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Le kamun en milieu Lokpa: A l’épreuve de la chicote

Culture
Par   Eklou, le 11 mars 2016 à 05h07

Fête dite de la chicote, le kamun donne lieu à des corps-à-corps entre individus pour éprouver leur courage et endurance. Dans la commune de Ouaké, dans le département de la Donga, il reste une grande attraction et s’affiche comme un rite de passage de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte.

Tôt ce lundi à Badjoudè, un arrondissement de la commune de Ouaké, la cour extérieure du palais royal affiche comble. Des individus, l’air à la fois grave et loufoque, investissent les lieux. Munis de chicotes et de boucliers en peau d’animaux, ils entonnent des chansons reprises en chœur par l’immense foule massée autour du palais. A défaut d’avoir une place de choix pour vivre l’évènement, certains s’en remettent aux murs des maisons avoisinantes. D’autres trouvent un confort sur les hauteurs du monticule de sable noir jouxtant la demeure du roi Kondé Sékou VI, indisposé. Le torse nu, les muscles saillants, l’allure altière, tels des gladiateurs dans l’arène, les futurs adversaires se livrent à une parade.Vêtus de culotte ceinte de peau d’animaux ou de lanières, le visage bariolé de charbon ou de poudre blanche, ils martèlent le sol du haut de leur stature et des foulées faites sur place. Tout ce vacarme est rythmé par les gros tambours et tam-tams sortis pour l’occasion et les cliquetis des gongs et castagnettes. Par vagues successives les combattants se déploient sur la cour, ultime étape de nombreux préludes qui se sont tenus à l’avance à l’Ecole urbaine centre et au Centre de promotion sociale. En tenue kaki, Wassim, 12 ans en classe de 6e, se fraie un chemin pour s’offrir un angle de vision raisonnable dans la marée humaine. « C’est la fête de la chicote. Il n’y a pas classe », murmure-t-il aux étrangers qui l’interpellent. L’intérêt des Lokpa pour le kamun est tel que nombre d’écoles ferment leurs portes.

Venus d’un peu partout ils replongent dans leurs souvenirs d’enfance. « Le kamun reste pour nous Lokpa un grand moment d’initiation et on ne se le laisse pas conter. J’ai été initié à l’âge de 16 ans et passé toutes les étapes mais quand j’entends le rythme du kamun j’ai toujours envie de le vivre », se remémore Razack Yolou.
Tour à tour, devant tout ce beau monde qui les entoure, les combattants se mettent en ordre de bataille. Une chicote en main pour attaquer et un bouclier en peau d’animaux ou juste un bâton pour contrer les coups de l’adversaire et se protéger. Debout à l’avant du grand arbre qui sert d’ombrage aux combattants, deux jeunes s’arrachent du groupe, se dévisagent. L’adrénaline monte. Le premier, le dos ensanglanté paraît bien furax. Tout le contraire de son adversaire du jour qui garde le sourire, bien que portant un coup de lanière au visage. A tour de rôle chaque adversaire devra porter deux fois de suite des coups de chicote à son vis-à-vis qui est en droit de les parer avec son bouclier et relancer également le combat en donnant les mêmes coups dans le même temps. Un arbitre veille au grain et arrête le combat quand il sent qu’un des adversaires prend le dessus sur l’autre et tend à l’amocher. Les deux combattants sont par la suite applaudis par la foule qui dans ses délires, asperge de talc le supposé conquérant de l’heure.

Autre temps, autre combat

Dès la veille, c’est l’effervescence dans les différentes contrées où ont lieu les combats. Les familles s’attèlent à consacrer ce jour comme l’un des moments importants dans la vie de leur progéniture. Les enfants initiés à ce rituel retrouvent tout le courage et l’endurance qui font d’eux des individus forts et capables de défendre leur communauté, défend Salami Issotina Zibrila, élu communal et président de la Commission des Affaires sociales et culturelles. Cette tradition vieille de plusieurs décennies se perpétue à travers le cercle des sages et notables Lokpa. Pour Félicien Yorou, président du comité d’organisation de ces cérémonies à caractère carnavalesque et rituel, l’évènement est né de la volonté des anciens à préparer la jeunesse à braver toutes les épreuves et difficultés de la vie tout en cultivant l’esprit de communion au sein des fils et filles Lokpa. Quoique les adversaires s’affrontent au cours des manifestations, un point d’honneur est accordé à l’union et à la quiétude. «Quand bien même vous vous donnez des coups vous êtes appelés à vous réconcilier et à partager les repas ensemble une fois les combats terminés », confie-t-il. Cependant le symbolisme de cette fête est parfois remis en cause par des actes attentatoires à l’esprit de fair-play que les anciens promeuvent. Certains adversaires en viennent malheureusement à transposer leurs vieilles querelles ou animosités sur la scène publique portant entorse aux règles et principes de jeu. Des rixes d’une extrême violence peuvent parfois ternir l’éclat de la fête. Comme c’est le cas de ces deux jeunes que les sages ont fini par renvoyer des lieux à la suite d’un terrible corps-à-corps.
Major de la gendarmerie à la retraite, Sindjaloum Koriko offre volontiers à ces occasions ses services pour ramener l’ordre au sein des combattants. «Aujourd’hui, la voyoucratie et l’alcool aidant bon nombre de jeunes n’arrivent plus à se maîtriser. On se provoque et on se frappe par le bas; ce qui est interdit», précise-t-il.
Reconnaissant être également passé par cette initiation, il exhibe des cicatrices de coups reçus au cours de sa jeunesse. «Le kamun est un rituel assez passionnant et l’on ne peut se réclamer Lokpa sans l’avoir pratiquée. Si vous savez bien vous protéger, vous pouvez vous en tirer à bon compte sans séquelle», relève-t-il.

Préparer spirituellement les combattants

Si hier au terme des combats aucun acte ou laurier ne consacre la suprématie de l’un des adversaires sur le second, Bamissou Dramane, trésorier général du comité, indique toutefois qu’à leur époque, ceux qui se révélaient étaient adulés par les femmes. Certains ont pu gagner le cœur de nombre d’entre elles par leur bravoure. Aussi le kamun n’était-il point vu tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. Dans un passé récent il aurait fallu préparer spirituellement les combattants. Les chicotes n’étaient pas seulement des objets conçus à base de racine d’arbuste ou en peau d’animaux. Des pouvoirs mystiques leur sont conférés pour affaiblir physiquement l’adversaire dès les premiers coups ou lui faire porter pendant longtemps des séquelles. C’est tout l’honneur de la famille qui est en jeu et tous les moyens sont bons pour dérouter son vis-à-vis. Quoique gagner ne relève plus des objectifs du combat, la famille reste toujours attachée à cette fête et met les petits plats dans les grands pour doper le moral de l’enfant qui défend son honneur en allant se faire ‘’chicoter’’ comme se plaît-on à le dire dans la communauté Lokpa. Des mets les plus copieux sont préparés pour accueillir le jeune enfant soit dans la catégorie des adolescents ou des adultes suivant l’étape où il en est dans son initiation¦