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Lutte contre la corruption au Bénin: Imprescriptibilité des crimes économiques : sens et portée

Economie
Par   Thibaud C. NAGNONHOU, A/R Ouémé-Plateau, le 22 déc. 2014 à 05h00

Le Bénin a célébré lundi 8 décembre dernier, la 9e journée nationale de lutte contre la corruption. Ce fléau qui gangrène tous les secteurs de la vie nationale. Et ce malgré l’existence de la loi portant n°2011-20 du 20 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes et qui prévoit l’imprescriptibilité des crimes économiques. Nous verrons ici le sens et la portée de cette mesure d’imprescriptibilité des crimes économiques.

Quel est le sens et la portée de l’imprescriptibilité des crimes économiques prévue par le législateur béninois dans la loi portant n°2011-20 du 20 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes ? Le sujet était au cœur de la rentrée solennelle de la Chaire UNESCO des droits de l’homme et de la démocratie de l’Université d’Abomey-Calavi la semaine dernière. Là-dessus, le communicateur, Gilbert Ahouandjinou, président de la Chambre judiciaire de la Cour suprême, en homme averti, a éclairé la lanterne de l’assistance sur les contours de cette mesure prise par le législateur béninois.De sa présentation, il a montré que les scandales économiques et financiers, les malversations, les détournements et autres, créent souvent dans l’opinion publique beaucoup d’émoi. Ils provoquent un certain trouble à l’ordre public et social. Car, ces formes de délinquances financières coûtent chères à l’économie nationale et qui retardent par ricochet le développement en creusant les inégalités par la pauvreté croissante et le chômage ascendant des couches juvéniles, échappent à toute répression à cause de l’écoulement du temps et du délai légal, à l’expiration duquel il y a la prescription qui fait obstacle à la poursuite pénale et à la répression. Cette situation de fait qui conduit à l’impunité, à la récidive et à l’injustice, amène à la prise de dispositions spéciales dans quelques matières pour instituer à la place de la prescription, c’est à dire le mode d’extinction de l’action publique qui résulte du non exercice de celle-ci dans un Etat dans un délai fixé par la loi, l’imprescriptibilité de certaines infractions graves. Il s'agit des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes économiques. C’est ainsi que le législateur en disposant à travers l’article 8 alinéas 3 du Code de procédure pénale en vigueur, et l’article 21 alinéas 4 de la loi n°2011-20 du 20 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes a déclaré ces avis sont imprescriptibles, note Gilbert Ahouandjinou.

