La Nation Bénin...

Le cinéma béninois retrouve une vie à travers les performances de ses acteurs expatriés. Parmi ces professionnels on compte Faissol Fahad Gnonlonfin. A 32 ans, ce producteur de films résidant en France a à son actif plusieurs œuvres et nourrit de grandes ambitions pour le 7ème art dans son pays. Mais tout ceci, confie-t-il dans cet entretien, ne peut se réaliser sans un accompagnement et une volonté manifeste des pouvoirs publics à changer la vision qu’ils ont du cinéma.
Vous êtes un jeune réalisateur béninois peu connu dans son pays mais très en vue en Occident à travers plusieurs productions et la participation à divers rendez-vous du 7ème art. Comment êtes-vous arrivé à ce parcours dans l’univers du cinéma ?
Effectivement, j'ai été réalisateur et ça me tente toujours de réaliser. Mais aujourd'hui je suis plutôt un jeune producteur. Depuis cinq ans je ne fais que de la production. Tout a commencé par ma formation à l'Institut supérieur des Métiers de l'Audiovisuel (ISMA). Après trois ans de formation, j'ai compris très tôt que je n’avais reçu que les bases pour faire du cinéma. Il faut donc aller chercher de l'expérience. Ce qui m'a amené à parcourir plusieurs pays de l'espace CEDEAO à travers des formations continues, des résidences d'écriture documentaire, des stages ainsi que des expériences sur des plateaux de tournage en tant que « assistant réalisateur », « assistant à la production » ou « assistant à la régie ». Ayant fait une bonne rencontre avec le documentaire à travers le réseau Africadoc, j'en suis tombé amoureux et j'ai compris de suite qu'on a encore beaucoup d'histoires à racontrer en Afrique à travers le réel avec une petite équipe et aussi une petite économie. Pour approfondir donc mes connaissances dans le genre documentaire, j'ai repris les cours. D'abord un master 1 en Audiovisuel et Documentaire de création à l'Université Abdou Moumouni de Niamey, ensuite un master 2 en production à l'Université Stendhal Grenoble III et puis une formation à l'Université Paris X. Je me suis fait une place très vite dans la production documentaire à travers la production de plusieurs documentaires qui ont fait de nombreux festivals et gagné de nombreux prix. Ma participation à ces différents rendez-vous et la qualité des films m'ont permis de me faire une place dans l'univers cinématographique. Ayant commencé le cinéma par la fiction, j'ai repris avec ce genre cinématographique depuis 2014. Ce qui m'a amené à collaborer en coproduction au sein de la société Les Films du Djabadjah sur WALLAY de Berni Goldblat qui connait un succès à travers le monde. Je travaille aujourd'hui sur différentes projets de films en écriture, en développement, en production un peu partout en Afrique : documentaires, fictions courts et longs métrages, séries télévisées... Pour être plus précis je travaille surtout en France, dans plusieurs pays de l'Afrique de l'Ouest et au Cameroun.
Je peux citer certains films produits comme ‘’Sans ordonnance’’ de la Béninoise Evelyne Agli, ‘’Les Hustlers’’ du Togolais Egome Amah, ‘’La colère dans le vent’’ de la Nigérienne Amina Weira, ‘’Vivre riche’’ de l'Ivoirien Joël Richmond Akafou.
Vous étiez au dernier FESPACO et la distinction de Sylvestre Amoussou vous honore à plusieurs titres. Quel rôle avez-vous tenu dans la production de ce long-métrage dont la trame a été saluée par les critiques comme l’une des plus osées ?
Effectivement j'étais au FESPACO 2017 et ça a été un grand plaisir d'assister à ces récompenses que ‘’L'Orage africain’’ de Sylvestre Amoussou a reçues. Je tiens à féliciter une fois encore ce grand cinéaste béninois et à le remercier de m'avoir donné l'occasion de collaborer avec lui sur son film. J'ai été régisseur général sur le plateau de tournage et c'était avec dévouement et détermination que j'ai collaboré avec toute l'équipe.
Le cinéma béninois ne se porte mieux qu’à travers les succès de ses acteurs expatriés. Quel regard portez-vous sur le 7ème art dans votre pays ?
Tant qu'il reste à faire, rien n'est fait. Le 7ème art au Bénin est encore à la traîne, a encore du chemin à faire et peut y arriver avec la nouvelle vague de jeunes cinéastes béninois que nous sommes. Moi j'y crois et je crois en la qualité artistique de certains de mes collègues. Il y aussi des aînés avec qui j'échange souvent et qui ont de très bonnes idées de films, de très bons projets. Mais il y a toujours ce problème de moyens, d’accompagnement qui se pose.
