La Nation Bénin...
La
Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), depuis
2018 qu’elle a vu le jour, ne cesse de connaître de dossiers liés au
blanchiment de capitaux. Le mal est profond et il est important d’en maitriser
les contours.
Des
affaires pas des moindres liées au détournement, au trafic de stupéfiants, à
l’escroquerie, à la fraude fiscale ou douanière, au vol et à l'extorsion... Les
infractions liées au blanchiment de capitaux sont nombreuses et portent très
souvent sur des montants à couper le souffle. On y retrouve impliqués, des
personnalités insoupçonnables, politiciens, hauts cadres de l’administration,
grands opérateurs économiques, expatriés réputés dans les affaires au Bénin.
D’aucuns sont reconnus coupables et condamnés, conformément à la loi en
vigueur, à de lourdes peines. De la même manière, les autres échappent à toute
peine d’emprisonnement et sont relaxés purement et simplement. C’est dire que tous
ceux qui passent devant le procureur de la Cour spéciale habilitée à connaître
de ces affaires, ne sont pas forcément des criminels en la matière.
Bien
que relaxés et lavés de tout soupçon, ils auraient déjà subi des revers. Les
uns auront perdu leur emploi, les autres leurs affaires et condamnés à repartir
à zéro, sans oublier l’image que l’entourage se fait désormais d’eux.
Dans
ces conditions, il est important de connaître les méandres du crime pour ne pas
se retrouver dans de beaux draps et éviter tout ennui judiciaire.
Les
éclaircissements du professeur de droit et avocat Clotaire Agossou quant au
blanchiment de capitaux et à la loi qui le réprime désormais au Bénin depuis
2018, s’avèrent indispensables. La criminalité se présente sous deux formes, à
son avis. La criminalité physique et celle virtuelle encore appelée
cybercriminalité avec le développement des nouvelles technologies. « Que la
criminalité soit physique ou virtuelle, il y en a qui sont liées à la fortune
et aux biens et on parle de blanchiment de capitaux qui est un processus au
moyen duquel des personnes dissimulent l’origine illicite de leurs avoirs »,
explique-t-il. Il précise que les infractions liées au blanchiment de capitaux
sont classées dans les crimes économiques et consistent à trouver des capitaux
illicites, c'est-à-dire issus d’infractions pénales et à les réintroduire dans
l’économie légale. « De l’argent issu d’un braquage, d’un détournement ou
encore d’une escroquerie », cite-t-il en exemple. Le système fonctionne de
telle manière que lorsque certaines personnes réussissent à franchir la
première maille d’infraction, ils peuvent être rattrapés en voulant injecter le
pactole dans le circuit économique normal. D’où l’appellation ‘’blanchiment de
capitaux’’ pour dire qu’on veut rendre pur un capital souillé issu de
l’infraction par laquelle il est acquis. Et c’est pour bien mener la lutte
contre ces infractions que sont nées deux principales lois. La loi 2018-13 du 2
juillet 2018 qui crée désormais la Cour de répression des infractions
économiques et du terrorisme (Criet) et la loi 2018-17 du 25 juillet 2018
relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du
terrorisme en République du Bénin. Ces deux lois ont été modifiées récemment
pour une conformité à la directive de l’Uemoa.
