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Hausse du seuil de pauvreté extrême: Un nouvel étalon aux implications multiples pour les États

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La Banque mondiale a relevé le seuil de référence de l’extrême pauvreté jusque-là fixé à 2,15 dollars, pour l’aligner sur les nouvelles données de parité de Pouvoir d’achat (Ppa) collectées en 2021. Ce changement, loin d’être anodin, redéfinit les contours de la pauvreté extrême dans le monde et appelle à une adaptation des politiques publiques au niveau des États.

 

Par   Arnaud DOUMANHOUN, le 10 juin 2025 à 08h21 Durée 3 min.
#Banque mondiale #lutte contre la pauvreté

La Banque mondiale calcule les seuils de pauvreté afin de suivre les progrès mondiaux vers l’éradication de l’extrême pauvreté. Le nouveau seuil de 3 dollars par jour, équivalent à environ 2000 francs Cfa, élargit automatiquement le périmètre des populations classées en situation d’extrême précarité. Des millions de personnes qui, selon l’ancien barème, n’étaient pas comptabilisées parmi les plus pauvres, le seront désormais. Cette révision statistique, d’apparence technique, soulève des implications concrètes pour les États. Le relèvement du seuil international de pauvreté signifie, en premier lieu, que l'ancien niveau ne reflétait plus le coût réel de la vie dans les pays à faible revenu. Dans un contexte de hausse continue des prix et d’inflation généralisée, ce que l’on pouvait acheter il y a dix ou quinze ans avec 500 francs Cfa est aujourd’hui largement hors de portée. La Banque mondiale a ainsi reconnu que ses précédentes estimations ne suffisaient plus à mesurer les besoins fondamentaux des populations vulnérables. C’est dire qu’il ne s’agit pas simplement d’un chiffre revu à la hausse. C’est la reconnaissance institutionnelle que le « minimum vital » coûte plus cher, même dans les pays les plus pauvres. En conséquence, les indicateurs de pauvreté utilisés pour établir des classements et guider les interventions internationales devront être recalculés. Certains États jusqu’ici considérés comme en développement pourraient désormais être reclassés parmi les pays en situation de pauvreté extrême.

 

Une pression sur les politiques salariales et sociales

En fixant un nouveau seuil, la Banque mondiale envoie également un signal fort aux gouvernants. Il leur faudra ajuster les politiques économiques, notamment les politiques salariales. Les États sont désormais confrontés à l’obligation de repenser leurs mécanismes de redistribution de la richesse. Dans de nombreux pays à faible revenu, les salaires minimums (Smig) restent en dessous de ce seuil de 3 dollars par jour (environ 2000 F Cfa). L’actualisation du seuil appelle donc à une révision à la hausse des rémunérations de base pour les fonctionnaires, les agents publics et les travailleurs du secteur privé. Sans quoi, la précarité continuera de gagner du terrain, malgré les discours sur la croissance économique. De plus, la richesse nationale produite ne suffit pas : encore faut-il qu’elle soit équitablement redistribuée. Cette mise à jour relance donc le débat sur la fiscalité, les subventions sociales, les programmes de soutien aux ménages vulnérables et l’investissement dans les services sociaux de base comme la santé et l’éducation.

Au Bénin, le Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) a été revalorisé depuis janvier 2023. Il est passé de 40 000 F Cfa à 52 000 F Cfa, soit une augmentation de 30 %, après consultation des partenaires sociaux. Et les filets sociaux se sont renforcés ces dernières années. Il est donc à observer que même si des efforts restent à faire pour combler le gap, le taux appliqué en ce qui concerne le Smig au Bénin, se rapproche des nouvelles directives de la Banque mondiale, avec ce relèvement du seuil de référence à l’extrême pauvreté. Globalement, c’est une évidence que les politiques de développement ne pourront plus se satisfaire d’une croissance économique quantitative. L’attention se porte davantage sur la qualité de vie, mesurée en termes d’accès à des services essentiels, de sécurité alimentaire, de logement décent, ou encore de pouvoir d’achat. Le calcul de la pauvreté ne se limite plus au revenu monétaire. Il intègre une approche multidimensionnelle. Santé, éducation, logement, accès à l’eau potable, connectivité numérique… tous ces facteurs entrent désormais dans le radar de la Banque mondiale pour déterminer les niveaux de pauvreté. Cette approche holistique oblige les États à adopter des plans de développement intégrés et à cibler plus finement leurs interventions sociales.

Certains pays pourraient voir leur situation se dégrader statistiquement, passant d’un statut de pays en développement à celui de pays en extrême pauvreté, s’ils n’ont pas entre-temps adapté leurs politiques. À l’inverse, d’autres qui ont déjà investi dans des réformes structurelles, augmenté les salaires de base ou développé des filets sociaux efficaces, pourraient amortir l’effet de cette reclassification. Le Bénin pourrait se retrouver dans cette dernière catégorie. Quoi qu’il en soit, cette décision de la Banque mondiale repose sur une logique de réalisme : elle aligne les chiffres sur la vie réelle des populations. Elle rappelle aussi que les Objectifs de développement durable, en particulier celui d’éradication de la pauvreté sous toutes ses formes, sont encore loin d’être atteints. La mise à jour des seuils ne représente donc pas seulement un changement méthodologique, mais bien un appel à l’action. Dans un monde où les inégalités persistent, où les crises, climatiques, économiques, sanitaires, se multiplient, la réévaluation du seuil de pauvreté constitue un baromètre utile, voire vital, pour orienter les efforts des États et de la communauté internationale.