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Portrait: Daniel Adjinacou, l’ancien prof qui bâtit son avenir dans la pierre

Culture
Ancien enseignant devenu exploitant minier artisanal, il mise sur les pierres... Ancien enseignant devenu exploitant minier artisanal, il mise sur les pierres...

Il a quitté la sécurité d’une salle de classe pour la poussière d’une carrière. À Baroka, au Nord du Bénin, Daniel Adjinacou façonne un nouvel avenir dans la pierre. Ancien enseignant devenu exploitant minier artisanal, il mise sur les pierres ornementales de Natitingou pour bâtir une activité durable dans un secteur encore en plein développement au Bénin.

Par   Josué F. MEHOUENOU, le 04 déc. 2025 à 08h03 Durée 3 min.
#Nord du Bénin #sécurité

A Baroka, un site d’exploitation de pierres ornementales perdu dans les reliefs de Bérécingou, près de Natitingou, un homme se tient debout face aux blocs massifs de quartz. Daniel Adjinacou, sourire discret mais détermination inébranlable, observe son équipe à l’ouvrage. À 48 ans révolus, il a fait un choix radical, celui de troquer la craie contre le marteau et le burin. Originaire de Ouidah dans le Sud du pays, Daniel a longtemps enseigné avant de laisser tomber la craie. En renonçant à sa « carrière stable » d’enseignant de mathématiques, Daniel a choisi la liberté. Et c’est au cœur de cette carrière de quartz de Natitingou qu’il dit enfin se sentir « maître de son temps » et espère contribuer à l’essor de la filière locale de pierres ornementales encore marginale. « Je m’appelle Daniel Adjinacou. Je suis exploitant de pierres ornementales ici à Natitingou. J’étais professeur de mathématiques. Mais je voulais être un peu plus libre », explique-t-il calmement. Cette soif de liberté l’amène à multiplier les expériences. Fondé d’école privée, transit de marchandises, tourisme avec un ami néerlandais, commerce de madriers… Tout y est passé. Mais lorsque le gouvernement met fin aux coupes anarchiques de bois, sa vie prend un nouveau virage. « J’ai dû laisser et changer d’activité. D’où mon revirement vers cette activité que je fais aujourd’hui. »

Sur le site de Baroka, des blocs de quartz jonchent le sol. Depuis près d’une décennie qu’il s’est reconverti dans cette nouvelle activité, un secteur encore émergent, mais en pleine structuration, l’ex-professeur s’y sent bien plus qu’à son aise. Ce n’est pourtant pas le hasard qui le conduit vers la pierre. Il a découvert progressivement l’intérêt grandissant pour les matériaux naturels. Et puis le quartz, dit-on, « traite beaucoup de maladies ». Il y voit un potentiel économique et thérapeutique. Il s'y lance alors, convaincu que les pierres du Bénin peuvent remplacer les carreaux importés. Il découvre, grâce à des amis déjà présents dans le secteur, un marché peu connu, mais prometteur. Les qualités du matériau local, il les vante autour de lui, convaincu qu’il est, par-dessus tout, que « les pierres peuvent remplacer le carreau ». Aussi, prend-il du plaisir à défendre les avantages de la pierre. Durabilité, résistance, esthétique... Contrairement aux carreaux et aux peintures, souvent importés et jugés « toxiques» ou peu durables, la pierre reste solide « pour toute ta vie », argumente l’homme, tout en ajustant des blocs de pierres que scie l’un de ses collaborateurs. 

Le mathématicien qui a épousé la pierre

Hier professeur, aujourd’hui exploitant minier, Daniel a changé d’outil, mais pas de vocation. Il veut et continue de construire. Après les équations, Daniel s’attaque à un autre type de calcul : prouver que la pierre peut rapporter gros. Entre les chantiers du Sud et les collines du Nord, une passerelle minérale continue de se construire. Même si la route est encore longue pour une exploitation véritablement industrielle, l’ex-professeur reste convaincu que les premiers coups de burin ont déjà tracé un chemin. Libre de son emploi du temps, il assure ne pas regretter son choix, malgré les incertitudes et les années d’apprentissage. Dans la carrière de Baroka, chaque bloc extrait est pour lui une victoire, celle d’une filière locale qui se met lentement en place. À ceux qui doutent encore, il répond que les maisons parleront d’elles-mêmes. Pour lui, l’essentiel est que le métier permette de subvenir aux besoins. « Si ça te permet de t’occuper de ta petite famille… tu ne peux pas dire que ce n’est pas rentable », confesse-t-il.

