La Nation Bénin...
Entre hommage filial et quête de résilience, Eugène Ebodé fait de son dernier roman «Habiller le ciel», une célébration de la mémoire maternelle. En transformant l’absence en matière littéraire, l’écrivain camerounais explore la puissance de l’écriture pour guérir les blessures intimes et réinventer le lien entre une mère et son fils, au-delà de la mort.
Dans Habiller le ciel, paru en 2023, Eugène Ebodé nous entraîne au cœur d’une expérience intime et douloureuse: celle du deuil d’une mère. L’écrivain n’a pas pu assister à l’enterrement de la sienne, une absence vécue comme une culpabilité qui ne cesse de le hanter. Pour apaiser ce tourment, il choisit la littérature comme refuge et comme exorcisme. Le livre devient alors un « catafalque de papier », destiné non pas à ensevelir la disparue, mais à lui redonner voix et corps.
À travers ce geste d’écriture, l’auteur nous ouvre à une méditation profonde sur le rôle de la mère dans la construction de l’être, sur la filiation comme matrice d’identité et sur la mémoire comme vecteur de survie. La mère, Vilaria, y apparaît dans toute sa force: femme énergique, opiniâtre, analphabète mais animée d’une intelligence pratique et d’une volonté inébranlable. Elle a tout donné pour assurer l’éducation de ses nombreux enfants, trouvant dans ce combat quotidien une forme de noblesse et de dignité.
Ebobé ne peint pas seulement une figure maternelle idéalisée, il restitue aussi ses colères, ses blessures, ses fragilités. Vilaria incarne ainsi une Afrique des femmes ordinaires, piliers invisibles mais essentiels, dont la mémoire s’écrit rarement dans les livres. Le roman fait de cette absence une présence éclatante, transformant la douleur en célébration.
Mémoire sacrée et filiation universelle
Un épisode marquant du récit illustre la profondeur du lien qui unit mère et fils: enfant malade, Eugène Ebodé est entre la vie et la mort dans un hôpital. C’est alors qu’un vieil inconnu adresse à sa mère une mystérieuse formule «Mbil idou inga kat kara » qui aurait sauvé l’enfant. Ce moment, que l’auteur rapporte avec gravité, devient une clé de lecture du livre: la mère n’est pas seulement chair et quotidien, elle est aussi une médiatrice entre le visible et l’invisible, une force spirituelle qui accompagne son enfant jusque dans les zones les plus obscures de l’existence.
Ainsi, Habiller le ciel dépasse le simple témoignage personnel. C’est une œuvre qui touche à l’universel : chacun y retrouve, à travers le récit de Vilaria, l’ombre protectrice d’une mère, cette première figure qui façonne l’être et inscrit dans la mémoire un socle indestructible. L’écriture d’Ebodé, à la fois poétique et sobre, sait capter ces instants d’éternité. Les phrases respirent une tendresse grave, comme si chaque mot devenait un vêtement pour « habiller » le vide laissé par l’absence.
Romancier, essayiste et enseignant, Eugène Ebodé est une voix incontournable de la littérature francophone contemporaine. Né au Cameroun et installé en France, il a publié plusieurs romans qui interrogent la mémoire africaine, le rapport entre histoire personnelle et Histoire collective, ainsi que les enjeux de transmission. Avec ce nouveau livre, il ne se contente pas de raconter une expérience privée, il propose une réflexion ouverte sur l’écriture comme outil de résilience.
En définitive, Eugène Ebodé signe ici une ode à la mémoire maternelle, mais aussi une leçon de littérature : l’écriture, loin de se limiter à raconter, devient un acte spirituel, un dialogue avec l’invisible et un espace où la douleur se transmue en beauté. À travers cette démarche, il offre à ses lecteurs une méditation universelle sur le deuil, l’amour et l’identité, confirmant son rôle de passeur entre l’intime et le collectif, entre l’Afrique et le monde.