Sur la « Route des Tatas » : Odyssée au cœur d’un patrimoine d’exception
Culture
Par
Claude Urbain PLAGBETO, le 29 déc. 2021
à
09h17
Plus qu’une simple découverte des maisons-forteresses propres au peuple Tammari et assimilés, la « Route des Tatas » plonge en plein dans une tradition séculaire en harmonie avec la nature. « La Nation » vous propose une odyssée au coeur de ce patrimoine culturel et architectural d’exception du Nord-Bénin, menacé de disparition bien qu’il suscite un regain d’intérêt.
Au milieu de la chaîne de l’Atacora au Nord-Ouest du Bénin, la beauté du paysage tutoie avec arrogance la luxuriance de la végétation en ce mois pluvieux d’août. Koussoucoingou, à une quarantaine de kilomètres de Natitingou, au bord de la route nationale inter-Etats n° 7 (Natitingou-Boukombé-Korontière-Frontière Togo) nouvellement bitumée à travers les hautes falaises rocheuses, se dresse majestueusement l’Office du tourisme de la destination «Route des Tatas».
L’architecture, les pièces en forme circulaire et la couleur ocre des murs de l’édifice rappellent les Tatas, ces maisons-forteresses en terre crue, témoins du génie du peuple Tammari. Le Tammachienta (maison de l’Otammari) lui confère sa réputation de grand bâtisseur. En fait, Otammari se traduit littéralement par : « Celui qui pétrit la terre pour construire », en un mot un maçon en langue ditammari.
Le « tata-école » de Koussoucoingou abrite le Bureau d’accueil et d’information touristique (Bait) de la destination « Route des Tatas », un projet de valorisation du patrimoine du peuple Tammari porté par l’ambassade de France au Bénin en partenariat avec Ign Fi, l’association Koutammarikou et l’Ong Eco-Bénin. A cette dernière, l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (Anpt) a délégué la gestion touristique en coordination avec les acteurs du projet.
Au seuil du hall d’entrée, l’accueil est chaleureux. En cette période de pandémie de Covid-19 où les touristes se font rares, Guy N’dah, médiateur en patrimoine, chargé de développement du projet « Route des Tatas » et toute son équipe sont mobilisés cette matinée pour notre équipe de reportage.
La découverte démarre par une visite guidée sur place. Diane N’da, chargée de l’accueil et de l’information, annonce une randonnée achalandée au cœur de cette destination touristique aux mille charmes. « La Route des Tatas » propose quatre circuits pour la découverte de différents modèles de tatas : Tata Ossori, Tata Otchaou, Tata Okpanri, tout en respectant le côté sacré et en valorisant les arts et la culture, le paysage ainsi que le rôle de la femme en milieu Tammari, informe l’intendante.
Un circuit tout entier est dédié aux artisanes dont des œuvres sont exposées dans le mini-musée en constitution au Bait. Il s’agit du circuit «Otammapokou» (littéralement la femme Tammari) promu par l’association La Perle de l’Atacora, une association qui fait de l’écotourisme communautaire, précise Diane N’da. Le visiteur va à la découverte des femmes aux doigts agiles qui font de la poterie, du fromage peul, du tissage, de la transformation du fonio, du beurre de karité, du jus de baobab, etc.
Les autres circuits : « Au cœur des Tata axe Boukombé », « Au cœur des Tata axe Kouaba » et « Vision de l’Atacora » offrent également diverses attractions autour de l’architecture Tata, l’organisation sociétale, la botanique, la pharmacopée, les cérémonies indispensables d’initiation ou de passage de l’adolescence à l’âge adulte chez les Bètammaribè (pluriel d’Otammari) : dikountri pour les filles vierges et difôni pour les garçons puceaux. Les rythmes et danses traditionnels exécutés à l’occasion sont entre autres : tipenti, dikpantri, dikountri, koutchaati. Ils sont mis en exergue lors du Festival des arts et culture Tammari (Factam). La biennale tournante était à sa cinquième édition en 2019. Le festival a pour objectif de valoriser l’identité culturelle Tammari, de revisiter tout le potentiel du Koutammarikou (pays Tammari) et ainsi de révéler le peuple Tammari à lui-même et au monde.