« J’ai eu un partenaire étranger qui a envoyé une somme d’argent dans le cadre d’un projet d’investissement dans l’agriculture au Bénin. Je vous avoue que j’ai pu toucher cette somme d’argent après trois mois. Ce qui a porté un coup au projet qui n’a pu être développé dans la période initialement prévue», confie Prosper Dotin, opérateur économique béninois qui a dû justifier la provenance de ces fonds et ce à quoi ils sont destinés avant de pouvoir les toucher. Cela peut sembler un calvaire ou un acharnement aux yeux de certaines personnes, surtout pour celles qui ne maîtrisent pas toujours l’orthodoxie en matière de manipulation de fonds et qui sont parfois victimes de leur méconnaissance des procédures en la matière. Et c’est le cas de Prosper Dotin qui a cru au départ à un acharnement, croyant que les services de l’Etat voulaient le priver de son argent et le déposséder de son projet en lui créant des ennuis inutiles. Mais c’est plus tard qu’il s’est rendu compte que le jeu en vaut vraiment la chandelle dans un pays gangréné par la corruption à outrance, l’escroquerie en bande organisée et certaines manœuvres frauduleuses. « Un pays sérieux doit mettre en place des instruments de lutte contre la corruption sous toutes ses formes. Et lorsque vous observez un peu combien le phénomène de gaymen a pris de l’ampleur à un moment donné dans notre pays, vous pouvez comprendre l’intérêt de ces instruments », avoue l’opérateur économique. Prosper Dotin en effet, ne dispose pas d’un contrat formel avec son partenaire étranger et n’a aucun document attestant de ce qu’un tel virement est destiné à un projet d’investissement au Bénin. Ce qui est une erreur et crée la confusion avec les actes d’escroquerie via internet ou le financement du terrorisme qui sévit dans la sous-région et au Bénin depuis peu. Il était donc opportun de mettre en place des instruments pour surveiller, contrôler et réguler toute entrée de fonds afin de prévenir et de réprimer ces crimes. Certains instruments existaient depuis des années et ont été juste renforcés. C’est le cas de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) créée depuis 2006 pour se conformer à la recommandation 29 du groupe d’action financière de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa). Cette cellule a pour mission le traitement, la transmission d’informations, la dissémination en vue de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Elle interagit surtout avec les institutions financières pour prévenir le crime. Face à cet arsenal auquel s’ajoutent les différentes lois de répression, l’opérateur économique Prosper Dotin a peut-être eu la chance de n’avoir pas été traduit en justice et a pu entrer en possession des fonds après les avoir justifiés. D’autres n’auront peut-être pas cette chance puisqu’ils n’auraient pas pu justifier la provenance de quelconque virement sur leur compte, qu’ils soient Béninois ou expatriés.
Le professeur de droit Clotaire Agossou conseille qu’il faut travailler pour gagner de l’argent, surtout dans une société qui prône des valeurs à inculquer aux plus jeunes. « L’objectif de ces lois en effet, est de redonner de la valeur au travail qui a perdu sa noblesse chez certains », trouve-t-il. Clotaire Agossou fait la démarcation entre une activité informelle et une activité illicite et renseigne que ce qui est informel n’est pas illicite. Par contre, une activité illicite ne peut se mener que dans l’informel. C’est le cas par exemple d’une activité de collecte d’épargne illégale ou d’un commerce de stupéfiants qui sont des activités illicites ne pouvant que se mener dans l’informel. Il serait bien audacieux à un individu de se lancer dans de telles activités aujourd’hui car ce serait à ses risques et périls. Si un individu se trouve accusé de blanchiment de capitaux, cela signifie que les sources de sa richesse ne sont pas connues ou qu’il cherche à injecter de l’argent de provenance douteuse dans le système formel. Et à en croire le professeur, aucun Etat sérieux ne peut l’admettre car de par les capitaux, un Etat peut se trouver déstabilisé. « Lorsque vous êtes un opérateur économique sérieux, vous devez prendre vos dispositions en ayant un contrat formel signé avec vos partenaires pour ne pas subir la rigueur de la vérification lorsque vous obtenez un virement », recommande Clotaire Agossou. Il en est de même pour un don ou une représentation qui doit être suivi d’un document formel de justification. « J’ai connu un monsieur qui a fraîchement décroché un poste à l’international et quelques mois après, il transfère une importante somme d’argent sur le Bénin pour une construction. Mais l’entrepreneur qui a reçu l’argent sur son compte et qui devrait exécuter les travaux a été interpellé par la Centif pour justifier la provenance de ces fonds et ce à quoi ils sont destinés », fait savoir le professeur qui précise que c’est parce qu’il n’y a pas eu un contrat formel entre le monsieur et l’entrepreneur. Il est donc utile de prendre l’habitude de préparer ces justificatifs avant toute transaction importante pour ne pas subir les désagréments liés aux vérifications. C’est un fonctionnement normal qui doit rentrer désormais dans les habitudes pour prévenir les manœuvres frauduleuses auxquelles est exposé tout citoyen. « Les citoyens doivent savoir que toute activité qu’ils mènent et qui font entrer de l’argent doit être justifiée. Toute entrée de fonds doit être justifiée », conseille le professeur qui appelle à la prudence et à davantage de réalisme. En dépit de tout, Dura lex sed lex (la loi est dure, mais c'est la loi). Il revient à chacun de savoir s’y prendre pour ne pas se retrouver dans des situations qui ne sont toujours pas agréables à vivre■