Trois sujets d’actualité, trois tableaux : Comment Ponce Zannou contribue à l’exposition diptyque
Culture
Par
Ariel GBAGUIDI, le 15 mars 2022
à
11h33
Figure internationale de l’art plastique béninois, Ponce Zannou est l’un des quatorze artistes qui séduisent le public dans la séquence «Transgression et Hybridation» du volet art contemporain de l’exposition publique au palais de la Marina. A travers trois tableaux, l’artiste défend sa position sur trois sujets d’actualité à savoir la construction de villes durables, la femme et l’immigration clandestine en Méditerranée.
Une toile montrant de nouvelles maisons construites à côté des anciennes, dans une ville émergente. C’est l’un des trois tableaux d’art contemporain exposés par l’artiste Ponce Zannou, au palais de la Marina. La toile est dénommée « Toho hoho yoyo do zanzan » en langue nationale fongbé. En langue française, cela voudrait approximativement dire «ancienne nouvelle ville pensée tôt». «Cette œuvre est la construction d’une ville mais je n’ai pas cherché à démolir les anciennes maisons. Les nouvelles sont construites à côté des anciennes qui sont bien construites, belles, solides et toujours d’actualité», explique l’artiste dans une interview exclusive. Le support utilisé est le fer galvanisé sur lequel une ancienne et vieille bâche encore solide a été collée pour rechercher la texture de la vieillesse. «C’est toujours du neuf à côté de l’ancien», fait observer Ponce Zannou. L’œuvre en elle-même est faite à partir de déchets informatiques, car primo, les outils informatiques l’inspirent beaucoup et secundo, ils ont tous des formes architecturales.
« Toho hoho yoyo do zanzan» sensibilise à l’importance de construire des villes durables. « C’est pour sensibiliser les gouvernants et les urbanistes pour que, dès le premier jet de leurs projets, qu’ils pensent au futur profond, au futur du futur. Qu’ils pensent à 100 ans, 200 ans dans le futur, l’évolution que la ville qu’ils sont appelés à construire pourrait avoir. Ils doivent veiller à ce que les infrastructures soient bien nommées et en place, spacieuses pour contenir le monde que cette ville abritera dans le futur. Donc à travers cette toile « Toho hoho yoyo do zanzan », je demande de penser à la construction d’une ville depuis le premier jet et que chaque gouvernement devrait penser à une ville forte. Et une ville forte, c’est une ville qui a des histoires, des vestiges, … », détaille Ponce Zannou. L’artiste ne cache pas son penchant pour les actions beaucoup plus pérennes.
La femme…
La toile suivante montre une jeune fille en principal et plusieurs autres en arrière qui scrutent leur avenir. Ponce Zannou l’a dénommée «Jeune fille observant le futur». L’œuvre incite la femme à se réveiller et à plus penser à elle-même. « Depuis la nuit des temps, on sait comment on a classé les femmes. Ce qui fait que certaines comptent plutôt sur l’homme, et parfois elle ne pense pas à un moment donné à son futur, à son avenir lointain. Ici, je demande à cette fille de regarder beaucoup plus devant elle au lieu de regarder juste ce qui vient à elle qui est éphémère. », souligne l’artiste. Plus loin, il indique que la femme devrait analyser le caractère de l’homme au lieu de peser seulement le côté matériel de ce dernier. La toile est également un appel «à la société qui doit viser plus la hauteur humaine et non le matériel». Elle fait également allusion, entre autres, à la spiritualité de l’Homme, son esprit évolutionniste, sa mentalité entrepreneuriale, intellectuelle, esthétique, artistique, ajoute Ponce Zannou.
« J’ai travaillé sur la toile avec des techniques diverses puisque c’est une toile que je veux moins réaliste. Donc, les personnages ne sont pas totalement définis. Actuellement, je travaille beaucoup les effets parce que la température change et les effets changent. Je joue sur la matière également, c’est ça qui a donné la texture que donne la toile», fait-il savoir.
Immigration clandestine
« Les chercheurs du destin ». C’est le nom donné à cette toile qui montre une embarcation débordée de migrants clandestins en Méditerranée. « Ceux-là, ce sont des gens qui sont découragés peut-être par une politique qu’on ne partage pas suffisamment avec eux ou qui sont un peu rejetés par la société ou encore qui sont trop prétentieux, et qui cherchent leur destin parce qu’ils n’ont pas tous les mêmes problèmes », indique Ponce Zannou. « Il y a des gens, poursuit-il, qui sont très prétentieux et qui préfèrent rallier le vieux continent pour vivre mieux. Il y a certains qui y vont pour survivre ; les réfugiés de guerre par exemple. Mais d’autres y vont juste pour le mimétisme, pour le plaisir simplement. Donc, je parle d’eux en ce sens que c’est des humains qui, malgré les milliers de morts par noyade, continuent de prendre ces bateaux de fortune». Ponce Zannou a donc peint cette toile pour interpeller la consciente collective africaine. A travers cette toile, l’artiste lance également un appel aux occidentaux. «Vraiment, il faut que nos frontières soient plus ouvertes et ceux qui le méritent, les traverseront. Ceux qui sauront qu’on peut mériter, ils chercheront à mériter. Mais si c’est fermé on peut chercher à forcer la porte. C’est trop fermé pour le moment.», pense-t-il.
Qui est Ponce Zannou ?
Né en octobre 1974, Ponce Enagnon Kokou Zannou prend très tôt le chemin de l’art. Il travaille dans des ateliers d’art de fortune et dans la rue. C’est là, dans la rue, qu’il met au point sa technique de sculpture sur toile. « Il reprend pour son compte la dialectique du chaos et de l’ordre selon laquelle du chaos émerge l’ordre et naissent les étoiles. », lit-on sur le site de l’exposition diptyque.
Ponce Zannou a reçu de nombreux prix dont celui du meilleur artiste peintre Bénin Golden Awards en 1999 et 2000. Il est aussi médaillé d’or du concours de peinture des 4es jeux de la Francophonie en 2001 au Canada, et a exposé ses œuvres dans plusieurs pays du monde tels que le Bénin, le Niger, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la France, et la Belgique.
Ponce Zannou aborde plusieurs thématiques à travers ses œuvres. Il parle de l’humain, des questions sociétales, la vie quotidienne, le futur. Il est aussi engagé pour les migrants, la philosophie, il parle des allégories et pense à la psychologie humaine.
Actuellement, l’artiste travaille sur plusieurs projets. Il développe la technique qu’il appelle « hyper impression ». « Ce sont des peintures à deux dimensions sur toile. Vu aussi le caractère de l’exposition Art du Bénin, je suis en train de narrer quelques histoires du Bénin dans ma façon de m’exprimer, je travaille aussi des sculptures… », confie la figure internationale de l’art plastique béninois. En plus de tout ceci, Ponce Zannou peaufine un projet de construction d’un espace culturel qui, selon lui, permettra aux artistes d’exposer convenablement leurs œuvres.