La Nation Bénin...
L’artiste plasticienne béninoise Sika da Silveira a signé, il y a peu une performance chargée d’émotion à la Casa do Benin de Salvador, dans l’État deBahia au Brésil. A travers la mémoire des Agoudas et le lien in destructible entre l’Afrique et sa diaspora, son œuvre n’a laissé personne indifférent.
Sika da Silveira a séjourné au Brésil dans le cadre du projet international Échos d’Afrique conduit par l’Université fédérale de Bahia, l’université fédérale du Recôncavo de Bahia et l’université d’Abomey-Calavi. A cette occasion, la plasticienne et passionnée de la photographie a choisi de développer un travail de mémoire entre deux rives. Sika da Silveira a souhaité consacrer sa résidence à un travail de mémoire autour des familles afro-brésiliennes appelées Agoudas, ces esclaves affranchis ou descendants qui, au XIXe siècle, regagnèrent les côtes du golfe de Guinée et s’installèrent notamment au Bénin. « Comprendre ce qu’ils ont laissé derrière eux, comprendre aussi notre héritage en tant que descendants et héritiers de cette histoire afin de mieux faire face aux enjeux de notre époque », explique-t-elle à la fin de l’aventure qui l’a vue sillonner de nombreuses villes brésiliennes. A Salvador, l’artiste a multiplié les visites dans des lieux emblématiques de cette mémoire partagée comme la Casa das Histórias de Salvador, la Fondation Pierre Verger, l’église de Bonfim, haut lieu du syncrétisme religieux, ou encore l’église de Nossa Senhora do Rosário dos Pretos, bâtie par les esclaves eux-mêmes.
Un rituel de reconnexion
La performance intitulée « Racines croisées » s’est déroulée dans le quartier historique de Pelourinho, symbole douloureux des châtiments infligés aux esclaves. Là, Sika da Silveira a commencé par une libation en hommage aux ancêtres avant de brandir une récade réalisée spécialement pour l’occasion, surmontée d’une carte du Bénin. « Je me considérais comme une missionnaire de mes ancêtres et de mon pays », confie-t-elle. Ce lieu-symbole dont l’histoire se conte avec douleurs et larmes par la descendance des Africains déportés en son temps a eu de la part de l’artiste, un hommage spécial. « Quand je suis arrivée à Salvador, on m’a expliqué ce que représentait ce lieu », raconte l’artiste. « J’ai ressenti qu’il fallait commencer là, parce que c’était un espace de souffrance, de punition. J’ai voulu transformer cette mémoire en énergie positive ».
De Pelourinho, l’artiste a déambulé jusqu’à la Casa do Benin, où elle a versé du sable collecté à la Porte du Non-Retour à Ouidah avant son départ pour le Brésil. « Si ceux qui ont traversé l’océan ont été coupés de leurs racines, il fallait que la racine aille à leur rencontre », explique-t-elle. Elle a ensuite distribué ce sable au public, soigneusement enveloppé dans un tissu blanc, symbole de pureté, et accompagné de rubans de Bonfim. Chaque spectateur était invité à y sceller une intention, comme un geste de reconnexion à ses origines.
A la Casa do Benin, Sika a également présenté une installation intitulée « Par-delà les océans ». L’œuvre rassemblait les portraits de patriarches agoudas comme Francisco Félix de Souza, Pedro Pinto Kodjo Landjekpo da Silveira, Bernardino d’Almeida, Roufou do Rego, tous partis de Bahia pour fonder des lignées au Bénin. Au centre, une photographie de la Porte du Non-Retour, dont l’artiste a symboliquement ouvert le passage par un tissu traversant l’espace, figurait le chemin du retour. Sur ce tissu, des rubans de Bonfim portaient les noms de familles agoudas. Enfin, un assemblage de sable de Bahia et de sable béninois complétait la pièce, matérialisant la fusion de deux mémoires et la continuité d’une histoire commune.
Quand l’art devient pont entre les peuples
Au-delà de l’installation et de la performance, Sika da Silveira a également animé à Cachoeira un atelier intitulé « Histórias de família », où les participants ont partagé récits et dessins. De ces contributions est née une fresque collective, témoignage d’une mémoire tissée à plusieurs voix. « Être au Recôncavo, c’est retrouver un Bénin qui a survécu à l’esclavage au Brésil », souligne l’artiste qui inscrit ainsi son travail dans la continuité des luttes et des résistances des diasporas africaines, affirmant la dignité et la créativité d’un héritage commun.
La démarche de Sika da Silveira ne se limite pas à l’évocation du passé. En transportant la récade au Bénin après sa performance, elle annonce la suite d’un dialogue entre les deux pays.
« Il y aura une suite au Bénin », assure-t-elle, comme pour rappeler que la mémoire des Agoudas n’est pas figée mais continue de se réinventer dans l’art, la culture et la conscience collective.
Mémoire en mouvement
La performance de Bahia ne marque pas un aboutissement, mais le début d’une continuité. Pour elle, ce travail dépasse l’art au sens classique. « Je considère mes performances comme des actes rituels. L’art est un outil de guérison. Il nous aide à affronter notre histoire et à nous reconnecter à ce que nous avons perdu ». En définitive, le projet Échos d’Afrique aura permis à Sika da Silveira de faire dialoguer mémoire, art et histoire vivante. « Nous sommes les héritiers d’une mémoire douloureuse mais aussi d’une force incroyable. Les Agoudas ont transformé l’exil en reconstruction. Nous devons continuer à honorer cette énergie », tranche la jeune artiste. A travers ce séjour à Bahia, l’artiste béninoise a montré que la mémoire peut se faire action, que l’art peut être rituel, et que les océans ne séparent pas, mais relient.
A travers ce séjour à Bahia, l’artiste béninoise a montré que la mémoire peut se faire action, que l’art peut être rituel, et que les océans ne séparent pas, mais relient