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« La Maîtresse du président » de Toussaint Adjati : Une histoire de vengeance au sommet de l’Etat

Culture
Par   Ariel GBAGUIDI, le 30 juin 2022 à 08h50
C’est un récit de vie (fiction) de Eva Noting qui venge la mort de son mari en évinçant le président de la République qui est son amant. Au finish, le peuple lui confie le pouvoir d’Etat. Née de parents pauvres, sans moyen et habitant dans un quartier miséreux, la sublimissime Eva Noting était loin d’imaginer qu’elle allait occuper, un jour, la plus haute fonction politique de son pays, le Latain. Son destin s’est accompli dans « La Maîtresse du président », un roman de fiction écrit par Toussaint Adjati, Béninois vivant en France. Dans ce livre de 125 pages réparties en 16 chapitres, la serveuse et caissière de restaurant Eva Noting rencontre son tout premier amour, le docteur Gabin Lon, sur son lieu de travail. Les deux tourtereaux ont fini par se passer la bague aux doigts avant que l’homme ne décède brutalement, renversé par une voiture dans la circulation. Le chauffard à l’origine de sa mort qui à l'air d’un coup monté, prend la clé des champs et n’a jamais été retrouvé par les services de police. Des mois après, Eva Noting rencontre un nouvel amour : maître Guy Vaine, avocat à la Cour et membre d’un groupe très fermé qui conseille le chef de l’Etat, Jean Durire, sur les grands sujets de la République. Mais l’avocat va tomber en disgrâce au sein du groupe. Un tract sanglant publié contre le président de la République lui est attribué. Jean Durire ordonne alors une vaste opération pour non seulement retirer tous les exemplaires du tract du pays mais aussi retrouver Me Guy Vaine qui, entre-temps, a trouvé refuge dans la cathédrale de la ville. Cet ancien séminariste y officie en qualité de Père Pierre pour dissimuler son identité réelle et échapper de ce fait à son arrestation. Sa compagne lui rend visite à plusieurs reprises après qu’il lui a envoyé une note signalant sa position géographique. Comme l’on peut l’imaginer, Eva Noting a fait les frais de la fouille musclée ordonnée par le président, avant d’être demandée sans délai par ce dernier. C’était un soir. Les hommes du président l’embarquent manu militari dans sa robe de nuit ; direction, le palais présidentiel 2.0 où tout y est orné avec du diamant. Elle passe une nuit érotique avec Jean Durire et devient ainsi la maîtresse du chef de l’Etat. Eva Noting se retrouve dès lors au milieu de deux hommes. Sur proposition de madame, le président nomme Père Pierre comme son conseiller aux affaires occultes. Me Guy Vaine qui est activement recherché dans le pays, travaille à la présidence sans se faire démasquer et ce, jusqu’au jour où il fait appel à sa compagne pour lui annoncer sa mort imminente. Et comme si cela ne suffisait pas, il révèle à sa compagne qu’il a été violemment agressé par (le fantôme de) son ex-mari qu’il avait tué sur instruction du président, car Dr Gabin Lon était sur le point de révéler au public l’opération secrète que Jean Durire a subie à la verge. Après le décès de Père Pierre, Eva Noting offre une nouvelle nuit torride à son amant dans le but de venger la mort de son mari. Elle profite donc de ces moments nuptiaux pour éjecter le président. Après plusieurs heures de détention, Jean Durire est conduit sur la place publique pour être fouetté par le peuple en guise de punition à sa mauvaise gestion du pays. Mais le président déchu va disparaître mystérieusement sous une grosse tempête de vent au moment même où le peuple s’apprête à passer à l’acte. Ce dernier remet, par la suite, le pouvoir d’Etat à Eva Noting qui va diriger le pays pendant cinq ans avec un gouvernement constitué uniquement de femmes, et ayant obtenu des résultats très satisfaisants. Mais l’ex-amante de Jean Durire refuse de rempiler et cède le fauteuil présidentiel. Proche de la réalité Le roman est paru en décembre 2019 aux éditions Saint Honoré à Paris. Il est apprécié du public, se réjouit Toussaint Adjati lors d’une interview à son domicile à Abomey-Calavi. « Il y a une lectrice qui m’a interpellé parce qu’elle estime que la fiction est tellement proche de la réalité... », témoigne-t-il