Efforts et risques

L’exploitation est entièrement artisanale. Pas de machines sophistiquées ni d’outils modernes. L’appareillage pour une exploitation moins rudimentaire reste un rêve que caressent Daniel et ses compères de Natitingou. Ce n’est pas impossible. On peut y arriver, ambitionnent-ils. Mais cela demande des moyens. D’importants moyens, rétorque Daniel. L’équation à résoudre pour y arriver, selon l’ex-mathématicien, c’est de bénéficier d’un regard bienveillant sur le secteur peu importe d’où il vient. Mais les exploitants de Baroka attendent beaucoup des pouvoirs publics. Sans le dire tout haut, ils le voient comme leur premier secours. « On brûle la pierre avec du bois… On laisse 24 heures, puis on vient constater les fissures. S’il n’y a pas encore les fissures, on brûle une deuxième fois », résume-t-il pour expliquer leur mode opératoire. Si elles apparaissent, marteaux, burins et carabines prennent le relais.

Marteaux, burins, carabines…

Ces hommes font corps avec la roche pour extraire les dalles qui seront ensuite taillées ou polies, selon la commande. Car ici, on ne produit que sur commande. « Ce n’est pas un commerce où tu te lèves le matin et tu attends de l’argent tout de suite ». Certaines semaines, les ventes s’enchaînent. « On peut aller jusqu’à 3 millions » dans les bons mois. D’autres fois, « tu peux faire deux mois sans rien». Mais il tient bon. Il semble tout rassuré malgré les aléas économiques. Les prix restent pourtant accessibles pour un produit local. Le mètre carré en vrac se vend autour de mille francs Cfa. Quand les pierres sont découpées selon les normes, leur prix d’achat varie entre cinq et sept mille francs Cfa, selon la qualité et la commande. La charité bien ordonnée commençant par soi-même, il en a fait la promotion jusque dans sa propre maison. Son habitat assemble divers types et tailles de pierres. Il en offre souvent à ses proches et amis, dans une stratégie de publicité de bouche à oreille.

Le secteur est réglementé. Les autorisations émanent du ministère en charge des Mines, les périmètres sont contrôlés tout comme les déclarations de chargement. Mais la subvention se fait toujours attendre. Daniel rêve d’une véritable association structurée, capable de plaider pour la filière et défendre ses intérêts. En attendant, lui et ses pairs font des dons dans des hôpitaux, des établissements publics. Geste désintéressé, mais aussi stratégie de reconnaissance. « L’État est en train d'encadrer tout le système pour qu’il n’y ait pas de dérapage. Nous avons apprécié ça». En revanche, les soutiens financiers, Daniel estime qu’ils viendront quand les exploitants seront mieux organisés.

Libre comme la pierre…

Ceux qui le connaissent l’ont déjà entendu le dire. La liberté n’a pas de prix. Même sa femme, qui craignait ce changement, a dû s’incliner devant sa conviction. « Je suis un homme trop libre. J’aime travailler librement… Je ne veux pas rester sous pression », confie-t-il en caressant un moule à condiments en forme de cœur qu’il a à peine fini de polir. À Baroka, c’est le pari du « consommer local». Au milieu de la poussière et des blocs de quartz, Daniel Adjinacou bâtit pierre après pierre un avenir plus durable. Pas seulement pour lui et sa famille. Mais aussi pour la filière et tout le pays. Il y croit d’autant plus que la demande vient de loin. « Les gens du Sud viennent chercher ça, beaucoup plus », dit-il. À Ouidah, Porto-Novo, Cotonou, les clients sont conquis. Au Nord ? Beaucoup moins. Le mathématicien devenu artisan contemple l’horizon avec certitude. Il se fait ambassadeur de son matériau. « Quand tu touches la pierre, tu sens que ça apaise… C’est presque pour toute ta vie ». À ceux qui arguent de la cherté de cette matière pour s’en écarter, il leur rappelle que le luxe, mais aussi et surtout la santé n’ont pas de prix. Pour lui, construire avec la pierre, c’est s’offrir la permanence, là où carreaux et peinture s’effritent. Et quand le soleil se couche sur Bérécingou, chez Daniel Adjinacou, la flamme est allumée pour longtemps.