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Dak’art 2022 : La forge des bâtisseurs

Culture
Par   La Redaction, le 13 juin 2022 à 11h06
Dakar. Entre le ciel haut, enturbanné par un bleu gris et la fraicheur du soir alimentée par le vent de la mer, la ville vit la fièvre de la biennale. Les artistes, comme des enfants chéris, écument les différents lieux d’exposition, les yeux peuplés d’étincelles. Normal : Ils sont les plus courtisés de ce rendez-vous. Leurs œuvres, objet de mille attentions, s’affichent dans les institutions étatiques, galeries, espaces publics, plage. À l’épisode 14 de cette fête des arts, I’«Indaffa», terme en langue sérère, se décline sur tous les tons : forger, inventer, obtenir des dieux la force de la responsabilité créatrice pour féconder la vie, l’installer dans la grande épopée humaine. Festif et coloré… Au Grand Théâtre National Doudou Ndiaye Coumba Rose, ce 19 mai, le président Macky Sall explique la portée anthropologique de l’expression: « chez les Sérères, dit-il, le forgeron est le générateur de la vie, celui qui offre à sa communauté les outils indispensables à la réalisation du monde ». Avant lui, d’autres créateurs s’étaient relayés sur la scène. Les héritiers du maître percussionniste Doudou N’diaye Rose, ont fait trembler les murs de l’établissement. A suivi, l’inoubliable orchestre le Baobab, animé par les sexagénaires heureux de remonter le temps. Puis, la nouvelle génération, Hervé Samb, un jazz man au style mixte de Richard Bona. Enfin, Sidiki Diabaté, l’enfant terrible de la scène malienne, porteur d’un message de paix à l’endroit du président Macky Sall. Entre deux prestations de ces artistes, s’est effectuée l’annonce des prix. Portés par le Sénégalo-Québécois Boukar Diouf, un humoriste qui n’hésite pas à charrier le président – parenté à plaisanterie oblige – ces moments solennels ont permis de connaître le palmarès de cette édition du Dak’Art. Le Bénin, présence majestueuse… D’Achille Adonon, notre compatriote distingué meilleur sculpteur, à l’Ethiopien Tegene Senbeto, Grand Prix du président, le jury a récompensé divers talents dont les œuvres étaient exposées dans l’ancien tribunal de Dakar, le siège de l’exposition. La nouvelle du prix d’Adonon a suscité l’enthousiasme de la délégation béninoise. Etoffée d’artistes connus, elle a investi tous les lieux, à l’exemple de la Librairie aux 4 vents où la Galerie Vallois a organisé «le Bénin en Majesté ». Treize artistes, sélectionnés parmi les plus audacieux, ont donné à voir leurs œuvres avec une scénographie où les beaux livres tiennent compagnie aux pièces. Dominique Zinkpè, Kifouli Dossou, Marius Dansou, Euloge Glèlè ont fait voyager les visiteurs dans leurs univers faits de prières, d’interrogations, mais surtout de références à la cosmogonie vodun. Autant je ne me suis pas lassé de voir les performances de Prince Toffa, avec ses capes faites d’objets récupérés, autant je suis séduit par les courbes voluptueuses des sculptures féminines de Franck Zanfonhouédé. L’exposition « Art du Bénin» à Dakar Si les œuvres d’art sont capables de produire les émotions, il est certain que ceux qui peuvent en décrypter les sens ont besoin d’être là pour articuler, en termes accessibles, l’informulé de leurs discours et leur donner de la lisibilité. Les critiques d’art, invités au « African Art Bookfair » de la biennale, se sont rencontrés, de façon informelle pour échanger sur les défis communs auxquels la corporation est confrontée. À la place de Souvenir africain, halte balnéaire balayée par le vent du large, s’est ouvert ce salon. Le Bénin, porteur d’une dynamique artistique institutionnelle à travers l’exposition diptyque Art patrimonial art contemporain, est à l’honneur en cette matinée du 20 mai. Le catalogue qui accompagne cette exposition est présenté au public. Il donne les éléments à la fois historique, sociologique et esthétique de l’exposition. C’est l’occasion pour Véronique Savoy, auteur du très médiatique rapport coécrit avec Felwine Sarr (Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain), la directrice artistique et commerciale de la Galerie nationale, Yassine Lassissi, la chargée de mission du chef de l’Etat à la culture et aux arts, Coline Toumson et l’auteur de ces lignes, de développer la pluralité et les convergences des regards sur l’exposition. Cette table ronde chorégraphiée par Franck Hermann Ekra, membre de l’Aica international, a permis des échanges « vifs et instructifs » selon certains spectateurs. Elle a surtout offert aux artistes présents l’occasion de témoigner de leurs expériences sur leurs pratiques artistiques et sur l’interprétation des œuvres restituées. Si Véronique Savoy a fait le narratif de la commande qui a débouché sur le retour des vingt-six œuvres, Yassine Lassissi, elle, a montré la pertinence de la composante contemporaine de l’exposition. Idelphonse Affogbolo du Conseil artistique