Il faut déjà qu'on fasse la différence entre la télévision et le cinéma. Cette différence doit être observée même depuis la formation dans les écoles de formation audiovisuelle et cinématographique. Il faut qu'on fasse la différence entre le théâtre filmé et le cinéma. Le langage cinématographique est universel et a des règles. En plus des quelques sources de financement que ces acteurs « expatriés » sollicitent au niveau des guichets internationaux (que tout cinéaste qui a un bon dossier artistique peut solliciter) et de leur créativité, ils ne font rien d'autres que de respecter ces règles du langage cinématographique.
Un film s'écrit lors de l'écriture et du développement, se réécrit au tournage et se réécrit au montage aussi. Il faut donc se donner une rigueur dans l'écriture de nos scénarios pour les rendre universels. De la même façon dont nous comprenons les films américains, japonais, chinois..., il faut que le Chinois aussi puisse comprendre facilement nos films. Et ça se pense depuis l'écriture du scénario.
A votre avis, quelles sont les conditions à un réel envol du secteur ?
La première condition reste le soutien de l'Etat à l'industrie cinématographique. Après l'artistique, il faut vraiment qu'on soit accompagné par nos autorités. Il faut que l'Etat béninois accompagne les acteurs...les vrais acteurs bien sûr. Pour la petite connaissance que j’ai des fonds de soutien à l'industrie cinématographique au Burkina Faso, au Sénégal et en Côte d'Ivoire, je peux affirmer qu'il n'y a pas de miracle. Si on veut réclamer la nationalité béninoise sur des films de qualité réalisés par des Béninois, il faut aussi que le pourcentage de participation à la production de l'Etat soit à la hauteur. Et je dirai qu'il faut plutôt un fonds de soutien à part entière pour le cinéma qu'un fonds pour la culture en général. Le cinéma coûte cher et il faut les moyens pour y parvenir. Un fonds pour toute la culture nous éloigne de l'objectif d'avoir les moyens pour faire un bon film. Je pensais que l'Etalon d'argent obtenu par Sylvestre Amoussou allait booster les choses comme ça a été le cas au Sénégal. Pour rappel, le premier Etalon obtenu par Alain Gomis avec son film « Tey » a permis la création d'un fonds d'un milliard de francs CFA pour le cinéma au Sénégal. Après son deuxième Etalon obtenu avec « Félicité », les autorités ont augmenté le fonds et c'est aujourd'hui à deux milliards trois cent millions de francs CFA. Ça change beaucoup. Le nombre de productions professionnelles et la qualité des films changent. Ça permet aussi aux sociétés de production d'être vraiment présentes « majoritairement si possible » et de s'imposer dans les coproductions internationales avec les sociétés du Nord. J'insiste sur le fait qu'il faut un fonds autonome géré par des professionnels du Centre national de la Cinématographie du Bénin si nous voulons vraiment porter le cinéma béninois à l'international. Il n'y aura pas de miracle. Le talent existe mais ça manque d'accompagnement au niveau national.
Il faut aussi que les acteurs que nous sommes, acceptons de travailler en équipe, d'être collectifs. On ne peut pas être seul scénariste, réalisateur, producteur, comédien et tout ce que vous voulez sur un film et espérer une qualité. Encore qu'il faut une expérience de fou pour oser ça. Il faut qu'on accepte aussi qu'un bon film c'est d'abord un bon scénario comme je l'avais souligné et ce n’est pas en une journée ou en deux semaines que c'est plier. Moi je passe 6 mois, une, deux ou plusieurs années sur l'écriture artistique des projets ainsi que le développement avec mes auteurs-réalisateurs avant de rentrer en production. Ça prend du temps, mais si c'est ce qu'il faut, il ne faut pas hésiter. Et tout ceci passe par une formation et un recyclage au jour le jour dans le domaine. Comme dans tout domaine, on ne finit pas d'apprendre dans ce domaine. Il faut juste de l'humilité.
Nombre de professionnels vous considèrent comme l’un des meilleurs espoirs du cinéma béninois et à ce titre, attendent beaucoup de vous. Quelles sont vos ambitions actuelles en tant qu’acteur ?
Je vais continuer par faire ce que je fais, donner le meilleur de moi-même sur mes projets afin de maintenir la confiance au sein des sociétés dans lesquelles je travaille, auprès des institutions et des partenaires qui me soutiennent dans la production de mes œuvres. Mes ambitions restent la sélection et la participation de mes œuvres dans de grands festivals à travers le monde, la distribution et diffusion dans les salles de cinéma et sur des chaînes de télévision. Il y a une question que je me pose chaque fois et qui me motive : « Pourquoi pas moi ? ». Si des cinéastes ont été en sélection dans des grands rendez-vous tels que le FESPACO, les JCC, Cannes, Berlinale, Vision du Réel, Cinéma du Réel, FIFF Namur, Durban, Hot docs, Sundance... pourquoi pas moi ? Il faut juste y croire en plus des compétences. J'ai eu la chance d'être au moins une fois à tous ces rendez-vous et je reste optimiste que le meilleur reste à venir avec mes prochaines œuvres par la grâce de Dieu.