Le concept de crimes économiques
Le concept de crimes économiques recouvre un large spectre d’infractions. Selon une étude juridique canadienne, a rappelé le communicateur, les crimes économiques sont ceux commis dans l’une ou l’autre des étapes du processus économique, soit dans la production, la distribution, soit dans le commerce de biens et services, à l’exclusion des crimes contre la personne et des crimes contre la propriété. L’étude scientifique a ainsi mis en exergue les crimes économiques comme la faillite en particulier l’aliénation de biens avec l’intention de frauder ou de flouer les créanciers; les ventes pyramidales constituant un système par lequel le participant reçoit des avantages du fait qu’il recrute d’autres participants; les valeurs mobilières, le fait d’influencer illégalement les actions boursières, de procéder à l’agiotage sur les actions, de cacher frauduleusement des titres et enregistrer frauduleusement des titres. Ensuite, il y a les valeurs immobilières: les ventes illégales des immeubles, les ventes sous les fausses représentations de terrains et immeubles, au Bénin on parle de la mafia foncière, la contrefaction de monnaie sous toutes les formes; la corruption et autres infrastructures connexes ou sous-jacentes: il s’agit de toutes les formes de corruption au niveau des fonctionnaires, des privés tant à l’échelle nationale d’une fonction ou d’une charge quelconque, la fraude par carte de crédit visant l’utilisation de fausses cartes de crédit ou de cartes de crédit volées, commises par une personne isolément ou par des groupes organisés. Enfin il y a la fraude par chèque: l’utilisation de chèque faux, volés ou contrefaits et l’escroquerie concernant toute action qui a pour résultat l’obtention de quelque chose par un ou des moyens frauduleux, le modus operandi pouvant varier selon l’imagination de l’auteur ou des auteurs. Les victimes de la délinquance économique, financière et d’affaires sont d’abord l’Etat, ensuite les collectivités et les populations et enfin les sociétés privées et les citoyens. Les auteurs sont tapis à tous les niveaux, note le magistrat. Ainsi se développe les criminels à col blanc qui agissent par seuls mais souvent en réseau au moyen d’un tissu de relations interpersonnelles très ramifiées, faisant usage de tromperies, de faveurs illicites.
L’imprescriptibilité, la solution Face à toutes ces tentacules de crimes économiques et financières qui n’épargnent aucun secteur d’activité, qui ne sont souvent connus et ne sont pas à même d’être poursuivis que des années après leur commission, l’imprescriptibilité apparaît comme étant la seule mesure légale susceptible de protéger l’intérêt général et l’intérêt des victimes, jure Gilbert Ahouandjinou. A cet effet, l’article 8 alinéa 3 du Code de procédure pénale du Bénin prescrit « Les crimes économiques ….sont imprescriptibles ». Et l’article 21 alinéa 4 de la loi n°2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin dispose: « Les crimes sont imprescriptibles ». Ces deux dispositions légales, révèle le communicateur, sont inspirées de plusieurs conventions internationales auxquelles le Bénin a adhéré notamment, la Convention des Nations Unies contre la corruption, la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée et la Convention de l’Union Africaine contre la corruption. Au sens de cette disposition, les crimes économiques peuvent faire l’objet de poursuites pénales et la sanction quel que soit le temps écoulé depuis leur commission ou depuis leur découverte. En matière de crime économique, personne ne peut échapper à l’action de la justice sous prétexte que l’acte incriminé serait éteint par la prescription à cause du délai ou du temps passé, ou parce qu’une condamnation précédente serait intervenue dès lors qu’une peine n’a pas été subie. Ainsi, il a été jugé que bien que commis plus de trente ans avant la mise en mouvement de l’action publique, le crime en raison de son imprescriptibilité par nature n’est pas couvert par la prescription. En ce qui concerne sa portée, l’imprescriptibilité régit en tous les aspects, la poursuite et la répression pénale. Dans ces conditions, relève le communicateur, la règle de l’imprescriptibilité fait obstacle par exemple à l’autorité de la chose jugée tirée d’une condamnation intervenue sous une autre qualification.

Impossible soustraction
C’est dire qu’aucune règle interne de procédure ne peut être valablement évoquée par l’auteur pour se soustraire à la justice, étant donné que le Bénin a adhéré aux diverses conventions régionales et internationales concernées et dont les dispositions sont transférées dans le droit positif. L’action civile exercée devant la juridiction pénale est soumise à la même règle d’imprescriptibilité que l’action publique en raison de la nature de l’infraction criminelle poursuivie. En cas de confusion de deux peines de nature et d’égale durée, il est de règle en droit commun que la première absorbe la seconde qui ne peut plus être exécutée a fait savoir Gilbert Ahouandjinou. Mais en matière de crime économique, l’imprescriptibilité s’oppose à ce qu’une personne déclarée coupable bénéficie du jeu de la confusion de peine et parvienne à se soustraire à l’action de la justice pour cette infraction considérée par le législateur comme étant grave. Le communicateur n’a pas manqué d’évoquer l’insertion de l’imprescriptibilité des crimes dans le projet de réforme constitutionnelle. Pour lui, cela n’apportera aucune nouveauté à la poursuite ou à la répression au plan strictement pénal. Celle-ci serait prévue dans la Constitution béninoise en son article 37 qui prévoyait l’inviolabilité et le caractère sacré des biens publics et la répression des actes de sabotage, de vandalisme, de corruption, de détournement, de dilapidation ou d’enrichissement illicite qui doit être réprimé dans les conditions prévues par la loi. La règle légale de l’imprescriptibilité des crimes économiques apparaît à notre avis comme étant un instrument dont l’utilisation fiable est de nature à assainir les milieux politico-économiques et financiers. C’est pourquoi Gilbert Ahouandjinou a souhaité que toutes les personnes qui concourent à l’œuvre de justice s’en approprient et en fassent un bon usage.