Christophe Chodaton à propos du Souvenir de la traite négrière et son abolition : « Susciter l’envie de visiter Ouidah et son patrimoine… »
Culture
Par
Isidore Alexis GOZO (gozoalexis6@gmail.com), le 27 avr. 2022
à
12h39
Le 23 août prochain, sera célébrée à Ouidah la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et son abolition (Jistna) édition 2022. Christophe Chodaton, président du comité en charge de l’organisation, explique ici la particularité de la présente édition labélisée Unesco, les enjeux autour de la célébration et ses retombées pour Ouidah.
La Nation : Quelles sont les particularités de la Jistna 2022 ?
Christophe Chodaton : Sur l’initiative du Bénin et d’Haïti, la conférence générale de l’Unesco a approuvé la mise en place du projet « Route de l’esclave » en 1993. Ce projet a été lancé en 1994 à Ouidah au Bénin. Selon l’Unesco, il vise principalement à briser le silence sur la tragédie de l’esclavage et de la traite négrière, à faire la lumière sur la période esclavagiste, à faire connaitre les interactions générées par les rencontres entre des peuples et des cultures de différents continents. L’une des actions stratégiques du projet « Route de l’esclave » est d’avoir convaincu les Nations Unies à proclamer des dates de commémoration de cette tragédie. Ainsi, la Communauté internationale a choisi le 23 août comme Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition (Jistna) en hommage à la première victoire d’esclaves sur leurs oppresseurs dans l’histoire humaine qui a conduit à l’indépendance d’Haïti en 1804 ».
La portée de cette journée : se souvenir et honorer les 13 millions d’Africains déportés et mis en esclavage, se rappeler leurs luttes quotidiennes dans les différents lieux, célébrer leur courage, leur rendre hommage.
Quelles sont les retombées d’une telle initiative pour Ouidah ?
L’attribution du Label Unesco, Route de l’esclave : Résistance, Liberté, Héritage à la commémoration de la Jistna 2022 est une reconnaissance de la qualité de cette manifestation ambitieuse organisée par la commune de Ouidah, les personnalités et les associations à travers le Comité de commémoration du 23 août (Ccom23). Elle vient renforcer le label Unesco Sites associés à la Route de l’esclave obtenu par la ville de Ouidah en 2020 pour trois sites : le Fort portugais, le Temple des pythons et la Route de l’esclave. La Jistna 2022 labellisée Unesco suscitera davantage l’envie des Béninois, de la diaspora et des autres touristes à visiter Ouidah et son patrimoine matériel et immatériel. A cette occasion, l’Etat béninois et la commune pourraient renforcer la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel matériel et immatériel.
Enfin, la retombée la plus connue pour la ville est d’ordre économique. Comme en 2019, avant la crise sanitaire, plus d’une centaine d’invités de 22 pays ont séjourné à Ouidah pour assister à la Jistna. J’ai encore en mémoire, le groupe Mir de 41 personnes venues des Antilles « se reconnecter à l’Afrique » selon leurs propres termes. Ils ont passé 15 jours dans un hôtel de la plage de Ouidah. Les mets locaux étaient leurs préférences ainsi que les objets artisanaux d’art et de souvenirs. Un autre groupe de pèlerins antillais était dans un autre hôtel pour un séjour plus court. Le label Unesco devrait amplifier ce mouvement.
Après la présidence de la République, les trésors royaux seront exposés à Ouidah. Quelle incidence sur la Jistna ?
Les Béninois de l’intérieur et de l’extérieur, ainsi que les Africains en général ont exprimé leur sentiment de fierté suite à la restitution de 26 trésors royaux au Bénin. L’exposition à la présidence de la République a créé un engouement et révélé un patriotisme certain. L’intérêt de la population ayant visité ou non ces œuvres culturelles montre son attachement à l’histoire de notre pays et en particulier, celle de la colonisation et de l’esclavage. En s’appropriant les 26 trésors royaux, le Béninois aura une meilleure compréhension de l’histoire, du patrimoine culturel et de sa conservation. Et comme nous le savons, on ne peut comprendre l’histoire de la colonisation sans remonter à la période précédente de l’esclavage. C’est là que la Jistna et les autres activités de Ccom23 impacteront davantage la jeunesse dans les collèges et lycées, les étudiants, les chercheurs et le reste de la population. Le Ccom23 et la Jistna seront plus visibles dans le paysage de la lutte contre l’oubli collectif de la tragédie de la traite négrière et de l’esclavage.
Que faites-vous pour ancrer cette histoire dans les consciences et restaurer la confiance en soi surtout chez les jeunes ?
La vague mémorielle des Afro-descendants en Europe et en Amérique du Nord n’a pas été précédée ou suivie par celle des Africains. Aujourd’hui, la prise de conscience que ce sont les Africains qui doivent rendre hommage à leurs déportés, fait son chemin. Le Sénégal avait donné l’impulsion en 1999. Badagry au Nigeria organise la commémoration du 23 Août depuis une quinzaine d’années, le Bénin depuis 2014. Il y a vraisemblablement d’autres pays dont j’ignore les activités mémorielles. La Côte d’Ivoire et le Cameroun sont devenus très actifs dans ce domaine. Une rencontre des anciens chefs d’Etat africains préconise une journée africaine de commémoration. En octobre 2018, à Cotonou, Olusegun Obasanjo, ancien président du Nigeria, a déclaré : « ……pour avancer, nous devons faire en sorte qu’une journée soit retenue pour commémorer la traite négrière dans toute l’Afrique...Si nous les oublions, les âmes des millions de déportés africains ne nous laisseront pas tranquilles. »
Cette prise de conscience est suscitée auprès de la jeunesse par le Ccom23 à travers plusieurs activités. Les ateliers de sensibilisation et de conscientisation, la projection de films sur l’esclavage dans les collèges et lycées, suivie d’échanges, la visite des sites historiques de la ville sont nos instruments de transmission de la mémoire à la jeunesse.