en rappelant qu’il s’agit d’une pure fiction. Au Latain, la présidence de la République est un lieu de grand luxe notamment la chambre personnelle du président. Par exemple, pour y prendre son bain, il fallait que Jean Durire appuie sur un bouton afin que la porte de la douche s’ouvre et pour dormir, il lui faut appuyer sur un autre bouton pour que le lit sorte du sol de la chambre. A travers cette image, l’auteur du livre dit vouloir interpeller le lecteur sur le contraste qu’il y a entre les hommes d’Etat et le peuple. « On voit un peuple misérabiliste d’un côté et de l’autre côté, on voit une minorité au pouvoir qui est immensément riche… », regrette Toussaint Adjati qui fait remarquer que cet état de chose est notoire dans certains pays africains. « Quand vous regardez le luxe qu’il y a dans certaines présidences africaines, et les bidonvilles qui sont à côté (rires), vous ne pouvez pas ne pas être frappés par le contraste. Et c’est aussi mon devoir de souligner cela, pour dire : attention, il y a quelque chose qui se passe et qui n’est pas bien. », explique-t-il. Après avoir pris le maquis, Me Guy Vaine est devenu Père Pierre. L’auteur dit vouloir montrer par-là « comment nous les hommes, nous ne reconnaissons Dieu que quand nous sommes en difficulté ». Autre fait remarquable dans le livre, c’est le séjour incognito de Père Pierre au palais de la République en qualité de conseiller du président alors même que les services de sécurité sont activement à sa recherche. Comment a-t-il pu servir Jean Durire sans être démasqué ni par ce dernier, ni par les services de sécurité ? « Là aussi, j’y ai mis de la fiction pour dire que cela peut être possible parce qu’aujourd’hui il y a plein de moyens par lesquels on peut se transformer pour se rendre là où on veut, pour faire ce que l’on veut faire à un endroit précis. Et c’est la partie vraiment fiction du roman. », répond l’écrivain-journaliste. Il dit avoir intégré cette idée pour montrer comment l’on peut arriver à rentrer dans les cercles les plus fermés grâce au pouvoir de la femme. « Les femmes ont le sens des relations, des négociations, elles peuvent faire profiter les hommes à des moments précis et surtout quand il s’agit de sortir les hommes de l’ombre », estime-t-il. Le choix de Eva Noting comme successeur de Jean Durire, s’est fait par le peuple, sur la place publique, et les membres de son gouvernement ont été désignés par tirage au sort. A travers cette image, l’auteur du livre remet en cause le système de démocratie notamment celui pratiqué dans les pays africains. « Il faudrait que pour des représentations du peuple à un certain niveau dans la haute sphère politique, qu’on revoit le mode de désignation ou de choix pour qu’il n’y pas de contestation demain, des groupes de pressions, etc. », explique Toussaint Adjati. L’autre détail frappant du livre, c’est le refus de Eva Noting de briguer un nouveau mandat, au terme du premier. Ici, le message que véhicule l’auteur du livre est celui de l’humilité du politique. « Ce n’est pas courant en Afrique. On a vu des gens qui n’ont plus la tête mais qui se sont accrochés au pouvoir comme des bigorneaux. Des gens qui dormaient même pendant que le peuple était devant eux… Voyez l’exemple de Mugabé, de l’Algérie avant que le peuple ne se soulève… », illustre-t-il. Toussaint Adjati souhaite donc que les dirigeants africains aient l’humilité et le courage de quitter le pouvoir par la grande porte. Qui est Toussaint Adjati ? [caption id="attachment_84437" align="alignnone" width="330"] Toussaint Adjati[/caption]   Docteur en histoire contemporaine, Toussaint Adjati est aussi enseignant, journaliste free-lance, artiste, poète et écrivain. Il est avant tout un artiste polyvalent qui se passionne pour la prose, la poésie, le théâtre, la peinture, la musique et la danse. Il a plusieurs publications à son actif, dans ces différents genres littéraires. « La Maitresse du président » est son premier roman. En tant que journaliste free-lance, il est membre de l’Union de la presse francophone (Upf), section France, de la Ligue des auteurs professionnels et du Pen club français après avoir fait partie de la Société des poètes français de Courbevoie.