasme de plus en plus important de la part des entreprises belges pour le Bénin. Nous avons d'ailleurs eu une mission économique avec une quarantaine d'entreprises belges en novembre passé. Beaucoup venaient pour la première fois, mais beaucoup sont aussi revenues depuis et commencent à concrétiser leurs projets, entre autres dans les domaines de l'eau, de l'énergie, des infrastructures. De manière générale, les entreprises belges peuvent offrir des biens et des services de qualité et qui correspondent au marché local, parce qu'ils ont une bonne expertise sur le continent africain. Nous soutenons avec plaisir ces efforts. Et de plus en plus, nous avons des marques d'intérêt des entreprises qui viennent essayer de concrétiser leurs projets ici. En moyenne, par semaine, au moins une entreprise. Donc, c'est assez satisfaisant.

Comment se passe la coopération avec les Organisations non gouvernementales ?

La coopération avec les Organisations non gouvernementales, pour nous, c'est un pilier essentiel de notre programme de solidarité internationale. On a des Ong qui se sont développées sur certaines thématiques ou dans certaines localités, qui ont vraiment acquis une expertise particulière par rapport à différents fléaux. Même en Belgique, on a des Ong qui sont actives dans certains domaines, par exemple la santé. Je pense, entre autres à la Croix-Rouge ou à Handicap international, qui sont vraiment reconnues comme des acteurs dont l'expertise mérite d'être gardée. Et au niveau de la coopération non-gouvernementale, on associe aussi tout ce qui est coopération via les universités, les communes, l'Institut de médecine tropicale d'Anvers ou encore nos musées fédéraux qui ont des programmes de recherche pour le développement. C’est un secteur très vaste, très riche de par des partenariats parfois très historiques.

Quelles sont les retombées de la coopération culturelle et académique ?

En ce qui concerne la coopération académique, c'est aussi un partenariat de longue date. Il y a déjà eu plusieurs programmes d'appui entre universités belges et béninoises pour renforcer les capacités de celles-ci. Et ça porte vraiment de fruits. En plus de cela, nous avons des programmes qui offrent une quarantaine de bourses d'études et de formations par an à des jeunes béninois qui veulent se spécialiser dans certains secteurs comme par exemple l'agronomie ou la santé publique, qui sont des domaines pour lesquels les universités belges sont réputées. Et comme je l'ai indiqué, nous avons des programmes de recherche pour le développement via lesquels des chercheurs belges et béninois étudient ensemble certaines problématiques et essayent de venir avec de meilleures solutions dans le domaine de l'agriculture ou de la santé publique.

Est-ce qu'aujourd'hui, il y a des mécanismes qui sont envisagés pour renforcer l’existant et tendre vers des perspectives mutuellement bénéfiques pour les deux pays ?

Au niveau culturel, on a déjà la chance d'avoir plusieurs artistes béninois qui se sont retrouvés en Belgique où ils ont pu faire connaître leur talent, au niveau musical ou au niveau des arts plastiques. En Belgique, la culture est une compétence des communautés, et on a la chance ici à Cotonou d'avoir un bureau de Wallonie-Bruxelles internationale qui est compétent pour soutenir des initiatives dans ce domaine. Il y a donc principalement à cet égard des initiatives avec l'Agence pour le développement des arts et de la culture (Adac), avec laquelle ils collaborent pour professionnaliser par exemple les acteurs du secteur culturel ou encore renforcer la dynamique au niveau des industries culturelles et créatives. Ils sont en préparation d'un accord de coproduction cinématographique, et ils collaborent par exemple avec la Srtb pour mettre en place une cellule de post-production numérique. Au niveau de l'ambassade, on essaie aussi de soutenir les artistes béninois, d'organiser régulièrement des vernissages d'artistes béninois qui ont déjà des liens avec la Belgique.

Quels sont les principaux axes sur lesquels le Bénin et la Belgique travaillent en tant que partenaires dans le domaine de la défense et de la sécurité ?