Au cœur des tatas
L’aventure proprement dite commence par le circuit « Au cœur des Tata axe Boukombé »,
sous la direction de Cyrille Wégniké, enseignant de formation et guide attaché à la destination « Route des Tatas », assisté de Mathias Ditchié. Elle durera théoriquement trois heures, indique le premier. Une bouteille d’eau à boire, un peu de crème solaire, un parapluie, une chemise à manches longues, ce sont entre autres recommandations pour une bonne traversée.
Le décor ainsi planté, nous nous rendons chez un sage du village Tchapéta, arrondissement de Koussoucoingou. «Bienvenue chez Kouagou», indique la plaque toponymique.
Le sexagénaire Ludovic Kouagou embouche sa flûte pour «souhaiter la bienvenue et réveiller les ancêtres qu’il y a un étranger qui a foulé leur sol». Malgré ses activités champêtres, artisanales et de vente de l’essence « kpayo », ce vannier est toujours disponible pour donner sa bénédiction pour que la visite se passe dans de bonnes conditions, assure le guide.
Outre les vannes pour céréales, les paniers, le sexagénaire est spécialiste des valises traditionnelles dikounmani utilisées lors des cérémonies d’initiation.
Sur place, le guide Mathias Ditchié nous gratifie de quelques savoirs endogènes sur des plantes médicinales et la pharmacopée. Arbre aux mille vertus, le néré (Parkia biglobosa de son nom scientifique, Mounouan en langue ditammari) est particulièrement nourricier. Ses feuilles sont utilisées pour laver les ustensiles ou comme désinfectant lors des scarifications. Les marques sur le visage sont ici l’apanage des Bètammaribè partis s’installer sur les montagnes, après Koubentiégou (Boukombé), leur dernier grand regroupement connu dans l’histoire. Ils sont désignés par Bètemmôbè (c’est-à-dire ceux qui ont pris les hauteurs) par opposition à ceux qui sont restés dans la plaine et appelés Bètchaaba.
Kaya senegalensis (cailcédrat) connu pour ses vertus toniques, apéritives ; Afzelia Africana (doussié) utilisé contre les convulsions, les douleurs d'estomac, la hernie ; Daniela oliveri qui soigne les démangeaisons et les infections cutanées, Securidaca longipedunculata, l’arbre aux mille usages utilisé notamment contre le psoriasis, Gardenia erubescens dont les racines soignent les maladies gastriques et la syphilis, sont autant d’espèces qui entrent en compte pour faciliter la cicatrisation.
Le baobab (Adansonia digitata de son nom scientifique, Moutoroumou en langue locale) est un arbre auquel est attaché l’Otammari et ce, pour ses multiples usages. L’écorce est utilisée pour traiter les plaies incurables, informe le guide. Ses racines servent à revigorer les nouveau-nés chétifs. Les feuilles sont consommées comme légumes. La poudre du fruit de baobab est délayée pour faire du jus. Les graines servent aussi à faire de la sauce et même de l’huile. La cendre de la coque du fruit du baobab peut valablement remplacer la potasse ou le bicarbonate de sodium dans la cuisson des aliments.
Quand une femme accouche, la première sauce qu’elle consomme est faite des racines du fagarier (Zanthoxylum fagara). Cette plante est utilisée contre les infections, les douleurs dentaires, etc.
Une gamme variée de tatas
La première attraction du circuit, c’est le tata de Jean N’tcha dit Patron à Koussoucoingou, un des sept arrondissements de la commune de Boukombé. Il tient cet héritage de son grand-père maternel décédé en 1983. L’homme dit être de la troisième génération depuis la construction du tata dont il estime l’âge à plus de 200 ans.
Des autels disposés à la devanture témoignent de l’attachement du peuple Tammari – majoritairement animiste - aux divinités claniques ou familiales incarnant l’esprit des ancêtres ou des gibiers, lesquels veillent sur les membres de la famille, les possessions (volailles, bovins, ovins) et participent à la prospérité, selon les croyances.
« Le tata concentre tout : les hommes, les vivres, les animaux, les cultes », indique Gaston Behiti, administrateur civil à la retraite, membre de la Commission nationale linguistique ditammari (Cnld). Aujourd’hui, le tata est devenu plus un temple, un lieu de culte qu’une habitation, puisque les cases rectangulaires en ciment et en tôle dominent désormais le Koutammarikou (pays Tammari), fait-il remarquer.
