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Okuta: Félix Agossa, un «fou» aux pieds des collines de Dassa

Culture
Par   Josué F. MEHOUENOU, le 04 févr. 2016 à 11h28

C’est un péché que d’aller dans la commune de Dassa- Zoumè sans visiter Okuta. Un site de pierres façonnées grâce au génie artistique qui séduit le visiteur et l’embarque pour un long voyage.

Okuta. Pour les autochtones de la commune de Dassa-Zoumè, ce nom sonne comme ordinaire. Il signifie en effet «Pierre». Pour ces populations qui côtoient au quotidien les géantes collines qui ceinturent leurs localités, Okuta relève de la routine. Mais pour le visiteur ou le touriste, Okuta présente un autre visage en dehors de la curiosité à monter les collines pour apprécier la verdure et se faire une vue panoramique de la localité, il y a aussi un site du même nom qui se laisse découvrir. Une petite merveille rêvée, voulue et concrétisée par un natif de la localité, Félix Agossa.

Artiste, peintre, décorateur, cet homme, avec sa silhouette frêle et son regard à peine souriant fait partie des rares tailleurs de pierre du Bénin, si non qu’il est le seul à justifier d’un niveau professionnel aussi élevé. C’est donc lui, le géniteur de Okuta, devenu ces dernières années, une merveille artistique et touristique dans la commune de Dassa.

Okuta, la pierre

« Le site Okuta, nous l’avons choisi, parce que c’est situé en plein cœur de la ville de Dassa, qui n’est pas loin de la voie inter-Etats qui relie Cotonou à Malanville et en même temps Cotonou au Burkina Faso. C’est un site très calme, parce que situé dans une zone administrative où déjà à partir du vendredi, il y a la sérénité. Il est aussi sécurisé, parce que ceinturé par un poste de la gendarmerie, de la police, des eaux et forêts». Les mots pour valoriser le site ne manquent pas à son promoteur. Toutes les conditions, de son point de vue, sont réunies et font de ce lieu, un endroit de rêve pour héberger un projet du genre. «Le choix a été méticuleux et l’espace aussi est pittoresque», assure-t-il. Le site est constitué de toute la colline appelée en langue locale ‘’Anata’’. Pour l’avoir, il a fallu adresser une demande à l’Etat qui l’a mis gracieusement à la disposition des initiateurs.
Félix Agossa le peint comme l’univers où les artistes plasticiens, ceux de la scène, les cinéastes et tout acteur culturel peuvent se donner rendez-vous, discuter, s’éclater... Mais on peut aussi dire que Okuta est bien indiqué pour accoucher de projets novateurs. Le jeune réalisateur Aymar Essè en a déjà fait l’expérience. Natif de la commune de Dassa-Zoumè, c’est sur le site qu’il a tourné une bonne partie du film qui partage le nom du site : Okuta. 52 minutes de voyage autour et au cœur de la pierre pour dire et conter l’histoire de la pierre, si non celle des 41 collines de la cité des Egbakoku. Entre la nécessité de concasser les pierres pour bâtir et vivre, et l’urgence de préservation de la couche d’ozone contre les changements climatiques, il faut bien trouver le juste et bon milieu pour que Okuta, la pierre reste et demeure. Et c’est à cet exercice que le film s’est livré.
L’engouement autour du site ne laisse pas le promoteur indifférent. Tout porte à croire que, c’est de là qu’il puise l’énergie pour poursuivre son combat, en dépit des difficultés qui l’assaillent.
«Déjà pour un artiste plasticien, ce n’est pas évident de joindre les deux bouts. Mais quand vous avez la foi, l’abnégation, l’énergie qu’il faut, vous pouvez réaliser de grandes choses. Actuellement, Okuta ne compte plus que sur les ressources de quelques individus, particulièrement sur la ténacité de son promoteur qui, jour et nuit, ne ménage aucun effort pour poser une pierre, pour planter un bois ou pour mettre un clou quelque part ». C’est cette somme de forces, qui fait dire à Félix Agossa que c’est «un site d’avenir». Les raisons, c’est entre autres, selon lui, le fait que la ville de Dassa, en elle-même est une ville touristique et le site, de par sa situation géographique, sa beauté et sa qualité. «Nous pensons que tout est réuni pour que ce site devienne un site d’avenir», poursuit-il.