La défense, c'est encore un des partenariats de longue date entre nos deux pays. Et j'ai été très émue de voir en 2024 un peloton bénino-belge qui a défilé dans nos deux fêtes nationales, donc tant à Bruxelles qu'à Cotonou. C'est quelque chose d'assez unique, mais ça montre la proximité, la confiance qu'il y a entre nos deux défenses. Alors, notre objectif, c'est de renforcer les capacités des forces armées béninoises, selon leurs demandes, selon leurs besoins, principalement en matière de formation, pour ce qui nous concerne, en particulier auprès de la Garde nationale depuis quelques années, mais aussi depuis bien plus longtemps en matière de sécurité maritime, de déminage, de logistique. On appuie également l'opération Mirador depuis quelque temps, avec des formations en matière de coopération civilo-militaire. Il y a également chaque année des officiers, des sous-officiers béninois qui vont étudier à l'Ecole royale militaire. Et puis nous faisons aussi de temps en temps des dons d'équipements. Mais de plus en plus, c'est plutôt l'Union européenne qui se concentre sur ce volet.

Dans le contexte actuel marqué par la menace sécuritaire dans la sous-région, que peut espérer le Bénin de la Belgique en termes de contribution ?

Evidemment, nous sommes solidaires du Bénin face aux attaques qu'il subit. Comme on l'a dit, le terrorisme, ça reste un fléau global, qui touche malheureusement l'Afrique de l'Ouest et le Sahel ces dernières années, mais qui a aussi touché et qui peut encore toucher l'Europe. En Belgique, on a aussi eu des attaques terroristes il y a quelques années. Donc, on est ensemble face à ce défi. Notre rôle ici au Bénin, ce n'est pas d'être en première ligne face aux groupes terroristes, mais plutôt d'appuyer les forces armées béninoises avec des formations pour leur permettre de répondre au mieux aux incursions de ces groupes. Et puis, nous appuyons aussi la police républicaine, avec Enabel depuis sa création, à travers des renforcements de capacités, des formations, la réhabilitation de commissariats mais aussi le développement d'une police communautaire de proximité, qui répond aux besoins des citoyens. Et de manière générale, nous soutenons l'approche holistique du Bénin face à cette menace terroriste, qui veut une réponse non seulement en sécurité et défense d'un côté, mais aussi de développement de l'autre, parce qu'on le sait, c'est en répondant aux besoins de base des communautés qu'elles ne seront pas tentées peut-être de se diriger vers les groupes terroristes. Nous-mêmes, nous avons notre nouveau programme de coopération. C'est plutôt concentré sur le centre et le nord du pays, pour entre autres répondre à ce défi.

Quelles sont les pistes qu’on peut explorer pour renforcer la coopération entre le Bénin et la Belgique ?

De nos jours, on voit la coopération internationale au niveau de la Belgique comme une co-responsabilité avec nos pays partenaires. On est face à des phénomènes globaux qui ne connaissent pas de frontières, qu'ils soient sécuritaires, environnementaux, sanitaires. On voit la coopération internationale comme un investissement des deux côtés, gagnant-gagnant. Ce qu'on fait ici au Bénin, indirectement, bénéficiera à ce qui peut se passer en Belgique. Et je pense qu'Enabel est particulièrement bien placée pour mettre en œuvre ce genre de projet de coopération internationale, parce qu'ils ont un réseau, une expertise et une expérience importante sur le continent africain. Ils sont présents dans de nombreux pays dans la sous-région et cela leur permet de mettre en contact certains acteurs au niveau agricole, des producteurs d'engrais au Bénin, qui exportent maintenant en Côte d'Ivoire, où Enabel est présente aussi. C'est quelque chose qui est déjà en place. Il faut aussi mettre en œuvre des projets régionaux sur les corridors commerciaux stratégiques. On parle souvent d'Abidjan-Lagos. Ils vont mettre en œuvre un projet de ce type pour le compte de l'Union européenne. Et ça, c'est quelque chose qui peut grandement bénéficier au Bénin qui veut se positionner, entre autres, sur ce plan logistique.