A la façade de ce tata de type Ossori, à l’étage, se trouve une chambre dont la toiture est en paille entourée de deux greniers également en paille. Au sommet du portillon d’entrée, sont déposés des trophées d’animaux provenant de la chasse ou des carcasses de bêtes immolées à l’occasion de diverses manifestations traditionnelles. Leur grand nombre signifie que la famille est nantie, soit par l’élevage ou la chasse.
Au rez-de-chaussée du tata appelé ici Kounamougou, se trouve à gauche le mortier pour piler le fonio. A droite, sont disposées deux ou trois meules pour écraser les grains : mil, sorgho, maïs et autres. Le travail se fait souvent à la chaîne par les femmes de la concession. Les bœufs, les cabris, la volaille disposent d’emplacements propres dans la forteresse.
La cuisine donne accès à la grande terrasse où se situent les chambres et les greniers. Elle sert de reposoir et d’aire de séchage de céréales et autres.
La chambre du père de famille est du côté ouest où se situe toujours l’entrée du tata. Dans l’entendement collectif, le malheur viendrait du côté est. Les greniers du père, des femmes et des enfants sont séparés. Nul ne peut toucher au grenier de l’autre sans autorisation expresse. Même pas le père de famille ! Les entrepôts peuvent contenir des gris-gris ou des objets personnels sacrés. Gare aux outrecuidants ! De même, l’homme polygame peut faire le tour des cases de ses femmes mais jamais, il n’amènera plus d’une femme dans le même lit.
Dans les villages parcourus, de nombreux tatas sont en ruine au milieu des champs de fonio, de riz, de voandzou, de sorgho, de petit mil, d’igname, de manioc, de maïs. Le labour est compartimenté pour retenir l’eau dans cette zone escarpée.
Loin de la flore verdoyante et des collines attractives, se dresse le tata de type Otchaou chez Robert Touota dit « Sonapipe » (Société nationale des pipes), agriculteur, artisan fabricant de pipes en roseau et en terre cuite et féticheur dans le village de Koukouatchiengou dans l’arrondissement de Boukombé-Centre. Les autels des divinités sont particulièrement géants devant ce tata. La bâtisse se distingue du tata Ossori par la case du chef de famille qui est plutôt dallée. Elle présente en face deux cornes. « C’est le signe que le propriétaire est vivant », explique notre guide. Le jour où il cassera sa pipe, les deux mottes de terre sur la dalle seront cassées et ne seront remises qu’une fois les funérailles terminées et un autre propriétaire est désigné.
Le physique athlétique, le sexagénaire sans scarification apparente se présente tout souriant à notre équipe. Le tata porte la mention : « Tata Robert 1960 ». « 1960, c’est l’année de la dernière grande restauration de ce tata centenaire que j’ai hérité de mon père », souligne le propriétaire. L’attachement aux prénoms chrétiens et français est signe d’ouverture d’esprit et de ‘’civilisation’’ dans l’entendement de bon nombre.
Après la traversée de Koussogou, nous tombons dans le village de Koutatiégou (toujours dans Boukombé-Centre). Bienvenue chez Bernadin M’Po M’bima ! La trentaine révolue, c’est l’un des plus jeunes propriétaires de tata à Boukombé. Cette variante du tata Ossori, il l’a héritée de son feu père qui l’a identifié parmi ses frères comme le meilleur gardien du temple. Pour ce faire, Bernardin a été enlevé très tôt de l’école pour maîtriser les rouages de la tradition.
« Mes frères me soutiennent dans la restauration de ce tata familial. Sans leur aide, le tata ne tiendrait plus debout car l’entretien n’est pas facile », reconnaît Bernadin M’Po M’bima. « Cependant, les moyens ne suffisent pas. Le tata ne devrait pas avoir cette couleur ; il faut refaire l’enduit pour le rendre plus attrayant », fait-il remarquer.
Tatamachienta ou Tata-forge
Le circuit « Au cœur des Tata axe Kouaba » est également promu par l’association La Perle de l’Atacora. Il nous conduit au Tatamachienta ou Tata-forge chez le forgeron Barthélémy Kouagou N’dah. Là sont fabriqués les houes, les dabas, les coupe-coupe, les couteaux, les bagues, les colliers, les flèches, les gongs et autres instruments pour le voisinage. Autrefois, la forge (appelée koumangou) était à l’intérieur du tata. C’est le tata de type Okpanri. La forge tourne à plein régime en temps de pluie où les paysans ont besoin d’instruments pour le labour. L’écoulement des produits ne pose pas grand problème ; en revanche, la matière première, le fer, est peu disponible et coûte de plus en plus cher.