de la Galerie nationale, également présent, va alors mettre en évidence tout le travail des médiateurs dans la chaine des opérateurs culturels; une chaine qui organise, crée des synergies, insuffle le dynamisme qui permet aux artistes de créer et d’exister. Pays invités : Côte d’Ivoire et Chine Pendant ce temps, la programmation officielle du Dak’Art 2022, poursuit son cours. Depuis l’ouverture, les vernissages se succèdent, des lieux s’ouvrent et les visiteurs, venus du monde entier, découvrent et apprécient les offres artistiques. Dans le magnifique Musée des civilisations noires, des pavillons entiers sont dédiés aux deux pays invités, la Chine et la Côte d’Ivoire. Les œuvres racontent avec force les histoires individuelles et collectives de ces sociétés. On retrouve des éléments du patrimoine dans la plupart des tableaux, la Chine avec, dans les formes et les couleurs, l’exubérance et le minimalisme des expressions de ses artistes; la Côte d’Ivoire avec les thématiques récurrentes à l’histoire de ses communautés, personnages de récits, traces des objets liés au sacré. On aurait aimé poursuivre l’exploration en profondeur des pavillons du « in » de l’exposition. Mais les espaces réservés sont si réduits que le déploiement des œuvres et la présentation des talents ont été limités. Sur les plages qui bordent la corniche de la ville, depuis les hauteurs de la statue de la Renaissance africaine, dans les quartiers populaires, Dak’Art continue à écrire son histoire. Toujours porté par son besoin de s’ouvrir aux horizons divers, il garde cependant son ancrage africain, répondant ainsi aux vœux d’Amadou Hampâté Bâ, l’écrivain malien : « si l’arbre étale fièrement ses branches au ciel, c’est parce que ses racines sont profondément ancrées dans la terre ». La terre, c’est la forge, le lieu d’incubation. Et les forgerons, moulés dans la tradition de bâtisseurs, sont là pour arracher aux dieux la force qui permet de construire le monde. C’est cela, l’Indaffa, le récit de Dak’Art 2022. Achille Adonon Quand il dit qu’il est né en Mauritanie, à Nouakchott, on le prendrait bien pour un citoyen de ce pays tant il leur ressemble avec sa silhouette longiligne, ses traits fins, cette humilité si caractéristique des peuples du désert. Achille Adonon s’excuserait presque d’être là dans le monde des arts. Tant il veut passer inaperçu et laisser seule son œuvre parler à sa place. C’est que, autodidacte dans le métier, il a dû, à coups d’endurances et de sacrifices, apprendre à la force du poignet. Né à Nouakchott en 1987, il vient au Bénin deux ans plus tard et est pris en charge par sa famille d’adoption. S’il a gardé des liens avec son père Félix qui exerce dans le monde pétrolier, il ne parle guère de sa mère. Au Bénin, Achille Adonon vit à Ouidah, puis, plus tard, s’installe à Abomey-Calavi. Il fréquente le collège Camara Laye. C’est un élève assidu, plutôt brillant. Plusieurs fois major de sa promotion, il ne comprend pas pourquoi il échoue à l’examen du baccalauréat. Déçu, il prend la décision irrévocable de devenir artiste. Malgré le désaccord de son père, il se consacre à sa passion vieille de plusieurs années. Il aime dessiner, peindre, faire des assemblages, monter des pièces. Il estime que pour se frayer un chemin dans ce métier, il faut innover, aller plus loin que ce que les autres ont fait. Ses mentors, ce sont deux figures importantes de la profession. Ludovic Fadaïro et Charly d’Almeida : « ils me conseillent beaucoup, ces deux tontons », explique-t-il ; « ils m’apprennent les ficelles du métier ». S’il s’est orienté vers la sculpture à partir des objets récupérés, c’est parce que c’est sa manière de donner vie à ces pièces utilisées que l’on pense dénuées d’intérêt. « Chaque chaussure pour moi est une histoire », articule-t-il, « une vie qui a porté pendant longtemps celui qui l’a utilisée. Si elle est jetée sur les décharges, c’est qu’on pense qu’on en a fini avec alors qu’elle renferme encore une énergie que je réveille, que je mets à contribution pour construire une nouvelle identité». L’artiste superpose une, deux, trois, quatre chaussures. Selon la forme qu’il veut leur donner , il les ajuste à sa manière, colle les unes aux autres ou utilise le fil pour les attacher. Les volumes, naturellement, se font, les creux se dessinent, les aspérités se construisent, donnant à voir les sculptures les plus improbables : selon les termes utilisés par l’artiste, elles sont « gothiques et fantastiques». En tout cas, elles traduisent, par leur existence même, la situation de précarité dans laquelle vivent les gens. En 2019, Achille Adonon effectue sa première sortie officielle. Il participe à la Biennale internationale de sculpture de Ouagadougou (Biso). Au terme de cette rencontre, il est lauréat d’une bourse de résidence à Paris. Sélectionné par Dak’Art pour figurer dans le « in », le voilà distingué Meilleure sculpture de l’édition 14.