La Nation Bénin...

Robert Masumbuko, Responsable Pays de la Bad au Bénin: « Le Bénin se transforme en une puissance économique régionale »

Economie
Robert Masumbuko Robert Masumbuko

Le Bénin connaît une transformation impressionnante, soutenue par des réformes macroéconomiques et des projets ambitieux financés par la Banque africaine de développement (Bad). Dans cet entretien, Robert Masumbuko, responsable Pays du Bureau national de la Bad au Bénin, revient sur les facteurs clés de cette réussite, les mécanismes innovants mis en place pour assurer une croissance soutenue et le rôle déterminant du Groupe de la Bad dans l'accompagnement de cette dynamique.

Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 19 févr. 2025 à 06h32 Durée 3 min.
#Banque africaine de développement (Bad) #croissance

La Nation : Le Bénin connaît une croissance économique rapide ces dernières années. Quels sont, selon vous, les facteurs clés qui ont permis d’obtenir ces résultats ? 

Robert Masumbuko : Depuis une décennie, le Bénin est en pleine transformation. Le pays a axé ses efforts sur une gestion macroéconomique rigoureuse, en veillant à maintenir de bonnes relations avec le Fonds monétaire international (Fmi) et les autres partenaires internationaux. Cette dynamique a été soutenue par une décennie de réformes qui ont permis d’asseoir un cadre macroéconomique solide et stable.

Parallèlement, la gestion prudente des finances publiques a été également un axe majeur de réformes afin d’assurer une bonne gouvernance financière. Ces réformes de la gestion des finances publiques se sont concentrées sur deux axes principaux : accroître les investissements publics pour stimuler la croissance économique, avec l’Etat comme moteur principal pour la construction d’infrastructures, et renforcer la mobilisation des recettes fiscales et non fiscales en misant sur la numérisation. Par exemple, en une décennie, les recettes internes mobilisées par la Direction générale des impôts ont plus que triplé, passant de 340 milliards dans les années 2014 à 1073 milliards de francs Cfa par an en 2023. Ce n’est donc pas uniquement l’aide extérieure qui soutient la dynamique de transformation du Bénin, mais aussi les efforts de mobilisation des ressources intérieures pour financer le développement.

Que pensez-vous de la gestion de la dette par le Bénin ?

Ce que le Bénin fait de remarquable et qui le démarque de la plupart des autres pays, c'est la politique de gestion active de la dette mise en œuvre au cours de cette décennie. Le pays a adopté une démarche sophistiquée de gestion de la dette, similaire à celle des pays développés. Le Bénin est à l’afflux des opportunités pour emprunter à des taux plus bas sur les marchés internationaux. Lorsqu’une bonne opportunité se présente, le pays emprunte à des taux bas, ce qui lui permet de racheter ses dettes à taux plus élevés, et de rallonger la maturité moyenne de sa dette publique tout en faisant des économies sur le service de la dette, grâce aux meilleurs termes obtenus. Cette approche active et innovante de gestion de la dette publique contribue à renforcer la confiance des partenaires institutionnels et des investisseurs internationaux. Grâce à cette approche, le Bénin a réussi à améliorer progressivement la notation de sa dette souveraine et a renforcé son accès croissant aux marchés des capitaux internationaux pour financer son développement.

L’accent est également mis sur l’industrialisation. Quelle est votre appréciation de la dynamique en cours ?

En matière d’industrialisation, le Bénin a adopté une approche volontariste, qui mérite d’être saluée. Une initiative majeure dans ce domaine a été le développement de la zone économique spéciale de Glo-Djigbé, inaugurée en 2020, qui s’étend sur 1 640 hectares, à seulement 45 km de Cotonou. En moins de trois ans, cette zone permet de transformer des matières premières comme l’acajou et le coton en produits finis, tels que des vêtements. Aujourd’hui, la Fifa commande même des maillots fabriqués à partir du coton du Bénin. Cela démontre de manière concrète qu’il est possible de promouvoir l’industrialisation en Afrique dès lors que la volonté politique est manifeste.