Croulant sous le poids de l’âge, le septuagénaire dit ne plus avoir la force d’entretenir le tata. Ce rôle est désormais dévolu à ses enfants qui veillent à corriger les défauts.
Si la dalle s’affaisse, appel est fait à la communauté pour aider à la réparation.
En fait, avoir de la main-d’œuvre dans son champ ou ailleurs sans argent, c’est encore possible en milieu Tammari où la solidarité reste une valeur partagée par la communauté. Il suffit d’avoir de quoi restaurer en fonction de ses moyens : des repas sans oublier l’incontournable boisson à base de mil germé tchoukoutou et être disposé à rendre la pareille en son temps. Tout adulte, homme ou femme, est appelé à répondre à l’invitation dans ce système dénommé Kotongou menacé de disparition par la culture de l’individualisme et la cupidité ambiante. « Cependant, la solidarité se désagrège : les gens ne sont plus tellement motivés à le faire », admet Gaston Behiti.
Toujours à Kouaba (commune de Natitingou), un tata premium également de type Okpanrin force l’admiration. Il porte la mention « Rénové en 2021 grâce au projet Htc-A ». Il s’agit d’un projet de rénovation des Habitats en terre crue (Htc) dans l’Atacora, porté par l’Université catholique de Louvain et piloté par Eco-Bénin et la Route des Tatas.
Philomène N’dah, la propriétaire des lieux, est reconnue comme l’une des meilleures femmes à entretenir un tata, en plus de sa réputation d’excellente fabricante de la boisson locale tchoukoutou. Son tata compte de trois terrasses dont une grande. Il comporte uniquement des greniers à la façade. Les cases habitables se situent à l’arrière du tata. Le nombre de greniers dépend de la taille du tata. Il ne comporte pas le mortier et les meules à l’entrée comme ailleurs. Il y est installé des foyers améliorés Wanrou.
Un tata n’est pas grand par son étendue ou sa hauteur. Le petit tata n’a que deux greniers. Le tata moyen en a trois. C’est le nombre de greniers qui détermine sa grandeur. Cela montre la fortune de la famille : dans l’entendement collectif, il y a à manger ainsi que de la main-d’œuvre pour labourer la terre. Un indigent peut venir solliciter de l’aide dans un grand tata, le « tata à dix greniers ».
Bien que propriétaire et gardienne du temple, la femme n’est pas habilitée à égorger les bêtes lors des cérémonies. Philomène N’dah se fait aider des hommes proches de la famille pour accomplir les rituels.
Sa famille est dotée du don de traitement des fractures d’os et des entorses sans chirurgie. « J’ai eu une fracture du bras en classe de 5e, mais l’os s’est soudé rapidement grâce à eux : j’ai commencé à écrire au bout d’une semaine », témoigne Cyrille Wégniké. « Avant, les soins étaient gratuits mais la cupidité fait perdre ce pouvoir à bon nombre », déplore-t-il.
En dehors des principaux types de tata, on distingue d’autres modèles et des variantes en fonction des clans. Au niveau de la plupart des Sikien (pluriel de tamachienta :) de la plaine, tout est dallé sauf les greniers.
Chez les Bassoba, la case de la maman est toujours au milieu du tata.
Le tata Bakokba présente des chambres dallées mais les toits sont en forme de cône et donc pointus ; on a accès à la terrasse du haut par l’échelle qu’on fait rentrer pour la sécurité.
Le tata Yindé est fait de cases rondes clôturées, sans porte d’accès. Il n’y a pas de dalle ; les cases sont en paille partout.
---------------------------- L’Atacora en miniature ------------------------
Au musée régional de Natitingou, sont exposées des maquettes en poterie de différents types de tata. Le tata Otammari (origine : Kouaba/Natitingou) est fait d’une case ronde bordée de deux greniers à la façade. L’entrée, c’est toujours par le bas, décrit Joseph Toumoudagou, conservateur du musée et futur gestionnaire du site Koutammakou-Bénin.
Le tata Ossori (origine : Kouaba/Natitingou) montre une case ronde et une échelle taillée en bois fourchu pour grimper au toit.
Le tata Otchaou (origine : Boukombé) est également présenté.
