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Entretien avec Dr Kubeterzié Constantin Dabiré: « La privatisation et la cotation permettent d’avoir une meilleure visibilité sur le marché »

Economie
Dr Kubeterzié Constantin Dabiré Dr Kubeterzié Constantin Dabiré

En marge de la 6e édition des Brvm Awards qui se déroulent à Cotonou, Dr Kubeterzié Constantin Dabiré, Président Directeur Général de la Société Africaine d’Ingénierie et d’Intermédiation financière dont le siège est à Ouagadougou au Burkina Faso avec un bureau de liaison à Abidjan, a bien voulu nous accorder un entretien pour expliquer davantage certains concepts du marché financier régional au cœur des travaux de Cotonou. En l'occurrence la privatisation et la cotation en bourse. L’ancien cadre supérieur de la Banque Ouest Africaine de Développement (Boad) insiste sur l’approche panafricaine de la privatisation et démontre comment elle pourrait être source de financement pour les économies africaines en développement. 

Par   Paul AMOUSSOU, le 02 mai 2025 à 07h46 Durée 3 min.
#6e édition des Brvm Awards

La Nation : Quels sont les avantages pour les entreprises de l’espace Uemoa d’être privatisées et cotées à la Bourse ?

Dr Kubeterzié Constantin Dabiré: La privatisation au sens habituel du terme consiste à transférer au secteur privé la totalité ou une partie de la propriété et de la gestion des entreprises publiques et à les soumettre au droit commun des sociétés. La cotation en bourse des entreprises privatisées présente plusieurs avantages. Notamment, la cotation offre un cadre d’accès à d’importantes ressources financières, permet aux entreprises une meilleure visibilité et les contraint à une plus grande compétitivité. Ainsi, les entreprises privatisées voient leur valeur ajoutée s’accroître et surtout améliorent leur performance économique, financière et de gouvernance au fil du temps. Justement parce que à travers le processus de privatisation, on fait appel au secteur privé qui vient avec une expertise, qui vient avec le système de management privé en vue d’accroître la compétitivité. On s’est également aperçu que les entreprises qui sont privatisées et cotées en bourse ont un cours qui s’améliore avec le temps, qui s’apprécie avec le temps. On s’est aussi aperçu que très souvent ces entreprises ont une rentabilité assez intéressante. En somme, les principaux agrégats de ces entreprises s’améliorent.

En quoi consiste le processus de privatisation des entreprises?

Avant même de parler de privatisation, c’est beaucoup plus le gouvernement, le secteur public qui définit les priorités, les choix et une politique d’intervention publique. Ainsi, vous aurez une politique publique qui sera réservée à la cession des entreprises publiques au privé. Chaque Etat a sa politique de privatisation. Vous verrez que dans la plupart de nos Etats, il y a une cellule nationale de privatisation. Les cellules nationales de privatisation vont faire l’inventaire des entreprises que l’Etat pourrait céder au privé, notamment la propriété et la gestion. Une fois que la politique est clairement définie et que les entreprises à céder sont connues et validées au sein du Conseil des ministres, vous avez un appel d’offres qui est lancé, même si ce n’est pas systématique dans tous les cas. Il faut préciser qu’il y a des cas où l’Etat peut décider de faire du gré à gré en cédant ses parts directement à une entité privée soit parce que l’opération concernée est assez spécifique, ce qui fait qu'on n’a pas assez de repreneurs dans le secteur privé. Donc l’Etat choisit directement un repreneur qui a déjà l’expertise en la matière. On a aussi des cas de privatisation où des entreprises sont cédées directement aux travailleurs qui récupèrent et qui gèrent.

En somme, le processus de privatisation n’est pas unique, raison pour laquelle il faut un cahier des charges qui va définir au cas par cas, entreprise par entreprise, les modalités de privatisation. Mais avant, il convient de rappeler que dans chaque pays, il y a une politique de privatisation. Une fois que le partenaire est connu et le contrat signé, il faut maintenant signer un contrat de cession avec plusieurs clauses. Notamment les modalités de reprise de l’entreprise ou des entreprises. 

Avec quelle finalité ?

La privatisation permet aux entreprises publiques d’améliorer leur gouvernance, d’accroître leurs performances et d’attirer des compétences issues du secteur privé. Pour les États, l’intérêt de céder une partie de leur capital dans ces entreprises réside dans la possibilité d’augmenter les recettes publiques et de favoriser l’accès du grand public à l’actionnariat.

Qu’en est-il de l’ouverture du capital d’une entreprise publique ?  