Grâce à la volonté de réformes et aux bonnes politiques mises en œuvre pour la transformation économique du pays depuis une décennie, le Bénin a pris une trajectoire de croissance forte et soutenue de près de 6 % en moyenne par an et se positionne progressivement en une puissance économique au niveau régional. Le Bénin figure aujourd’hui dans le Top 10 des pays à croissance économique rapide du continent africain. En effet, après une performance de 6,3 % en 2022 et 7,2 % en 2021, l’économie béninoise a poursuivi son rythme de croissance forte et soutenue de 6,4 % en 2023. Les perspectives économiques restent favorables avec une croissance relativement forte : 6,5 % en 2024 et 6,4 % en 2025.

Cette bonne performance économique a également permis au pays d’être reclassé dans la catégorie des nations à revenu intermédiaire, de la tranche inférieure en 2020 par la Banque mondiale. Ce repositionnement du Bénin constitue une opportunité importante pour un accès accru aux marchés des capitaux internationaux pour se financer, au même titre que les nations émergentes, à condition que le pays continue de faire preuve d’une bonne gestion de sa dette souveraine.

Au niveau de la Bad, quels mécanismes ont été mis en place pour accompagner la transformation économique du Bénin ?

Le Groupe de la Banque africaine de développement s’est adapté à la dynamique engagée par les pouvoirs publics du Bénin, en mettant l’accent sur l’innovation financière. C’est ainsi que la Bad a apporté une garantie partielle de crédit qui a permis de mobiliser 350 millions d’Euros en 2023 sur le marché international, pour financer des projets alignés sur les objectifs de développement durable (Odd) dans les domaines de l’eau et de l’assainissement, de l’éducation, de l’emploi, etc. Ces solutions de financement innovantes contribuent à atténuer les effets des opérations de marchés sur le service de la dette, tout en favorisant le renforcement de la confiance des investisseurs internationaux. Elles permettent aussi de disposer du volume de financement nécessaire pour mettre en œuvre rapidement des projets alignés sur les objectifs de développement durable, tout en limitant les contraintes de capacités d’absorption. Bien entendu, le Groupe de la Banque africaine de développement et bien d’autres partenaires ont également soutenu les réformes pour pousser l’agenda de l’industrialisation du Bénin dont notamment l’opérationnalisation de Glo-Djigbé, générant des emplois et contribuant au renforcement de la résilience économique du pays.

Pour conclure, comment la Bad soutient-elle la mobilisation des ressources et l’accès à de nouveaux financements ?

Le Bénin, qui était auparavant considéré comme un pays à faible revenu, et qui était financé essentiellement par le Guichet du Fonds africain de développement (Fad), bénéficie aujourd’hui d’un accès aux ressources souveraines de la Bad. Cela a surtout été favorisé par les bonnes performances économiques enregistrées au cours de cette décennie et les progrès remarquables en matière de gestion innovante de la dette publique. Au-delà des solutions financières innovantes, qui permettent de mobiliser des volumes importants pour financer des projets alignés sur les objectifs de développement durable, le Groupe de la Bad privilégie dans ses interventions, désormais, l’instrument de financement basé sur les résultats. Cette approche de financement permet de responsabiliser entièrement le pays dans la mise en œuvre des projets en vue d’une obtention rapide des résultats. Par exemple, la Bad a approuvé en fin 2024, le Programme de sécurisation de l’eau pour la résilience en milieu rural, d’un montant de 126 millions de dollars des Etats-Unis, qui est mis en œuvre selon l’approche de financement basé sur les résultats. L’accent est également mis sur le renforcement de la collaboration avec les autres partenaires afin de tirer meilleur parti des ressources du Groupe de la Bad. Enfin, le Groupe de la Bad est en train d’appuyer la création d’un instrument innovant de financement mixte, la facilité verte de la Caisse de dépôt et de consignation du Bénin (Cdcb) afin d’aider à attirer les investissements du secteur privé dans les infrastructures de croissance verte.