Le tata Tayaba (Tayacou/Tanguiéta) chez les Natemba, ne présente pas de cases en paille, tout est dallé. Ce tata présente deux possibilités d’entrée : une ouverture en bas et une échelle pour passer par le haut.
Le tata Berba des Biali (origine : Matéri) n’existe pratiquement plus.
Avec véranda à l’entrée, l’habitat royal Bariba est fait d’une concession de plusieurs cases rondes au sol et non en étage, mais il n’est pas considéré comme tata par certains.
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« La Route coloniale allemande »
« La Route coloniale allemande » est l’un des circuits prisés qui plongent au cœur de l’histoire de Boukombé et du peuple Tammari. Joséphine Koubetti, 54 ans, promotrice du Tata touristique Koubetti Victor et fondatrice de l’Association Art, Culture et Tourisme (A-Act), maîtrise ce circuit comme sa poche.
La route part de Kounadôgou au centre de Boukombé. Dans ce quartier « résidentiel », tient encore debout un bâtiment colonial aux murs particulièrement épais. Quelques marches grimpées et nous voici à la résidence et au bureau du colon allemand. Il s’y reposait quand il quitte le Togo à pied, sous l’œil vigilant de deux gardes-cercle, rapporte notre guide.
Du haut du bâtiment, poursuit Mme Koubetti, il avait une vue panoramique de toute la contrée. La Recette-Perception avait cohabité avec le District dans cette bâtisse, avant la construction d’un nouvel hôtel de ville. Puis, elle deviendra la résidence des ex-chefs de district, des sous-préfets puis des maires. Seuls les deux derniers maires n’y ont pas résidé. Actuellement, y vit le receveur des impôts. Une partie du bâtiment avait aussi abrité la Police qui a été délocalisée.
Un vieux système de pompage d’eau jouxte le bâtiment. Les Noirs devraient tourner la machine pour que le Blanc dispose de l’eau pour ses besoins. « Je ne sais pas pourquoi la mairie ne peut pas aménager ce bâtiment et en faire un musée », lâche au passage Joséphine Koubetti.
Un peu en retrait, se trouve le mât où se hissait le drapeau allemand, loin du fameux « Pic » qui abritera plus tard le drapeau français. Il a été hissé par Kouagou Kougnagou (Kougnagou signifie en ditammari le « pagne du blanc »), grand-père de l’ancien député et ministre feu Eric N’dah et arrière-grand-père de l’actuel maire de Boukombé, Aldo N’dah.
Le colon allemand ayant vu le drapeau français se serait retiré au Togo actuel. Les deux colons ont cherché à se voir. En fait, Boukombé devrait être du côté togolais mais les Allemands ont accepté de faire une compensation avec les Français qui leur ont cédé le Nord (une partie de Boukombé), contre une partie du Sud, explique Noël Koussey, natif de Boukombé, professeur d’histoire et géographie à la retraite, ancien député (2e mandature), ancien ambassadeur du Bénin près le Niger, le Burkina Faso et le Mali et ancien président (1978-1980) de la Cnld. C’est ainsi qu’une partie du quartier Kounadogou de Boukombé s’est retrouvée dans le Togo et que les Allemands appelleront Nadoba, explique le septuagénaire qui avait soutenu un mémoire de maîtrise d’histoire en 1977 sur le thème « Des origines du peuple Tammari jusqu’à l’invasion coloniale en 1897 ».
Aux origines de Boukombé
Sur la route coloniale allemande, se trouve le village de Kounakogou, arrondissement de Nata, doté d’une multitude de baobabs témoignant qu’il s’agissait d’une grande agglomération. Là, se dresse debout un grand arbre desséché appelé boukomou qui a donné son nom à Boukombé (Boukomou…bé !).
Sous cet arbre au pied de la montagne s’animait un grand marché de troc. Banakoba, le chef traditionnel à l’époque, avait accepté tous les étrangers. Tous noirs, ils parlaient gourmantché, ashanti, haoussa, lamba, yoruba, dendi, nous apprend le guide. Les Bètammaribè échangeaient les peaux d’animaux, les bijoux, les objets de la poterie, les bracelets, les boucles d’oreille, contre d’autres articles. Les animateurs provenaient des actuels territoires du Burkina Faso, du Dahomey, du Togo, du Niger, du Nigeria, etc. Les Français introduiront le franc comme monnaie de change pour faire arrêter le troc.