L’ouverture du capital d’une entreprise publique au secteur privé n’est pas forcément une privatisation. Mais si vous avez une ouverture à plus de 50 % du capital d’une entreprise publique au secteur privé, déjà on peut parler de privatisation. Mais il y a des moments où l’ouverture se fait à moins de 50 %, autour de 20 ou 25 %. Mais cela peut l’être aussi lorsque l’Etat, malgré cette ouverture a minima, confie la gestion de l’entreprise au secteur privé. A partir de ce moment, ça commence par prendre la forme d’une privatisation. On a vu des cas aussi où l’on transfère la gestion sous forme de délégation de service public. La délégation de service public en soi n’est pas la privatisation, mais je dirai que c’est une forme de privatisation. Il y a aussi des cas où on confie la gestion au secteur privé, on prévoit un planning avec des deadlines au bout duquel on décide de céder le patrimoine au secteur privé.

Quelle corrélation peut-on établir entre la privatisation et la cotation en bourse ?

La privatisation consiste à céder une entreprise publique à un ou plusieurs actionnaires privés. Généralement avec une cession de plus de 50 %. On parle de cotation quand ce processus de privatisation se fait à travers la bourse. Une opération qui consiste à céder une partie du capital de l’entreprise en l’inscrivant à la cote. En ce moment, on parle de cotation boursière. L’opération permet à l’Etat de lever des ressources pour se faire rembourser en quelque sorte et offre des possibilités au secteur privé de s’inscrire à la bourse pour pouvoir mener facilement ses activités. L’inscription à la bourse a un autre avantage, le plus souvent en ce sens qu’elle facilite la prise d’actions par le maximum de personnes privées. C’est pourquoi on parle souvent d’actionnariat populaire. C’est une forme de libéralisation de capital qui se fait en encourageant les ménages à prendre une part du capital.

Comment la privatisation et la cotation en bourse peuvent-elles contribuer à dynamiser les économies africaines ?

La privatisation et la cotation permettent à l’entreprise d’avoir une meilleure visibilité sur le marché. Cela facilite la capacité de l’entreprise à mobiliser les ressources pour financer ses activités et surtout ses investissements. Ce sont des avantages. L’autre chose, une entreprise qui se fait coter est obligée d’être transparente dans sa gestion quotidienne. Ce qui veut dire que l’accès à la bourse va améliorer la gestion et la performance de l’entreprise en termes de transparence. Pour finir, on sait que le marché favorise la compétitivité et toute entreprise qui va sur le marché se prépare en conséquence. Quand vous regardez dans la zone Uemoa, par exemple la Sonatel au Sénégal qui a été privatisée il y a quelques années, le cours a augmenté de plus de 40 % et le chiffre d’affaires de la Sonatel aujourd’hui, c’est multiplié par plus de 20 fois par rapport à ses performances lors de son introduction en bourse en 1998. A mon avis, c’est l’un des points forts de la privatisation. En dehors de la Sonatel, regardez Orange Côte d’Ivoire qui a été cotée il y a environ deux ans.   Son cours est à plus de 100 % aujourd’hui par rapport à son cours d’introduction en bourse.

Quels sont les principaux défis auxquels les Etats africains font face dans le processus de privatisation ?

Les Etats africains font face à plusieurs défis dans le processus de privatisation parce que nous avons vu à travers l’expérience que certaines privatisations ont échoué. Quand vous regardez dans l’Uemoa, les privatisations dans le secteur de l’eau et l’assainissement n’ont toujours pas été des succès, c’est une réalité. Lorsqu’on va en Grande Bretagne, la privatisation du secteur de la santé n’est pas une réussite parce que c’est un secteur assez sensible et pas toujours rentable. Et lorsqu’un secteur n’est pas en mesure de dégager une rentabilité, sa privatisation peut susciter quelques scepticismes des investisseurs privés. C’est dire qu’il faut tirer des leçons de ces expériences et voir comment on peut améliorer la privatisation d’entreprise en trouvant un équilibre entre les intérêts sociaux, économiques et financiers. En termes de défis, je dirai que la privatisation peut être une opportunité si elle est bien conduite, si elle tient compte des leçons qui sont tirées des opérations antérieures. Dans ce cas, la privatisation permet aux Etats d’améliorer leurs recettes fiscales. Il est donc nécessaire de mener des réflexions pour approfondir le marché financier afin de diversifier les produits existants sur le marché. En cela nous militons en faveur de la création des produits tels que des produits dérivés. Nous militons aussi pour l’accélération du processus de création du marché des matières premières. Aujourd’hui le système de financement classique que nous connaissons, c'est la banque, mais les banques commencent à s’essouffler d’où la nécessité de réfléchir et de créer de nouveaux instruments et le marché financier peut être cette alternative qui viendra en complément de ce qui est fait par le système bancaire.