La Nation Bénin...
Vingt-six ans après, la Constitution du 11 décembre 1990 poursuit bon an mal an son petit bonhomme de chemin. Elle a résisté jusqu’ici, tel un serpent de mer, à toutes sortes de tentatives de sa modification, fût-elle opportuniste ou conjoncturelle. Jusqu’à quand encore durera cette résistance de la loi fondamentale béninoise?
Tout le monde s’accorde à reconnaître la rigidité de la Constitution béninoise. Vingt-six ans après, elle n’a connu la moindre virgule de modification. Elle tient encore la route, en dépit des différentes péripéties qu’elle connaît. Loi fondamentale, elle arrive toujours à aider le pays à se tirer d’affaire face à des situations mêmes les plus complexes comme on en rencontre par exemple lors des échéances électorales. Et ceci, sous l’œil vigilant de la Cour constitutionnelle qui, en bon gardien du temple, veille au respect des dispositions y mentionnées. La haute juridiction n’hésite pas à rappeler, à travers ses décisions, les règles du jeu aux acteurs surtout politiques lorsque celles-ci se trouvent menacées.
Lesquelles décisions sont sans recours et s’imposent à tous les pouvoirs publics et institutions de la République comme le martèle la Constitution elle-même. Vingt-six ans après, force est de reconnaître que le Bénin est toujours debout. Le pays n’a connu jusqu’ici les agitations sociopolitiques qui ont secoué la plupart des autres pays de la sous-région. On doit cette stabilité démocratique à la qualité de la loi fondamentale du Bénin que s’est doté le Bénin à l’issue de la Conférence des forces vives de février 1990. Cette qualité a fait de cette Constitution un serpent de mer. Sa relecture semble jusqu’ici une épreuve difficile quand bien même le texte a prévu les conditions de sa modification. Toutes les tentatives pour opérer cette modification ont été soldées jusque-là par des échecs. Il en a eu vers la fin du deuxième quinquennat du président Mathieu Kérékou puis sous son successeur Boni Yayi.
Ce dernier a déployé toute son énergie pour opérer cette révision constitutionnelle à travers la mise en place de deux commissions de relecture composées d’acteurs pluridisciplinaires pour faire des propositions à soumettre pour validation au gouvernement qui, à son tour, transmettra le projet à l’Assemblée nationale. Mais cette tentative comme celle sous le général Mathieu Kérékou en 2005 a échoué. Le projet ne franchira même pas le seuil du Conseil des ministres sous Boni Yayi avant de commencer par essuyer des critiques acerbes sur le terrain. Lesquelles critiques sont loin de favoriser le consensus autour du projet. Pour plusieurs personnes dans le temps, le chef de l’Etat Boni Yayi veut faire une révision opportuniste pour s’éterniser au pouvoir. Face à l’ampleur des polémiques, il va vite abandonner le projet au risque de susciter une réaction de la population très attachée à sa Constitution. Boni Yayi partira du pouvoir en avril 2016 sans relever ce défi qui lui était si cher.
3e régime, 3e échec ?
Comme ses deux prédécesseurs, le président Patrice Talon, à son arrivée au pouvoir, a promis de s’attaquer rapidement à ce chantier de révision constitutionnelle. Le dossier était même une promesse de campagne pour le candidat qu’il était. Le chef de l’Etat avait même annoncé son intention d’aller au bout de cette réforme institutionnelle et politique avant la fin de cette année 2016. Pour ce faire, quelques semaines après son investiture, il a mis aussi en place une commission présidée par le ministre chargé de la Justice Joseph Djogbénou chargée de relire la loi. La commission a déposé son rapport depuis plusieurs mois mais on remarque que le chef de l’Etat a perdu son élan de départ. On sent un certain relâchement, peut-être à cause de l’opinion publique qui émet de plus en plus de sérieuses réserves par rapport à la réforme proposée et qui prend en compte notamment le rétablissement de l’équilibre des pouvoirs, le renforcement de l’indépendance de la justice et le renforcement du système partisan. A peine le rapport déposé, que des voix s’élèvent pour critiquer cette réforme qui propose par ailleurs un mandat unique de sept ans pour le président de la République.
Si pour le président de cette commission de relecture constitutionnelle, le mandat unique de sept ans est ce qu’il faut pour la consolidation de la démocratie et l’Etat de droit au Bénin, plusieurs autres acteurs politiques jugent cette proposition impertinente. C’est par exemple le cas du président du parti mouvement Espoir du Bénin (MESB) François Abiola qui, lors des travaux de son 2e congrès extraordinaire tenu le week-end dernier, à Sakété dit non au mandat unique pour le président de la République. Le parti est plutôt pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois, comme prévu actuellement dans la Constitution du 11 décembre 1990. Cette position du MESB semble être partagée par nombre d’acteurs politiques béninois. Plusieurs autres personnes dont l’ancien garde des Sceaux, le constitutionnaliste Victor Topanou, attendent que le débat soit ouvert sur le rapport de la Commission Djogbénou après que le chef de l’Etat eut donné son quitus pour se prononcer sur le fond du projet.
Ce qui est plus qu’une évidence est que le chef de l’Etat ne peut tenir le pari de réaliser cette réforme constitutionnelle avant la fin de cette année 2016. Ça fait donc à l’année prochaine. Pour l’ancien ministre Gustave Dépo Sonon, ces genres de réforme ont des chances de prospérer en début de mandat. Il prédit dès lors qu’il sera difficile au président de la République de réaliser ce rêve en 2017 car il va entrer en ce moment dans la zone de turbulence politique et il ne pourra plus contrôler sérieusement les choses. C’est dire que cette réforme politique et institutionnelle a encore de sérieux soucis pour sa concrétisation sous l’actuel régime en place. Vivement que le consensus tant exigé par la Constitution elle-même soit de mise un jour pour qu’enfin soit toilettée cette loi fondamentale qui a montré certes ses forces mais aussi ses limites.