Le premier robinet installé par les Allemands et relié à la cascade est encore visible à Kounakogou tout comme les traces de la première église française.
Selon l’histoire, il fallait transporter le colon français de Boukombé à Kouandé, de Kouandé à Tanguiéta, de Tanguiéta à Boukombé pour ses courses… La « Route coloniale française » va jusqu’au Tata Belvédère construit en dur. Le toubab sera contraint de partir de la zone après que le robinet a commencé à débiter de façon mystique du sang en lieu et place de l’eau. Pendant une lune entière, il était obligé d’aller chercher de l’eau jusqu’à Kara (au Togo). De guerre lasse, il prendra ses affaires pour vider les lieux. Jusqu’à présent, dans les villages voisins de Kounagnigou (arrondissement de Nata), Koupagou (arrondissement de Korontière) et ailleurs, certains détiendraient encore ce pouvoir de transformation de la bouillie ou de l’eau en sang. « Si tu bois, tu feras la dysenterie jusqu’à en mourir. C’est pourquoi on nous défend de manger dans les marchés, dans les lieux publics quand il y a des vieux assis », informe Joséphine Koubetti.
--------------------- Histoire et légendes -------------------------
La légende raconte que le « Pic » est la première montagne qui a poussé dans Boukombé. La région serait traversée par un grand cours d’eau qui a tari après une longue sécheresse. L’eau aurait voulu finalement ressortir mais la terre s’y est opposée. L’eau fâchée poussa le sol qui devient une montagne, en faisant beaucoup de bruits. « C’est une réalité ; des gens ont vécu cela et ont raconté de génération en génération », croit savoir Joséphine Koubetti, native de la localité. Puis, après trois lunes, poursuit-elle, toutes les autres montagnes de la chaîne ont poussé.
Koussogou, village des Bassoba. La légende raconte aussi que les génies, des hominidés difformes avec un pied, un bras, un œil, une oreille, un sein, dont les cheveux balayaient le sol, ont habité la région. Ils sortaient en masse pour longer les collines autour de 19 heures et y revenir vers 5 heures. Il fallait les laisser passer pour ne pas avoir de gros ennuis. S’ils touchent un homme, il devient raide comme électrocuté. Le corps pouvait rester des jours, des semaines, des mois sans se décomposer. Les grand-mères racontent qu’il fallait se coucher par terre pour qu’ils passent. Beaucoup de colons blancs en seraient morts et auraient leurs tombes à Koudahongou.
Les similitudes de l’architecture des tatas avec l’habitat du Sahel (Niger, Burkina, Mali) et entre les rites d’inhumation confirment s’il en est encore besoin les origines des Bètammaribè, selon Koumba Noël Koussey. « Le peuple Tammari est un peuple venu du Nord-est de l’Afrique comme d’ailleurs la plupart des peuples en Afrique de l’Ouest », soutient-il. Il fait remarquer qu’on enterre en pays Tammari comme en Egypte. Le caveau est fermé à l’aide d’une pierre ronde prise à la montagne. Si là-bas, les jarres recouvrant les sépultures se construisent sur les tombes, ici les jarres y sont emmenées.
Creusée en T renversée, d’Est à lOuest, la tombe peut abriter des dizaines de corps. Dans certains clans, celui qui n’a pas assisté à au moins dix cérémonies d’initiation dans sa vie, autrement dit celui qui n’a pas vécu ces événements pendant au moins quarante ans, n’a pas droit à une tombe. Donc, il est mort jeune et on ouvre une tombe, pour l’y engloutir tout simplement. « A 54 ans, si je meurs aujourd’hui, je n’ai pas droit à une tombe parce que je n’ai pas encore vécu dix cérémonies d’initiation après ma propre initiation », confie Joséphine Koubetti. Dans ce cas, le chef traditionnel recherche quelle tombe, quel ancêtre devrait recevoir le corps de celui qui est mort jeune.
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Défis de conservation des tatas
La construction des tatas est devenue problématique avec la déforestation. Il faut parcourir quatre montagnes maintenant pour trouver le bois : l’Anogeissus leocarpus (le bouleau d’Afrique) considéré comme le « fer » tammari ou le Burkea africana, des essences forestières utilisées dans la fabrication des tatas. « Les garçons peuvent se bagarrer pour ces bois qui peuvent faire banalement deux siècles, voire plus s’ils sont bien entretenus », indique Joséphine Koubetti, promotrice de tata et guide touristique.