Un fou aux pieds des collines

« Le site Okuta est une grande ambition, parce que si vous le regardez, c’est l’une des plus grandes des 41 collines dont est constitué Dassa. Et l’aménagement doit se poursuivre... Nous voulons faire de cette partie, un grand centre culturel, un grand lieu de rencontres où l’animation, la diffusion, la promotion, et le rayonnement de la culture vont émerger. Ensuite, nous allons évoluer par palier. Nous allons commencer à mettre les infrastructures d’accueil, de détente, de restauration…».
Au-delà de l’attrait touristique de ce site, son promoteur tient à lui conserver les attributs d’un lieu de résidence artistique. Pour ce faire, l’aménagement prend en compte «quelques infrastructures d’accueil où un artiste béninois qui veut créer par exemple, s’isoler un ou deux mois, peut venir». Il y aura, soutient-il, une maison, une chambre, tout ce qu’il lui faut pour, sans bouger, créer, se restaurer et se détendre. Cela aura pour premier impact de réduire les efforts engagés pour la logistique. Ainsi prend corps le rêve d’un village Okuta auquel sera annexé les classiques d’un centre culturel, notamment une médiathèque, une bibliothèque, une salle de conférence, un espace pour accueillir de petits spectacles, disons une salle de verdure…
« Nous allons continuer l’aménagement de ce site, sur le plan de l’espace vert. Nous voulons que quiconque vient à Okuta se sente comme dans un paradis, un nouvel Eden avec beaucoup de fleurs, de décorations, de créativité. Celui qui entre là, doit savoir qu’ici n’est pas n’importe où », projette le géniteur de ce site. « Mon ambition est d’en faire, franchement le premier site africain, pourquoi pas mondial du genre», rêve-t-il par ailleurs. Trop futuriste ou peut-être même utopiste, Félix Agossa projette de faire de Okuta, «un rendez-vous mondial». De sorte que «un Italien pourra trouver ce qu’il mange chez lui, l’Autrichien, l’Allemand, etc ». Puis, objectif, il soutient que « Même si nous n’avons pas la vie assez longue pour le faire, nous allons transmettre cet ardent désir à la postérité pour qu’il soit réalisé quand même. Les plus grandes œuvres ont commencé comme cela, mettant du temps. Tous les grands ouvrages sont passés par des rêves pareils. Donc je me dis pourquoi pas aussi nous ». Selon les explications de ce dernier, cette ambition de donner une autre vie à ces collines aurait pu sombrer dès le départ, s’il avait prêté oreille à certaines interprétations.
« Quand j’ai commencé Okuta, c’était presqu’une forêt. Les gens de la commune disaient qu’il y a un fou aux pieds de la colline là-bas. On ne sait pas ce qu’il fait. Il est tout le temps-là, il s’échine au soleil. Personne n’a compris ce que je voulais faire. Mais aujourd’hui, unanimement toute la population de Dassa soutient cette initiative. Je ne peux plus passer dans une rue sans qu’on me dise courage. Cela veut dire que nous ne nous sommes pas trompés et que c’est possible. C’est ce qui manque aujourd’hui à la jeunesse. On a maintenant besoin de jeunes qui portent de grands rêves. On doit rêver pour que l’Afrique grandisse», enseigne-t-il plein d’enthousiasme. Et tout panafricaniste qu’il est, il fait savoir que « Si on ne se lève pas, on ne va jamais arracher l’Afrique aux Européens».
Ce que je peux dire à mes frères et sœurs, poursuit-il, c’est qu’ils cessent de se lamenter, car tant que nous avons nos mains, nos doigts, la tête, la force, tout nous est permis. «C’est un appel que je lance du fond de mon cœur. Moi je suis en train de réussir, je vais réussir, c’est un rendez-vous que je leur donne. Alors mettez-vous au travail. Rêvez grand. Et franchement, nous allons relever le défi de l’Afrique qui a grandi et de l’Afrique qui domine après la Chine », conclut l’artiste.