En plus du bois devenu rare, la paille coûte cher. « La botte de paille est à 1000 F Cfa », informe Cyrille Wégniké. « Aussi, poursuit-il, la solidarité communautaire désertant le forum, le maçon, le charpentier, eux aussi, réclament plus d’argent. Pour construire un seul grenier, on peut vous prendre 10 000 F Cfa. Les femmes qui doivent puiser de l’eau ou faire le crépissage, elles aussi, commencent à réclamer de l’argent ». Pour ériger un tata traditionnel aujourd’hui, il faut prévoir au minimum 2 millions F Cfa, indique-t-il.
A ces difficultés, s’ajoutent les contraintes d’entretien des bâtisses. Jean N’tcha dit Patron, propriétaire de tata, laisse entendre : « Chaque saison sèche, il faut toucher au bâtiment, faire les réparations qui s’imposent, notamment la dalle et les toitures si nécessaire. Pour les toits, c’est tous les trois ans qu’il faut changer, mais s’il y a des termites, on est obligé de le faire plus tôt ». « Chaque année, il faut aussi faire des sacrifices, notamment lors des cérémonies comme la fête de boisson (Bawana), ajoute-t-il.
Par ailleurs, le feu est un élément important pour la durée de vie du tata qui doit être habité pour durer dans le temps. « Normalement, le feu ne s’éteint pas dans un tata », insiste Joséphine Koubetti. Au regard de toutes ces contraintes, elle a dû raser son tata en banco pour le reconstruire en matériaux définitifs.
« L’héritage d’un tata est compliqué quand cela se dégrade »,
signale Kiansi Yantibossi.
« Il va falloir trouver un moyen de remplacer les bois tout en conservant l’architecture, si l’on veut multiplier les tatas », suggère-t-il. Gaston Behiti est de cet avis : « On doit conserver les Sikien, mais il faut réfléchir à remplacer les matériaux ».
Lieu de culte à préserver
« Le tata est un lieu de culte qui abrite les esprits des ancêtres. Tant qu’il y aura les cérémonies de difôni et de dikountri, les chefs féticheurs sont obligés de maintenir les tatas », estime Noël Koussey. « Les rites et coutumes restent encore vivaces, malgré l’exode, l’islamisation et le christianisme », fait-il remarquer.
« Etre gardien du Tata, c’est un sacerdoce. C’est contraignant », selon Joseph Toumoudagou. Il explique : « Le gardien du tata ne peut pas bouger de là jusqu’à sa mort. Il y a également des restrictions en tant que féticheur. Il y en a qui doivent rester presque nus quelles que soient les intempéries. Pour tout cela, les gens fuient ».
Les tatas sont construits en matériaux précaires et à chaque saison pluvieuse, un certain nombre tombent. « Les villageois sont fatigués de les réparer et finissent par abandonner », déplore Parfait Porimaté, responsable de La Perle de l’Atacora. « Nous souhaiterions que le gouvernement qui a à cœur le tourisme, appuie directement l’entretien des tatas », plaide-t-il. « Si les propriétaires sont appuyés financièrement et s’ils sont formés à l’utilisation des matériaux de manière durable, cela permettra de sauvegarder ce patrimoine menacé de disparition », espère-t-il.
Les collectivités locales concernées s’en préoccupent. « Le tata prend une place de choix dans notre politique de développement communautaire. C’est un patrimoine de notre culture, une fierté et un héritage qui témoigne du génie de nos parents, de nos aïeux en matière d’architecture », assure Taté Ouindéyama, maire de Natitingou. « Nous voulons que le tata, tel qu’il est conçu, tel qu’il est apprécié, continue par exister dans nos villages, dans nos hameaux », fait-il savoir. Pour encourager la construction et la promotion de cet habitat, le maire annonce un projet porté par le conseil communal qui vise à ériger sur fonds propres au moins trois tatas : un tata Otammari, un tata Ossori et un tata Bètiba (Waama).
A l’en croire, le budget est disponible et les études déjà bouclées. « En dehors de cela, il y a la Maison communale de tourisme que la mairie a prévu de construire et qui mettra également en valeur le tata », ajoute l’édile de la cité des Nanto. Le maire se réjouit de la fête de l’enduit des tatas qui a eu lieu en décembre 2020 dans le village de Tagayè, commune de Natitingou.